Toutefois, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que cette distribution est elle-même
sujette à variation : devant C sonante, on rencontre en effet tantôt [
i-
] tantôt [
-
], comme si le
système “hésitait” entre une allomorphie à deux variantes ([
in-
] devant V, [
-
] devant C) et
une allomorphie à trois variantes (celles décrite ci-dessus, qui distingue deux classes de C).
Mais il y a plus. Une analyse sémantique montre que dans cet environnement, il n’est
pas sûr du tout qu’on ait affaire au même morphème. En effet, alors que la variante [
i-
] est
associée à des lexèmes dont le sens est fréquemment superlatif, et qui tendent à perdre leur
sens négatif, la variante [
-
] est, elle, systématiquement associée dans cet environnement à
des lexèmes dont le sens négatif est intact. Ce phénomène va même jusqu’à donner lieu à des
doublons (type
irrécupérable
~
inrécupérable
). On est ainsi conduit à penser que devant C
sonante,
et seulement dans ce contexte, est apparu, vraisemblablement à la faveur d’un
flottement allomorphique, un morphème opportuniste [
-
] qui présente la particularité
sémantique, par rapport à [
-
] devant C non-sonante, et à [
in-
] devant V, de construire un
lexème de sens exclusivement négatif.
Du point de vue lexicologique, on note que beaucoup de lexèmes construits au moyen
du préfixe négatif
in-
ont développé une polysémie consistant principalement en deux valeurs
sémantiques : l’une dans laquelle le sens de la négation est intact, l’autre dans laquelle il est
“converti” en valeur superlative. Cette polysémie peut être expliquée si on considère que la
valeur superlative dérive de la valeur négative (et non l’inverse), et que cette dérivation a sa
source dans des emplois litotiques de la négation lexicale,
emplois qui se sont
progressivement sédimentés et ont conduit à une lexicalisation d’inférences. On peut en
conclure que la polysémie
lexicale est, parfois du moins, comme une trace laissée
par la
praxéologie de la communication.
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