Dans le contexte de la culture musicale slave



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CHOSTAKOVITCH ET SON ÉCOLE 

DANS LE CONTEXTE DE 

LA CULTURE MUSICALE SLAVE

L

IOUBOV



B

ERGER


*

La musique, langage artistique généralisant, s’oppose aux dif-

férentes langues humaines, nationales, en cela qu’elle est une

langue régionale, c’est-à-dire une langue propre à une région cultu-

relle réunissant des nationalités différentes. Les Slaves appartien-

nent à la région culturelle ouest-européenne. Le développement

musical de ces peuples s’inscrit dans le cours de l’histoire du sys-

tème musical ouest-européen, à laquelle il a contribué activement

durant les deux derniers siècles.

Cela étant, il est possible d’identifier la musique des peuples

slaves qui a constitué son dialecte national au sein même de la

langue musicale de la région culturelle ouest-européenne. La

musique des différents peuples slaves constitue une communauté

fondamentale, dont nous pouvons repérer deux aspects. Le premier

d’entre eux découle de prémisses historico-sémantiques et culturo-

ethnographiques communes. Il se dévoile à travers le folklore, qui

diffère substantiellement du folklore des autres peuples européens

et s’est mieux conservé au fil des siècles en raison des particulari-

tés du développement culturel de la frange orientale de l’Europe. Au

début du 

XX

e

siècle, à l’époque où le système musical européen



Slavica Occitania, Toulouse, 23, 2006, p. 81-90.

Cet article est la version écrite d’une conférence prononcée par l’auteur lors d’un



symposium organisé par l’

UNESCO


sur le thème suivant : « La contribution des

peuples slaves à la culture musicale de l’Europe » (Brno, Tchécoslovaquie, 9-14

octobre 1978). Il a été publié pour la première fois en russe dans Èpistemologija

iskusstva, Moscou, « Russkij mir », 1997, p. 281-288.



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éprouvait un besoin de renouvellement, Stravinsky lui injecta une

bouffée d’oxygène par le biais de sa mise en œuvre originale du

folklore russe (originale également dans le sens où elle était proche

de l’original). En effet, Stravinsky a su renoncer au modèle de

pensée musicale ouest-européen. Il affirmait ne se fier qu’à sa

propre oreille et ne pouvoir utiliser les notations de folklore russe

réalisées par d’autres personnes que lui, car ces notations étaient

inévitablement altérées par le niveau de compréhension, les

modèles de pensée et de perception du récepteur. Et quand l’en-

semble folklorique Dmitri Pokrovski

1

se mit à étudier d’après



nature l’authentique folklore villageois des différentes régions

russes et à l’imiter, alors cette musique nous parvint telle que

Stravinsky l’avait entendue initialement. Ainsi, lorsqu’il s’agit de se

libérer du stéréotype de pensée européen, de son modèle universel-

lement adopté, les caractéristiques originales et les particularités du

folklore slave ancien s’avérèrent extrêmement fécondes. L’œuvre

de Jana

©ek constitue une autre illustration de ce phénomène. Une



situation analogue se fit jour avec Bartok, dans la Hongrie voisine,

appartenant elle aussi à l’Europe orientale, bien que non slave.

Bartok anticipa sur les recherches ultérieures des musiciens occi-

dentaux en direction des folklores issus d’autres régions culturelles,

des régions orientales. 

Un autre aspect important de la communauté musicale slave

tient au développement historique et social tragique de ces pays qui

ont servi de rempart contre l’invasion tatare. Cela a conféré une cer-

taine âpreté humaine et dramatique aux représentations sociales

dans l’art des peuples slaves ; cela a conduit à la conception du

drame national populaire et à la psychologisation profonde des

émotions (trait marquant du 

XX

e

siècle). C’est de là qu’émane le



« triangle sacré » des compositeurs dramaturges slaves,

Moussorgski-Jana

©ek-Chostakovitch. La dimension du drame

national populaire est également nettement perceptible dans

l’œuvre symphonique de Chostakovitch. La parenté entre les opéras

de Jana


©ek sur des sujets russes (De la maison des morts d’après

Dostoïevski et Katja Kabanova d’après Ostrovski) et l’opéra de

Chostakovitch inspiré de Leskov Katerina Izmaïlova ne fait pas non

plus de doute, que ce soit au niveau des idées ou des images.

82

1

.



Ensemble vocal créé à Moscou en 1973 par Dmitri Pokrovski (1944-1996) sous

l’égide de l’Union des compositeurs de la 

RSFSR

, spécialisé dans l’étude du folklore



musical russe et de ses différentes traditions. A travaillé sur l’interprétation de ce

répertoire en se fondant sur des études musicologiques. 




Toutefois, il est à noter que l’opéra de Chostakovitch, bien que net-

tement plus tardif, s’avère plus traditionnel sur le plan de la com-

position, avec des numéros vocaux fermés et un mélodisme plus

affirmé. L’œuvre de deux grands compositeurs russes,

Chostakovitch et Prokofiev (qui le précède légèrement), a déter-

miné dans une large mesure le style de la musique soviétique au

milieu du 

XX

e



siècle et, dans une mesure moindre, bien avant. Ainsi,

l’influence de ces musiciens slaves, russes, s’est avérée tout aussi

déterminante pour le développement musical des autres républiques

nationales. 

Arrêtons-nous sur le cas de Chostakovitch. On ne peut nier l’in-

fluence partielle de sa musique jusque dans les pays d’Europe occi-

dentale, principalement dans les années 1950 et dans des œuvres

marquées par une inspiration dramatique et sociale, consacrées à la

lutte contre le fascisme, à la guerre et à la victoire – thèmes qui

étaient d’une actualité brûlante au sortir du deuxième conflit mon-

dial et qui ont hanté pendant longtemps l’imaginaire des composi-

teurs. L’influence du symphonisme de Chostakovitch, auréolé de la

monumentalité du drame populaire, se retrouve même dans un pays

comme la Norvège, pourtant éloigné de la Russie et de l’aire slave

(cf. l’Épopée symphonique de Johan Kvandal, 1962

2

). Les autres



manifestations de l’influence de Chostakovitch, à l’étranger et sur-

tout en Russie, sont liées à sa façon originale de traduire en musique

les profondeurs psychologiques de la pensée, inséparable du dra-

matisme et du tragique de son art ancré dans la réalité sociale. En ce

sens, Chostakovitch poursuit dans le domaine musical la tradition

de Dostoïevski, fondateur de la littérature du « torrent de la

conscience » et de la « polyphonie des consciences » qui a tant

marqué le 

XX

e

siècle. Ce n’est point un hasard si Joyce mentionne



Dostoïevski comme le point de départ de son inspiration.

À ces images originelles (représentation du processus mental,

du flux intérieur de la pensée) sont reliées de nombreuses particula-

rités des moyens expressifs propres à la musique de Chostakovitch.

C’est le cas, en particulier, de ses procédés harmoniques, de son

sens subtil des changements d’harmonie intervenant sur la mélodie

statique, en particulier la transition très caractéristique chez lui du

Majeur au mineur qu’il opère en gardant la même tierce. (Exemple :

Do Majeur-do dièse mineur sur la même tierce mi, donc change-

C

HOSTAKOVITCH ET SON ÉCOLE



83

2

.



Connue également sous le titre de Symphonie « Epos ». Johan Kvandal, composi-

teur norvégien né à Oslo en 1919.




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ment sur seconde mineure). Ces procédés visent à exprimer le mou-

vement psychologique intérieur, le processus mental. 

L’impact psychologique de la musique de Chostakovitch, de

même que celui de ses méthodes d’écriture « psychologiques », fut

immense. Surtout dans les années 1950-1960. La dimension spiri-

tuelle et éthique de son œuvre, la lumière de son génie ont éclairé

l’existence de ses contemporains et permis à de nombreux compo-

siteurs soviétiques de se lancer dans l’arène de la création.

Chostakovitch a littéralement illuminé et sanctifié la création musi-

cale en Union soviétique. Sa musique a engendré un nombre colos-

sal d’adeptes. 

Parmi les compositeurs appartenant à l’école de Chostakovitch,

je mentionnerai avant tout ceux qui retiennent l’attention par la nou-

veauté des images et des procédés employés. 

La génération des compositeurs soviétiques qui s’est constituée

dans les années 1950 et au début des années 1960 se distingue par

la présence de créateurs importants, à la forte individualité. Ces

compositeurs faisaient partie des audacieux qui s’enthousiasmaient

pour l’art contemporain aussi bien soviétique qu’occidental. En

vouant un culte à l’œuvre de Chostakovitch, ils s’opposaient invo-

lontairement au courant officiel de cette époque où Chostakovitch

et Prokofiev étaient en disgrâce (entre 1948 et le milieu des années

cinquante). En ce temps-là, en Union soviétique, les contacts pro-

fessionnels avec la culture musicale occidentale se renouaient à

peine et restaient très problématiques. Mais ils s’étaient tout de

même rétablis. Ces circonstances ont permis l’émergence de per-

sonnalités entreprenantes, audacieuses et indépendantes, au mental

solide, fidèles à leurs convictions de créateurs et à leur appartenance

nationale. Telle est cette génération qui a offert à la musique sovié-

tique toute une pléiade de talents. 

L’ouverture de certains de ces créateurs à la musique contem-

poraine a été favorisée par le compositeur communiste italien Luigi

Nono, qui a séjourné à plusieurs reprises en Union soviétique au

cours des années soixante. 

L’influence du style de Chostakovitch (comme celle de

Prokofiev) s’était déjà manifestée çà et là dans la musique de la

génération précédente, chez des professionnels sérieux et respectés

comme Weinberg

3

et Peïko


4

à Moscou, Kliouzner

5

à Leningrad,



84

3

.



Moiseï Weinberg [Moisej Samuilovi

© Vajnberg] (1919-1996).

4

.

Nikolaï Peïko [Nikolaj Ivanovi



© Pejko] (1916-1995).

5

.



Boris Kliouzner [Boris Lazarevi

© Kljuzner] (1909-1975).




Abélilovitch à Minsk. Parmi les nombreuses personnalités à avoir

subi de très près et très fortement son ascendant, on peut aussi citer

le nom de Boris Tchaïkovski

6

. Toutefois, la génération suivante a



bénéficié d’impulsions nouvelles et de nouveaux horizons musi-

caux, ce qui a produit des compositeurs à l’individualité très mar-

quée et très divers. Afin de comprendre certains de leurs traits

stylistiques, il est utile de faire une remarque au sujet de l’utilisation

du folklore dans la musique de Chostakovitch.

Chostakovitch, qui était citadin, s’est assez fréquemment tourné

vers le folklore de la petite bourgeoisie urbaine de l’époque de sa

jeunesse et il emploie assez couramment les intonations du folklore

juif, avec son expressivité tragique acérée. L’œuvre de

Chostakovitch est habitée par le thème de l’humanité, le thème de

la compassion pour l’« homme modeste » [malen’kij 

©elovek], sem-

blable aux héros de Gogol et de Charlie Chaplin. Mais en intégrant

à sa création les intonations expressives typiques du folklore de la

petite-bourgeoisie juive contemporain de sa jeunesse,

Chostakovitch les purifie de toute appartenance nationale ou sociale

et s’en sert pour l’expression dramatique de ses propres émotions.

Des émotions de grande envergure, jamais étroitement person-

nelles, mais liées avant tout à son pays, son époque et sa vie.

Ce folklore urbain est également utilisé par Chostakovitch dans

une forme littérale, comme en témoigne l’exemple bien connu de la

chanson de rue odessite des années 1920 « Kupite bubliki » (« ache-

tez des biscuits ») citée dans le concerto pour violoncelle. 

Cette irruption des conflits dramatiques réels de la vie du

peuple, de ses images sonores, dans la conception de la musique

instrumentale, dans le drame instrumental, révèle l’unité interne de

l’œuvre théâtrale et instrumentale de Chostakovitch. Parmi les

musiciens de la génération mentionnée, Alfred Schnitke

7

est celui



qui va le plus loin dans cette direction. Schnitke donne à entendre

le monde en associant les sonorités qui l’environnent avec la

musique du quotidien urbain et les genres de masse de tout acabit :

chansons, marches militaires, jazz, liturgie funèbre. Ces associa-

tions permettent de se représenter sur le plan sonore ce que fut la vie

dans les villes soviétiques durant ces années ; dans les œuvres de

Schnitke, elles sont combinées avec des allusions à la musique clas-

sique, si importantes et significatives sur le plan éthique dans l’uni-

vers intérieur du compositeur, et qui contrastent avec le monde

C

HOSTAKOVITCH ET SON ÉCOLE



85

6

.



Boris Tchaïkovski [Boris Aleksandrovi

© ¢ajkovskij] (né en 1925). 

7

.

Alfred Schnitke [Al’fred Gar’evi



© ∑nitke] (1934-1998). 


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extérieur. Ces larges associations et allusions permettent de retrans-

mettre avec un laconisme particulièrement efficace un volume

considérable d’émotions et de pensées (ce qui correspond à un pro-

blème très contemporain : le traitement du flux croissant d’infor-

mations). 

C’est ainsi que sont conçues la Première symphonie et le Premier

concerto grosso de Schnitke. Le compositeur rend à ce genre ancien

qu’est le concerto grosso sa signification littérale de « grand

concerto ». Le genre est réinterprété comme un tableau de la vie elle-

même qui s’engouffre dans l’univers intérieur du compositeur. Le

« Grand concerto » (Concerto grosso) de Schnitke témoigne de l’am-

pleur de cette combinaison d’images-associations au sein desquelles

vit de nos jours l’intelligent russe de la ville. Le double principe natio-

nal et populaire se manifeste chez Schnitke à travers des associations

concrètes de sonorités émanant du quotidien contemporain des villes

russes. Pour comprendre cet idiome musical, il est souhaitable que les

auditeurs de cette musique soient familiarisés avec le contexte de la

vie contemporaine en Russie. Je risquerai une comparaison avec

l’Ulysse de Joyce, dont le lecteur doit connaître les circonstances liées

à l’histoire et à l’actualité politique irlandaises auxquelles le flot de

conscience des héros fait allusion. 

Les ensembles de musique de chambre de Schnitke (son qua-

tuor, son quintette) sont très puissants de pensée et de sentiment, ils

manifestent une vision artistique très personnelle, originale, et pré-

sentent des procédés d’écriture instrumentale intéressants. Le qua-

tuor, composé dans les années 1960, se distingue par une écriture

sonore très subtile et, comme toujours chez Schnitke, présente une

grande profondeur d’émotion et de pensée. Le quintette, qui produit

sur l’auditeur une impression puissante, à la fois rafraîchissante et

captivante, semble ouvrir une fenêtre sur la vie authentique. 

Le style et les procédés de Chostakovitch (principalement, la

tradition des monologues instrumentaux linéaires pleins de

recueillement et des dialogues polyphoniques) sont repérables dans

l’œuvre de Schnitke qui n’en conserve pas moins son originalité.

C’est dans les œuvres des années 1960 que cette empreinte est la

plus perceptible, dans son célèbre concerto pour violon et orchestre

de chambre (le deuxième). 

Cette même génération possède un autre compositeur puissant

et digne d’intérêt en la personne de Sofia Goubaïdoulina

8

, qui s’est



86

8

. Sofia Goubaïdoulina [Sofija Asgastovna Gubajdulina] (née en 1931).




formée elle aussi dans le sillage de Chostakovitch. Goubaïdoulina

est un compositeur sans cesse à la recherche de nouvelles voies, sa

musique dénote une pensée créatrice et une démarche innovante,

bien que ses intentions n’aient pas toujours été très claires par le

passé. Mais depuis quelques années, elle est animée par un véritable

élan créateur et compose des œuvres superbes, vérifiant l’antique

opinion selon laquelle la quarantaine constitue une sorte d’acmé, de

maturité spirituelle. L’une de ses dernières œuvres, Roubaïat pour

voix et orchestre à cordes, composée sur des vers d’Omar Khaïam,

est une œuvre forte, au dessein dramatique clair et à l’expressivité

très concentrée qui retrouve les traits de ses cantates sur des vers

d’Anna Akhmatova (connues en Tchécoslovaquie, où on les a inter-

prétées). Une autre œuvre présentant des traits nouveaux et inhabi-

tuels est son concerto pour piano que l’on a entendu au printemps

dernier à la Maison des compositeurs de Moscou. Parmi ses toutes

dernières compositions, on peut citer le quatuor pour deux flûtes, la

sonate en duo pour deux bassons, des pièces pour orgue et percus-

sions, pour violoncelle et orchestre de chambre, un concerto grosso

pour orchestre de variété et orchestre symphonique. 

À Leningrad, deux compositeurs émergent du lot des musiciens

de talent de cette génération : Sergueï Slonimski

9

et Boris



Tichtchenko

10

. Ce dernier, disciple direct de Chostakovitch, est un



symphoniste naturel qui compose pour le grand orchestre tradition-

nel des symphonies monumentales et des concertos pour instru-

ments, ainsi que des œuvres de musique de chambre instrumentales

et vocales et des œuvres théâtrales. Ti

Ò©enko est sans doute le plus

proche du style de Chostakovitch, auquel il reste attaché aujour-

d’hui encore, néanmoins sa musique, conséquente sur le plan de la

pensée et de l’expression, révèle l’individualité de son auteur et une

perception cosmique de l’existence. On se souvient de l’impression

profonde et forte produite par sa Cinquième symphonie, dédiée à la

mémoire de Chostakovitch (pas seulement la personne, le maître et

l’ami, mais aussi Chostakovitch en tant que manifestation hors du

commun de la nature et de l’esprit humain). 

La correspondance entre Tichtchenko et Chostakovitch pré-

sente un intérêt capital. Tichtchenko a autorisé la lecture de cer-

taines lettres à la Maison des compositeurs, lors de réunions

consacrées à la mémoire de Chostakovitch. La vivacité intellec-

C

HOSTAKOVITCH ET SON ÉCOLE



87

9

.



Sergueï Slonimski [Sergej Mixajlovi

© Slonimskij] (né en 1932), fils de l’écrivain

Mixail Slonimskij.

10

.



Boris Tichtchenko [Boris Ivanovi

© TiÒ©enko] (né en 1939).




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tuelle, la sensibilité musicale et l’exigence éthique des deux interlo-

cuteurs confèrent à ces échanges un caractère inoubliable. 

Edison Denissov

11

est lui aussi devenu compositeur grâce au



soutien de Chostakovitch. C’est rongé par le doute qu’il est arrivé à

Moscou après des études de mathématiques à Tomsk. Et ce n’est

qu’après l’approbation du maître qu’il a embrassé la carrière pro-

fessionnelle de compositeur. Au cours de ses années d’études, il

s’est passionné pour l’œuvre de Chostakovitch dont il était très

proche. Ensuite, Denissov a emprunté une autre voie, happé par les

nouvelles perspectives sonores que lui ouvrait la musique d’Europe

occidentale. Il a consacré beaucoup d’énergie à rencontrer les musi-

ciens des pays occidentaux, ce qui explique que son nom soit le plus

connu là-bas. Si la musique de Denissov est connue et appréciée en

occident, c’est parce que son œuvre correspond aux modèles de

pensée musicale en vigueur en Europe occidentale – modèles qu’il

suit tout en développant sa propre manière. Néanmoins, cette ten-

dance l’a sans doute éloigné de ses racines nationales. Mais sa

musique a toujours attiré l’attention de ceux qui s’intéressent à la

nouveauté en art et ses méthodes de composition ont favorisé l’évo-

lution de la connaissance musicale dans les milieux professionnels

soviétiques – ce dont nous lui sommes reconnaissants. 

Il est impossible de nous attarder dans le cadre de ce travail sur

tous les autres compositeurs soviétiques de cette génération dignes

d’intérêts : que ce soient, à Moscou, Rodion Chtchédrine, mondia-

lement connu

12

, ou Youri Boutsko



13

, représentant de la mouvance

« slave », ou encore, parmi les plus jeunes, Viatcheslav Artiomov

14

,



au talent très original, Victor Sousline

15

, ou encore Edouard



Artemiev

16

qui se passionne pour la musique électronique et tra-



vaille avec succès pour le cinéma. 

Dans les républiques soviétiques, des compositeurs intéressants

se sont formés sous l’égide manifeste du style de Chostakovitch,

combinée avec d’autres influences stylistiques. Parmi les

Ukrainiens, proches par la tradition slave, on peut citer en particu-

lier Leonid Grabovski

17

, Valéri Silvestrov



18

et d’autres, qui appar-

88

11

.



Edison Denissov [Èdison Vasil’evi

© Denisov] (1929-1996).

12

.

Rodion Chtchédrine [Rodion Konstantinovi



© ∑¢edrin] (né en 1932).

13

.



Youri Boutsko [Jurij Markovi

© Bucko] (né en 1938). 

14

.

Viatcheslav Artiomov [Vja



©eslav Vasil’evi© Artëmov] (né en 1940).

15

.



Victor Sousline [Viktor Evseevi

© Suslin] (né en 1942).

16

.

Edouard Artémiev [Èduard Nikolaevi



© Artem’ev] (né en 1937).

17

.



Léonid Grabovski [Leonid Grabovskij] (né en 1935).

18

.



Valentin Silvestrov [Valentin Vasil’evi

© Sil’vestrov] (né en 1936).




tiennent eux aussi à cette génération (ils sont un peu plus jeunes).

Sil’vestrov constitue un phénomène spécifique, à part ; sa musique,

originale et raffinée, séduit toujours par la beauté particulière de ses

sonorités, sérielles et néo-impressionnistes ; elle touche par son

authenticité et la modestie de son expression.

Parmi les autres musiciens talentueux ayant subi l’empreinte de

Chostakovitch, le compositeur estonien Arvo Pärt

19

, lui aussi de la



même génération, se distingue par son originalité. L’évolution de sa

création présente un intérêt particulier. Une des premières œuvres

d’Arvo Pärt ayant accédé à la notoriété, Perpetuum mobile, qui

remonte au début des années 1960, constitue un exemple particuliè-

rement intéressant de reconstruction créatrice et d’élaboration ori-

ginale à partir des méthodes de composition propres à

Chostakovitch. Si l’on compare cette œuvre avec le premier mou-

vement de la VII

e

symphonie de Chostakovitch, on note la reprise



du principe de l’ostinato emprunté au célèbre « épisode de l’inva-

sion » de la symphonie de Chostakovitch. Dans l’œuvre de Pärt que

nous avons mentionnée, on peut suivre les différentes étapes de la

réinterprétation de ce procédé. Et le résultat n’en demeure pas

moins original, la composition orchestrale pointilliste, à la symétrie

sérielle complexe, au dessein dramatique très clair, combine l’in-

fluence de Chostakovitch avec celle de certaines pièces orchestrales

de Penderecki (Anaklasis, par exemple). Cela constitue une solution

particulièrement intéressante au problème de l’incarnation par l’art

des nouveaux concepts scientifiques. […]

Il est important de souligner que le haut potentiel éthique et pro-

fessionnel de la musique de Chostakovitch continue d’inspirer la

création vivante en Union soviétique, et ceci alors même que les

compositeurs empruntent des chemins complètement différents.

L’envergure, la profondeur et la hauteur de vue de l’œuvre de

Chostakovitch constituent le point de mire de la musique sovié-

tique.

Il est symptomatique qu’au cours des dernières décennies, le



style et les procédés d’expression de Chostakovitch aient fortement

influencé le développement des compositeurs issus des républiques

nationales, d’Asie centrale en particulier. L’influence de

Chostakovitch est considérable sur les compositeurs intéressants

originaires du Caucase et de Transcaucasie. Et pourtant ces écoles

nationales (c’est surtout le cas en Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan)

C

HOSTAKOVITCH ET SON ÉCOLE



89

19

. Né en 1935.




L

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B

ERGER


présentent des orientations artistiques variées, combinant de façon

originale la tradition nationale avec un fond culturel large. Elles

incluent des individualités nettement affirmées et requièrent une

attention spécifique. Parmi les compositeurs connus de la généra-

tion des « quarante ans », on compte Tigran Mansourian

20

(Erevan)



et Ghia Kantcheli

21

(Tbilissi). Dans les républiques d’Asie centrale,



l’influence de Chostakovitch est plus directe. Il est vrai que cela

concerne davantage les moyens d’expression qu’une adhésion au

contenu interne. Les procédés d’expression propres à

Chostakovitch se marient de façon inhabituelle avec l’impression-

nisme et certains effets sonores, de même qu’avec la tradition

d’Aram Khatchatourian. Ils s’accordent pleinement avec l’hédo-

nisme musical des pays d’orient et le matériau thématique national.

Parmi les effets dramatiques relevant du symphonisme de

Chostakovitch, certains sont particulièrement populaires : les tutti

fortissimo, les roulements de timbale, les alternances soudaines et

brutales entre des culminations orchestrales tonitruantes et la douce

tranquillité des soli monologiques, ou encore les différents moyens

d’élaboration du tissu polyphonique orchestral. Tous ces procédés

figurent à présent dans l’arsenal de la musique symphonique et

théâtrale des musiciens d’Asie centrale.

Il est important de constater que les traits stylistiques de la

musique de Chostakovitch, russe (slave) par son orientation, et son

caractère figuratif (dramatique et psychologique) ont constitué

l’idiome communément employé par les musiciens d’

URSS


à un

niveau plus général, définissant ainsi une sorte de style classique

« soviétique ».

Union des compositeurs de l’

URSS

Traduction et notes de Pascale Melani

90

20



. Tigran Mansourian [Tigran Mansurjan] (né en 1939). 

21

. Ghia Kantcheli [Gija Kan



©eli] (né en 1935). 

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