La polygynie sororale et le sororat dans la Chine féodale



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1. Le prince de Han prend pour femme

2. La nièce du roi de la Fen,

3. La fille du seigneur de Kouei

4. Le prince de Han vient à elle !

5. Il vient au village de Kouei !

6. Cent chars roulent à grand tapage

7. Leurs huit sonnailles font grand bruit.

8. Vit on rien de plus éclatant ?

9. Les sœurs cadettes font escorte,

10. S’avançant comme des nuées !

11. Le prince de Han les regarde

12. Leur splendeur emplit le palais !

XXVII a. — Mao : glose aux vers 9 10.

Les seigneurs, en un seul mariage, prennent neuf femmes. Deux seigneuries envoient des suivantes (à la femme principale).

XXVII b. — Tcheng : glose aux vers 9 10.

Les suivantes sont nécessairement accompagnées de sœurs cadettes et de nièces : on ne nomme ici que les sœurs cadettes parce qu’elles sont d’un rang plus élevé.

XXVIII. — Che king, Kouo fong, Pei fong, 3, Couv., p. 31 :

Pièce qui passe pour faire allusion aux faits rapportés par Tsouo Wen, 188 a. Il serait question de Tchouang Kiang, princesse mariée à Wei et d’une de ses suivantes (ou, selon d’autres, d’une femme épousée par le duc Tchouang dans un autre mariage contracté à Tch’en.)

1. L’hirondelle et l’hirondelle envolées,

2. L’une vers l’autre ont leurs ailes penchées !

3. Cette fille qui s’en va se marier,

4. Au loin je l’ai suivie dans la campagne !

5. Mes regards ne peuvent plus l’atteindre,

6. Mes pleurs coulent comme la pluie !

(Le vers 3, classique pour exprimer la pompe nuptiale, est ici interprété par les glossateurs comme signifiant le retour d’une femme dans sa famille natale.)

XXIX. — Che king, Kouo fong, Chao nan, 11, Couvreur, p. 25.

Pièce destinée, dit la préface, à louer une suivante : La femme principale n’ayant point voulu d’elle pour compléter le nombre de ses suivantes, elle n’en conçut point de colère et plus tard la femme principale se repentit.

1. Le Fleuve a des bras secondaires

2. Cette fille en se mariant,

3. N’a point voulu de moi !

4. N’a point voulu de moi !

5. Puis voilà qu’elle s’en repent.

XXX. — Che king, Kouo fong, Chao nan, 1, Couv., p. 16.

(Cf. Fêtes et chansons anciennes, n° IX et les notes.) D’après la préface, la Vertu du roi Wen, après s’être étendue à sa femme T’ai Sseu, s’est répandue, par l’intermédiaire de celle ci ; à toutes les femmes royales, puis à toutes les femmes du royaume : Voici, dès lors l’interprétation symbolique de la chanson. Le prince, par sa Sainteté, a établi sa domination (la pie a fait le nid) ; la princesse, par sa Vertu, mérite d’être associée à lui (le ramier occupe le nid) ; enfin, les autres femmes du roi, sous l’influence de la première, acquièrent assez de mérite pour occuper aussi le nid (3e couplet) ; en fait, le rythme de la chanson indique que dans les trois couplets la pie symbolise la femme principale, la fille qui se marie, et les ramiers, les suivantes qui occupent les chars de l’escorte.

1. C’est la pie qui a fait un nid

2. Ce sont ramiers qui logent là !

3. Cette fille qui se marie

4. Avec cent chars accueillez la !

5. C’est la pie qui a fait un nid

6. Ce sont ramiers qui gîtent là !

7. Cette fille qui se marie,

8. Avec cent chars escortez la !

9. C’est la pie qui a fait un nid.

10. Ce sont ramiers plein ce nid là !

11. Cette fille qui se marie,

12. De cent chars d’honneur comblez la !


XXX a. — Combler (12e v.) signifie le grand nombre des suivantes, nièces et sœurs cadettes. Comp. l’expression rituelle : compléter le nombre des suivantes.

XXX. Note. — le Cocher, dans les rites du mariage du Yi li (cf. XXXII), joue le rôle de second du mari. Cent chars viennent à la rencontre de la mariée ; autant l’escortent ; autant forment l’ensemble des chars de la pompe nuptiale. On n’y verra point de difficultés si, d’une part, l’on tient compte du fait qu’au Yi li le Suivant du mari (le Cocher) agit toujours en connexion avec la Suivante de la femme, et si, d’autre part, l’on rapproche de ce fait l’usage pratiqué aux fêtes anciennes de la jeunesse, selon lequel les jeunes gens partaient par couples dans le même char (cf. Fêtes et chansons anciennes, chansons XII : Les mains jointes montons en char ; XXV, 14 : En char emmenez moi chez vous ; XXVI : La fille monte au même char. Voir encore XLV ; L, 7 ; LX, 1 et 2, 26 30 ; LXVI, 35 36 et surtout LVIII, 13 et 14) (cf. Li ki, Couv., I, p. 608 le fiancé jouant personnellement le rôle du cocher).

XXXI. — Yi li, « Mariage des nobles», Steele, I, chap. III et IV, p. 23. — [Quand le fiancé vient en personne au devant de la fiancée et que la fiancée l’attend dans la salle], la Suivante, habillée de noir et portant un bandeau et l’épingle de tête avec un manteau blanc et noir passé sur les vêtements, se tient derrière (la gouvernante de la mariée, c’est-à-dire en arrière de celle ci).

XXXI a. — Tcheng. — La Suivante, c’est la nièce ou la sœur cadette (Tcheng cite XXVII, vers 9).

XXXII. — Yi li, ibid., Steele, p. 23. — [La fiancée suit le fiancé qui la fait monter en char ; il conduit lui même le char pendant trois tours de roues (sur la valeur du nombre 3, voir XXIV, note 3) puis descend du char.] Le Cocher le remplace.

XXXIII. — Yi li, ibid., Steele, p. 24. — [Le cortège arrive d la maison du fiancé qui fait entrer la fiancée dans la chambre. Là sont disposés des lavabos.] La Suivante dispose une natte dans le coin sud ouest... La Suivante et le Cocher versent de l’eau (aux époux) pour qu’ils se lavent les mains, en croisant les places (cf. XL).

XXXIII a. — Tcheng. — La Ying, c’est la Suivante de la femme. Le Cocher, c’est le Suivant du mari. La Suivante de la femme verse de l’eau au mari qui se lave les mains dans le lavabo) du Sud ; le Cocher (Suivant du mari) verse de l’eau à la femme qui se lave les mains dans le lavabo du Nord. Le mari et la femme, aux débuts de leur union sentimentale, éprouvent une pudeur ; la Suivante et le Cocher, par leur action croisée, ouvrent la voie à leurs sentiments.

XXXIV. — Yi li, ibid., Steele, p. 25. — [Quand les préparatifs du repas communiel des époux sont terminés], le Cocher dispose une natte correspondant (à celle qu’a disposée la Suivante, cf. XXXIII ; celle qu’a disposée la Suivante est pour le mari ; celle que dispose le Cocher est pour la femme).

XXXV. — Yi li, ibid., Steele, p. 26. — [Le repas fini, les époux quittent chacun leur natte ; la femme reste dans la chambre, le mari passe dans la pièce latérale.] Le mari enlève ses vêtements dans la pièce latérale, la Suivante les reçoit. La femme enlève ses vêtements dans la chambre, le Cocher les reçoit.

XXXVI. — Yi li, ibid., Steele, p. 26. — Le Cocher étend la natte (de la femme) dans le coin Sud Ouest de la chambre. La Suivante étend la natte du mari à l’Est de la première.

XXXVII. — Yi li, ibid., Steele, p. 27. — [Les flambeaux sont emportés.] (Dans la pièce latérale), la Suivante mange les restes du mari, le Cocher les restes de la femme. Le maître de cérémonie puise du vin dans la jarre placée à l’extérieur et leur en donne [de même qu’il en a donné au mari et à la femme après le repas de noces].

XXXVIII.  Yi li, ibid., Steele, p. 27. — La Suivante attend en dehors de la porte (de la chambre des époux) de façon à entendre si on l’appelle. [Les glossateurs estiment que le Cocher reste aussi à attendre ; mais la Suivante est seule nommée parce que, étant d’un rang plus élevé, elle prêtera mieux attention au moindre indice d’appel.]

XXXIX. — Yi li, ibid., Steele, p. 30. — [La femme va se présenter à ses beaux parents, en reçoit une coupe de vin doux, puis leur offre à manger ; après quoi, elle se prépare à manger les restes du beau père qui l’en empêche. Elle mange alors ceux de la belle-mère.] Le Cocher l’aide à faire l’offrande des reliefs, millet glutineux et poumon.

XL. — Yi li, ibid., Steele, p. 30. — [La femme emporte les restes dans la pièce latérale.] La Suivante et le Cocher mangent les restes. La belle mère leur donne à boire. Même si la Suivante n’est pas la sœur cadette de la femme, elle a le premier rang (par rapport au Cocher). Dans cette cérémonie, il y a la même disposition croisée que dans le repas précédent (fait par la suivante et le cocher avec les restes des époux).

XL a. — Tcheng. — Autrefois, une fille qui se mariait était toujours accompagnée de sa sœur cadette ou de sa nièce qu’on appelait la Suivante. La nièce est une fille du frère aîné de la femme. La sœur cadette est une cadette. La sœur cadette est d’un rang supérieur à celui de la nièce. Même si la Suivante n’est pas une sœur cadette (mais une nièce), elle passe avant le Cocher parce qu’elle est une hôte. La disposition croisée indique que la Suivante mange les restes du beau père, et le Cocher ceux de la belle mère.

XLI. — Li ki, « Kiu li », Couvreur, I, p. 71. — Un seigneur n’appelle point par leurs noms personnels les ministres dits K’ing Iao, ni ses femmes de second rang (Che fou). Un grand-officier n’appelle point par leurs noms personnels, un vassal héréditaire, ni la nièce et la sœur cadette de sa femme (ses femmes secondaires). Un noble n’appelle pas par leurs noms personnels l’intendant de sa maison et sa première concubine.

[K’ong Ying ta est d’avis : 1° que cette première concubine est la sœur cadette de la femme ; 2° que les femmes de second rang (Che fou) d’un seigneur sont les deux Suivantes de sa femme (venues chacune d’un État différent).]

XLII. — Li ki, « Sang ta ki », Couvreur, II, p. 236. — Un seigneur touche de la main (aux cérémonies des funérailles, la poitrine de) celles de ses femmes les plus élevées en dignité... Un grand officier touche de la main (la poitrine) de la nièce et de la sœur cadette de sa femme (ses femmes secondaires).

XLIII. — Li ki, « Houen yi », Couv., II, p. 648. — Dans l’antiquité, la Reine (épouse) du Fils du Ciel plaçait en charge (les femmes du roi habitant) les six palais édifiés pour elles (savoir) les trois princesses fou jen, les neuf femmes du troisième rang Pin, les vingt sept femmes du quatrième rang Che fou et les quatre vingt une femmes de palais, Yu tsi (cf. Li ki, Kiu li, Couvreur, I, pp. 86 et 94 sqq. et Tcheou li, « Tien Kouan », articles in Biot, I, p.154 sqq.

[Les nombres de femmes donnés par ces textes sont assurément d’ordre théorique : ils ont été déterminés par le souci d’établir une équivalence numérique entre la hiérarchie féminine aboutissant à la reine et la hiérarchie masculine aboutissant au roi. Les glossateurs remarquent que le Tcheou li ne donne de nombres que pour les 3 fou jen et les 9 pin ; ils concluent généralement que le nombre des autres femmes n’était point fixe et que les chiffres donnés ici indiquent une espèce d’optimum. Pour les douze premières femmes, ils en expliquent le nombre par le fait que les femmes du mariage royal venaient de quatre États, et de chacun, selon la règle, par groupes de trois. Mais il y a une difficulté : la reine n’est pas comprise dans les pin et les fou jen, et comme il faut la compter, on arrive au chiffre de treize femmes. Je pense qu’il faut admettre que, à l’organisation normale du harem royal, savoir une reine, ses trois suivantes, et leurs huit nièces ou sœurs cadettes, plus un nombre indéfini de femmes du palais, s’est substituée une organisation d’ordre théorique (et, en fait, appliquée ou non) fondée sur la valeur du nombre 3 et de ses multiples, 3, 9, 27, 81. ]

XLIV. — Les érudits chinois se sont efforcés de reconstituer les règles donnant l’ordre selon lequel les femmes approchaient du mari dans les différentes sortes de ménages polygyniques. Il y a certainement une part d’arbitraire et de théorie dans ces reconstitutions ; elles ont au moins le mérite de montrer que, pour les Chinois, les rapports conjugaux doivent être strictement réglementés (comp. Fêtes et chansons, nos XXXIX et LXVII). Je réunis ici les commentaires les plus intéressants.

Li ki, « Nei tsö », Couv.., I, p. 661.    Une femme secondaire, même vieille, si elle n’a pas 50 ans (époque théorique du retour d’âge, en vertu de la théorie que la vie féminine est réglée par le nombre 7 : 7x7=49=50) doit coucher avec son mari une fois tous les cinq jours.

XLIV b.Tcheng. — Coucher avec le mari une fois tous les cinq jours est un règlement propre (à la classe) des seigneurs. Les seigneurs épousent neuf femmes. Les nièces et sœurs cadettes couchent avec le seigneur deux par deux, ce qui fait trois jours ; puis viennent les deux suivantes, ce qui fait quatre jours ; puis la femme principale a sa nuit particulière, ce qui fait cinq jours. Le Fils du Ciel couche une fois tous les quinze jours (avec chacun de ses groupes de femmes).

XLIV c. — Tcheng (glose au Tcheou li, v°). — A partir des neuf Pin (femmes de troisième rang) les femmes du roi couchent avec lui neuf par neuf.    Le règlement qui détermine l’ordre selon lequel les princesses couchent avec le roi, est fondé sur le fait que la lune est le symbole de la reine. Les femmes les moins nobles (vont coucher avec le roi) les premières (au début de la lunaison) ; puis viennent les plus nobles. Les femmes du palais, qui sont 81 (groupées en groupes de 9) ont neuf nuits pour elles ; les femmes de quatrième rang Che fou, qui sont 27, ont trois nuits pour elles ; les 9 Pin, qui sont 9, ont une nuit pour elles ; les trois fou jen ont une nuit pour elles ; et la reine une nuit soit un tour de quinze jours ; après la pleine lune (nuit réservée d la reine) on suit l’ordre inverse. (Dans les ménages seigneuriaux) la nièce et la cadette de la femme principale (qui forment l’un des groupes de deux) étant moins nobles que les deux suivantes (qui font un autre groupe) passent d’abord. Les grands officiers ont une femme et deux femmes secondaires (cadette et nièce) : pour elles le tour est de trois jours. Les Nobles ont une femme et une femme secondaire (ordinairement cadette de l’épouse), le tour est pour elles de deux jours. La femme secondaire ne doit pas empiéter sur le jour réservé à l’épouse ; quand c’est son tour, elle ne doit pas prendre la nuit tout entière. Quand elle voit les étoiles, elle se retire (cf. Fêtes et chansons, la chanson des Petites étoiles, LXVII, p. 142).



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III


La société chinoise des temps féodaux

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Les textes que j’ai rassemblés établissent de façon formelle que la polygynie sororale était une coutume généralement suivie, en fait, et obligatoire, en droit, dans la noblesse, à la période féodale de l’histoire chinoise, qu’on nomme d’ordinaire la période Tch’ouen Ts’ieou et qui correspond à la fin de la dynastie des Tcheou (15). Les faits que les chroniqueurs nous ont conservés sont assez nombreux et assez explicites pour permettre une étude assez détaillée de l’usage ; mais ce n’est pas là peut être le plus grand intérêt de ces faits chinois : ils sont principalement précieux parce qu’ils donnent le moyen de considérer une institution matrimoniale, connue jusqu’ici par des données ethnographiques un peu fragmentaires, dans ses rapports avec un état défini de l’organisation familiale et sociale.

Je donnerai d’abord en raccourci les traits caractéristiques de cette organisation (16).

À l’époque féodale, le peuple chinois se divise en deux parts ; d’un côté, la noblesse ou ce que les érudits indigènes appellent les familles distinguées, de l’autre, le peuple des campagnes, les familles de gens simples, rustiques (17), ceux que les textes désignent le plus souvent par l’expression Chou jen, la plèbe.

Les rites, dit le Kiu li (18), ne s’appliquent pas aux gens du peuple : en effet, les grands recueils rédigés par les ritualistes ne nous renseignent point sur les usages populaires, et nous ne posséderions sur eux que des indications isolées si le Che king ne nous avait conservé un ensemble important de vieilles chansons où nombre de ces usages se sont inscrits.

Les familles rustiques habitaient la campagne hors de l’influence du gouvernement établi dans les villes (19) ; elles y vivaient dans des villages enclos, Li (20), réunissant toutes les maisons d’un groupe de personnes (21) dont la parenté était indiquée par un nom de famille, Sing, propriété commune du groupe : il y a des chances que ce nom de la famille fût celui du village familial (22). Unis par la communauté du nom, lien mystique qui leur apparaissait comme le signe d’une identité spécifique, les parents vivaient dans une intimité complète de sentiments et de désirs (23) ; ils formaient un groupe d’une solidarité si parfaite que leur parenté n’apparaissait point comme le résultat de liens personnels, mais qu’elle dérivait simplement de la vie en commun ; c’était une parenté de groupe où ne se distinguaient point des rapports définis ; le langage n’éprouvait pas le besoin d’attribuer un nom particulier au père et un autre à l’oncle ; le même mot suffisait pour la femme de celui ci et pour la mère, de même qu’il n’en fallait qu’un pour désigner le fils et le neveu. La nomenclature de parenté n’avait à tenir compte que des différences de sexe, d’âge et de génération. Dans ce groupement strictement homogène, pas de hiérarchie ou presque ; les membres du groupe se classaient d’après l’âge (24) et le doyen parlait au nom de tous. C’était par des repas de famille que s’entretenait le sens de la communauté domestique, qui semblait reposer sur une identité substantielle, identité absolue entre deux parents de même génération (25) ; quand meurt le doyen d’une famille, s’il reste un membre de la génération du mort, il remplit à sa place les fonctions du disparu ; on ne peut pas dire qu’il lui succède ; il n’y a pas de succession entre des gens de même génération : ils se suppléent par rang d’âge (26), trop indistincts entre eux pour que le passage de l’un à l’autre paraisse marquer un changement.

La solidarité indistincte qui unit les membres d’un groupe familial se traduit d’abord dans ces manifestations de l’unité domestique que sont les repas communiels, ou encore les réunions de toute la parenté à l’occasion d’une mort ; elle est surtout sensible dans ce fait que le groupe est absolument fermé ; même après qu’une organisation hiérarchique s’y fut développée, même après l’avènement d’une autorité familiale, de type seigneurial, et presque aussi forte que la romaine, jamais il ne fut possible au chef de famille d’introduire des éléments étrangers dans le corps domestique : pour perpétuer sa lignée, pour instituer un héritier du culte, il demeura toujours obligé de prendre son fils adoptif à l’intérieur du cercle familial (27). La vertu caractéristique (28) d’une famille, qui est le fondement de la parenté, est intransmissible, incommunicable.

Les groupes familiaux s’opposent fortement entre eux, au moins dans le cours ordinaire de la vie : pendant la bonne saison, les parents cultivent en commun le champ domestique ; pendant l’hiver, ils s’enferment tous dans le village familial. Mais le printemps et l’automne sont l’occasion de fêtes où ils se réunissent avec leurs voisins. Dans ces rapprochements solennels, les groupes voisins, fermés d’ordinaire, séparés et hostiles, s’ouvrent brusquement au sentiment inaccoutumé d’affinités qui les relient entre eux. Autant ils sont habituellement jaloux de leur indépendance, autant ils se sentent obligés, dans ces fêtes, à se fondre en une communion complète et pathétique ; ces groupes, usuellement impénétrables, se mêlent alors de toute manière : par un système d’échanges pratiqués avec la plus large libéralité, ils épuisent toutes leurs ressources : ce qu’ils gardaient jalousement, ils le livrent à l’orgie commune, les produits de leur terre, les enfants de leur sang. Aucun d’eux ne veut rien garder qui détruirait à son profit l’équilibre des forces traditionnelles sur quoi repose l’alliance des groupes voisins, car, de cette alliance, tous ont alors le sentiment qu’elle est un bienfait suprême (29). Ainsi, grâce à des prestations mutuelles de type exhaustif, des groupes locaux réussissaient à se constituer en une Communauté de pays. Dans l’intense émotion de leur rapprochement extraordinaire, les groupes voisins arrivaient à sentir dans leurs différents génies spécifiques assez d’affinités pour les autoriser à s’envoyer mutuellement leurs filles comme épouses. Les Communautés de pays avaient pour fondement stable un système équilibré d’échanges matrimoniaux opérés en bloc ; elles rajeunissaient périodiquement leur force pour une célébration collective des mariages.

Il semble que l’organisation des Communautés de pays ait été d’abord très simple : très peu nombreux étaient les groupes familiaux qui constituaient chacune d’elles, c’est à dire qui sentaient assez d’affinités entre leurs génies spécifiques pour pouvoir s’unir par une alliance matrimoniale : pour prendre femmes, le choix d’une famille déterminée était limité à un petit nombre d’autres familles (30). Il y a des raisons de croire qu’à l’origine une Communauté ne comprenait que deux groupes familiaux échangeant entre eux leurs filles : cette hypothèse est la seule qui rende compte de la nomenclature de parenté chinoise, où un seul mot suffit pour père et frère du père, pour mère et sœur de la mère, pour sœur du père et belle mère, pour frère de la mère et beau père, et dans laquelle un homme ne distingue point entre son gendre et le fils de sa sœur (31).

Pour résumer, la plèbe chinoise, telle qu’elle m’apparaît, était organisée en Communautés de pays, et chaque Communauté consistait en un couple de groupes locaux homogènes qui maintenaient entre eux un équilibre traditionnel, grâce à des prestations mutuelles et périodiques de type exhaustif. La principale de ces prestations était celle qui fondait l’alliance matrimoniale, savoir un échange régulier de toutes les filles du groupe en âge d’être mariées.

Les érudits chinois ont bien marqué l’opposition des principes d’organisation de la société populaire et de la noblesse féodale : dans les groupes homogènes que forment les gens des campagnes, tout revient « à traiter ses proches en proches (32)» c’est-à dire au sentiment des liens domestiques. Ce qui caractérise, au contraire, la société noble, c’est le sentiment de la hiérarchie, la reconnaissance d’autorités constituées, dans l’ordre politique comme dans l’ordre familial.


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