La polygynie sororale et le sororat dans la Chine féodale



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Celui qui s’engage une fois pour toutes dans une alliance matrimoniale avec une famille unique ne serait point payé de retour si cette famille ne se donnait pas à l’alliance intégralement. Ainsi s’explique l’obligation où celle ci se trouve de donner comme épouses non pas une mais autant de femmes que l’exige le rang de son gendre ; car c’est d’après lui que se mesure l’importance de l’alliance offerte.

Un noble recevait en mariage un lot de femmes suffisant pour qu’il fût assuré de toujours fournir une servante à ses ancêtres. Il les épousait en une fois, par le même contrat, et dans une cérémonie unique ; il les épousait toutes ensemble (80), mais contractait avec chacune d’elles un lien particulier selon la hiérarchie qui existait naturellement entre elles d’après leur naissance. L’aînée devenait la femme principale ; épousée par un seigneur elle avait, seule, le rang de princesse. C’est que, dès la cérémonie du mariage, elle était placée sur le même rang que son mari. Au repas des noces, l’époux et sa femme aînée se placent côte à côte, mangent ensemble des mets servis par deux ou par moitiés, font un nombre égal de libations et boivent dans une même calebasse divisée en deux parties égales (81). Les autres femmes n’ont pas le droit de manger avec leur seigneur, elles ne communient point avec lui sur un pied d’égalité, elles mangent ses restes, comme fait un vassal (82). Cette communion, plus ou moins complète se renouvelle, avec les mêmes différences hiérarchiques, après un accouchement, avant que le mari reprenne des relations sexuelles avec l’épouse délivrée (83). Par ces rapprochements substantiels, toutes les femmes obtiennent le droit de venir partager le lit du seigneur ; elles n’y vont pas toutes avec la même pompe, les cadettes moins souvent que l’aînée et sans jamais rester auprès de lui une nuit tout entière (84). Une fois rapprochées de l’époux par les rites nuptiaux, toutes pénètrent dans sa famille ; toutes sont présentées aux beaux parents ; sans doute la première épouse joue le rôle principal ; elle fait l’offrande au beau père et à la belle mère, et elle mange la première les restes ; mais les autres en mangent à leur tour et toutes, selon leur rang, reçoivent des parents du mari, une coupe de liqueur, signe qu’ils les reconnaissent comme brus, témoignage qu’elles sont, dès lors, considérées comme appelées à succéder éventuellement à leur belle mère dans ses fonctions de maîtresse de maison (85). Enfin, toutes sont admises à collaborer au culte ancestral, l’épouse principale pour y présider à côté du mari, les autres pour aider leur aînée, de la même façon que les frères cadets viennent, en ce cas, aider le chef de famille (86).

Ni les ancêtres, ni les beaux parents, ni le mari ne se voient privés d’une servante ou d’une auxiliaire indispensable, si l’épouse vient à mourir : celle de ses suivantes qui vient immédiatement après elle, en dignité, est toute prête pour la suppléer. La suppléante (87) remplit, à la place de la défunte, toutes les fonctions qui lui étaient dévolues : car elle est déjà accoutumée au mari et incorporée à la vie familiale. Elle tient la place de l’aînée, comme un cadet tient celle du premier né, si celui ci meurt sans successeur (88). Cadet ou suivante tiennent la place pour le compte du mort ; ils ne le remplacent pas ; ils n’accèdent pas à une dignité nouvelle ; la Suivante ne prend point le titre de princesse (89) ; le gouvernement du cadet ne compte point pour un règne (90). Il n’y a de succession qu’entre générations différentes ; entre les membres d’une même génération, il n’y a qu’une substitution de personnes qui n’implique aucun changement de fond, tant est resté puissant, dans le droit chinois, ce principe hérité du temps où la parenté était une parenté de groupes, savoir qu’il y a entre les parents d’une même génération une identité substantielle telle qu’elle rend leurs personnalités indistinctes, ou telle, si l’on veut, qu’ils ne forment qu’une personnalité juridique collective.

Cette idée, de toute évidence, est au fond du type de contrat qui rend possible l’institution polygynique, institution essentielle dans un système féodal où l’idée d’un équilibre traditionnel des groupements familiaux joue le rôle que l’on sait. Or, il est clair, d’autre part, que cette idée se trouve en contradiction avec les principes juridiques de la famille féodale, dans laquelle les liens de parenté sont avant tout des liens personnels. Donc, pour si fondamentale que soit cette idée, il n’y a pas lieu de s’étonner si les coutumes polygyniques n’ont pas pu se développer dans la société noble sans y porter atteinte. Bien que, par essence, la polygynie semble être sororale, les habitudes de la noblesse admettent dans un lot d’épousées d’autres parentes que des sœurs. Nous allons essayer de comprendre les raisons précises d’un tel manquement au principe de l’usage.

Une famille qui s’alliait à un noble ordinaire devait lui donner deux épouses, trois à un grand officier, neuf à un seigneur, et, selon les traditions, neuf ou douze au roi (91). Ces différences marquent, sans doute, les valeurs diverses qu’on attache à l’alliance des nobles de divers rangs : à l’alliance la plus honorable, à l’allié le plus puissant et qui peut le plus exiger, on donne le plus. Le plus riche a droit aux prestations les plus abondantes et l’abondance de femmes est un des signes extérieurs les plus éclatants de la Fortune féodale.

Le duc de Ts’in, qui croit Tch’ong eul réservé à la plus haute destinée, lui envoie une prestation du chiffre exceptionnel de cinq femmes (92). Houan, duc de Ts’i, qui aspire à l’hégémonie, se constitue un harem comparable à celui du Fils du Ciel (93). Kouan Tchong, puissant ministre, prend autant de femmes qu’un seigneur (94). Les seigneurs de Lou, qui descendent du fondateur de la dynastie Tcheou, , profitent du renom de sagesse de leur fille Po Ki pour lui donner autant de suivantes que si elle eût fait un mariage royal (95). Le faste matrimonial donne aux seigneuries un prestige dont est faite en partie leur puissance : on le sent bien à lire les épithalames du Che king (96). Celui, en particulier, qui fut fait pour le mariage du prince de Han, donne nettement l’impression que l’immense Fortune de ce seigneur lui vint de la gloire dont le couvrit la splendeur de ses noces. C’était donc par le mariage que l’on se classait, et il n’y aurait plus eu aucune stabilité dans la hiérarchie féodale, si l’étiquette n’avait pas imposé à chacun le nombre protocolaire d’épouses qui correspondait à son rang, et mesurait au juste sa part légitime de prestige.

Ainsi, une famille est tenue de fournir à son gendre le nombre régulier de femmes auquel lui donne droit son rang, nobiliaire. Il est remarquable que, quel que soit ce nombre, c’est toujours, à tous les degrés de la hiérarchie sauf un (97), un nombre représentatif de la totalité. Un seigneur, dit le Po hou t’ong, a droit à neuf femmes : il se règle sur la terre qui possède neuf départements, lesquels suffisent à tout produire sous l’influence de l’action céleste (98) ; de même il ne faut pas au prince plus de neuf femmes pour exercer son action de façon complète. Qui avec neuf femmes n’aurait point d’enfants, n’en aurait pas plus avec cent (99). Le Fils du Ciel qui prend douze femmes se règle sur le Ciel qui n’a besoin que de douze mois pour tout produire (100). Ainsi c’est assurément une marque plus éclatante d’honneur de prendre douze et non pas neuf femmes ; mais avec neuf on a autant de garanties de Bonheur féodal qu’avec douze. Avec trois femmes seulement, un grand officier n’a pas moins de garanties, car si trois est 1e plus petit des nombres symboliques de la totalité, il est peut être celui qui la représente le plus parfaitement (101). Au reste, neuf et douze ne sont que des multiples de trois : ils symbolisent, si je puis dire, une surenchère de la totalité. Comme les grands officiers, seigneurs et Fils du Ciel ne prenaient pas plus de trois femmes dans une seule branche familiale ; seulement ce n’était point une seule branche familiale qui était tenue de leur donner en mariage un nombre de ses filles représentatif de la totalité, c’étaient trois (102) branches familiales, qui leur en fournissaient chacune autant : trois, c’est à dire toutes. Tandis qu’un seul rameau familial épuisait ses ressources pour mériter l’alliance d’un grand officier, il fallait pour obtenir celle d’un seigneur, prince souverain dont le prestige rayonne dans toute la confédération féodale, épuiser toute sa parenté et faire collaborer aux prestations, au moins symboliquement, toutes les seigneuries de même nom.

Les nombres protocolaires qui règlent les prestations de l’alliance matrimoniale indiquent emblématiquement qu’elles doivent avoir un caractère complet. Sans doute un grand-officier (103) ne se voit fournir de femmes que par une seule branche familiale, sans doute aussi, un noble ordinaire n’a t il droit qu’à deux épouses (et deux n’est point signe de la totalité) : même pour eux, le terme employé pour désigner la prestation qui détermine l’alliance indique qu’il est de son essence d’être complète. Le mot rituel qui l’exprime (104) est le mot qui signifie la plénitude et la totalité (105). I1 est l’équivalent des mots qui tous donnent l’idée de plein, de complet, de parfait. Dans la poésie, ce sont les cent chars de la pompe nuptiale (106) — cent est un signe de la totalité — qui reviennent rituellement signifier, par emblème, que la prestation est complète, comme il se doit.



C’est la pie qui a fait un nid,

Ce sont ramiers plein ce nid là !

Cette fille qui se marie

De cent chars d’honneur comblez la !

Quand une famille contracte une alliance par mariage, elle remet à son gendre autant de femmes que son rang le mérite et que l’importance de l’alliance l’exige, mais la prestation qu’elle fournit alors est toujours un signe qu’elle ne ménage rien pour se donner entièrement à l’alliance contractée. Pourtant, il est remarquable qu’en aucun cas le lot d’épouses qui symbolise numériquement le caractère intégral de l’alliance, ne peut être pris entièrement parmi les filles d’une même génération. Dans chacune des branches familiales qui lui envoient des femmes, un seigneur ni un roi ne peuvent prendre plus de deux sœurs (107) : quel que soit leur prestige, ils n’en peuvent prendre trois ; celui qui oserait le faire, tel le duc Wang de Mi, donnerait la preuve d’une arrogance qui, à coup sûr, déterminerait sa perte : c’est un excès punissable qu’épouser trois sœurs, car c’est signifier, de manière symbolique, que l’on prétend accaparer (108) toutes les ressources dont une famille dispose, dans le présent, pour fournir à ses alliances. Ainsi, il faut, d’une part, que l’alliance soit intégrale et, d’autre part, qu’elle ne le soit point absolument. Cette règle contradictoire s’explique par le double besoin qui était au fond de la société féodale : conserver la stabilité due aux groupements traditionnels et laisser pourtant une certaine liberté qui permette ; les accroissements de prestige et les développements d’influence.

C’est de ce besoin contradictoire qu’est sortie une transformation notable de l’institution polygynique. Les nobles, soumis au pouvoir seigneurial, ne furent point autorisés à former des groupements familiaux trop étroitement solidaires ; les alliances matrimoniales qu’ils eurent le droit de former ne le furent point par des prestations d’un type exhaustif : ils ne purent obtenir de leurs alliés que deux filles, garantie insuffisante de l’intégralité et de la permanence des liens créés entre les familles par le mariage (109). Chaque seigneur fut obligé de tenir compte du désir qu’avaient tous les autres d’accroître leur champ d’influence ; il n’osa pas exiger des prestations qui fussent l’emblème d’une alliance intégrale ; il obtint du moins de recevoir par elles les gages d’une entente durable (110) : les lots d’épouses qui lui étaient dus ne comprirent chacun que deux sœurs, mais ils furent complétés par l’appoint d’une nièce ; ils n’épuisaient point toute une génération, mais ils apportaient par avance un lien avec la génération suivante. La famille des femmes ne se donnait point absolument à l’alliance conclue, (elle se réservait la possibilité d’autres alliances contrebalançant la première ; mais elle s’engageait à conserver à celle ci le premier rang ; pour cela, elle donnait comme gages, avec une fille aînée et une cadette, leur nièce, fille de leur frère aîné, c’est à dire un membre de la droite lignée qui fournit les chefs de famille (111). Ainsi les familles alliées se livraient incomplètement l’une à l’autre et prenaient en même temps souci de l’avenir. Prendre une nièce dans un lot d’épouses, s’emparer par avance de garanties sur la génération suivante, c’est manifester le désir que le rapprochement des familles soit durable, mais c’est aussi indiquer qu’elles ne forment point un groupement d’une permanence assurée.

On voit assez bien comment les nécessités de l’organisation féodale ont amené à compléter les lots d’épouses avec une nièce : mais il est clair que c’est là une innovation en contradiction avec les principes des usages polygyniques. Pour qu’ait été possible la création, par un mariage unique, des liens divers qui unissaient le mari à toutes ses femmes, pour qu’elles aient pu se suppléer l’une l’autre sans que se sentît aucun changement, il faut supposer qu’il existait entre elles une espèce d’identité foncière qui n’est convenable qu’entre sœurs, et qui ne se conçoit que dans le cas où la parenté est une parenté de groupes. En fait, la règle qui impose une nièce comporte des difficultés que les Chinois ont senties : il y a de grandes chances qu’il y ait entre elle et ses tantes une assez forte différence d’âge ; comment pourront elles se marier ensemble et toutes ayant sensiblement vingt ans, âge requis ? Si la nièce attend d’avoir l’âge dans la maison natale (112), autre difficulté : comment peut elle être liée par les rites du contrat matrimonial ? Comment peut il y avoir mariage unique, ce qui est un des principes essentiels de l’institution ? Il est, du reste, remarquable que toutes les suivantes dont nous parlent les chroniques sont des cadettes et non des nièces (113). Le texte du Yi li ne parle que de la cadette (114). Le Yi king ne mentionne qu’elle (115). Elle est seule à figurer dans le Che king (116). Le roi Ling de Tch’ou fut enterré avec les deux filles d’un vassal fidèle qui en fit ses épouses mortuaires (117). Chouen épousa deux sœurs, les filles de Yao (118). Le duc K’ang ne rencontra sur les bords de la King que des sœurs (119). Kien Ti n’était accompagnée que par sa cadette quand elle prit part, auprès de la rivière du tertre Yuan, aux fêtes printanières du mariage (120).

La polygynie que pratiquait la noblesse féodale est loin d’être une invention cohérente du législateur. Elle commença par être strictement sororale, puis prit une forme plus compliquée : cette transformation, qu’expliquent les principes de l’organisation féodale, peut se faire seulement lorsque, d’une part, les groupements traditionnels de familles ayant perdu leur caractère impérieux, on voulut donner à l’alliance matrimoniale une base moins large et plus durable, et que, d’autre part, la reconnaissance des liens individuels de parenté et la primauté donnée aux lignées directes laissèrent concevoir autant d’intimité entre une nièce et sa tante qu’entre deux sœurs. Puisque, sous l’influence du droit féodal, l’institution dévia de ses données premières, il y a lieu de croire qu’elle n’est point une institution proprement féodale, mais héritée d’un droit plus ancien. Or, elle suppose des groupements traditionnels de familles obtenus par un système d’alliances matrimoniales définitives et complètes, stables et intégrales, que l’on retrouve précisément dans le droit populaire. On peut donc penser que la polygynie sororale pratiquée par la Noblesse des temps féodaux dérive des institutions matrimoniales du droit populaire. Celui ci, en même temps qu’il admet l’existence de la parenté de groupe, ne connaît point celle d’autorités domestiques ou autres. Il ne connaît aucun chef de famille ou de culte autorisé à conclure au bénéfice de la famille, mais en son nom personnel, une alliance matrimoniale : en conséquence, il y a lieu de supposer que le contrat matrimonial, qui, dans l’institution polygynique, engageait d’un seul coup un groupe de femmes et, primitivement, un groupe de sœurs, devait aussi, à l’origine, engager d’un seul coup un groupe de frères. Peut on retrouver les traces de ce mariage collectif ?

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Origines et histoire des institutions polygyniques



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Si la polygynie sororale dérive du mariage d’un groupe de frères et d’un groupe de sœurs, on doit trouver les témoignages, au moins à l’état de survivances, d’un lien d’ordre matrimonial unissant beaux frères et belles sœurs. Et, en effet, il en existe un qui est significatif. On sait que le deuil est la principale caractéristique des relations de parenté ; deux personnes qui portent le deuil l’une de l’autre sont parentes et n’ont point le connubium : celui ci existe, au contraire, entre ceux qui ne se doivent point de deuil. Or, on doit le deuil à toutes femmes entrées par mariage dans la famille, épouses d’oncles ou de neveux ; on n’en porte point pour les belles sœurs, et celles ci n’en portent pas pour leurs beaux frères (121).

Cette absence de deuil, les auteurs chinois la notent avec insistance surtout dans le cas du frère cadet et de la femme du frère aîné ; ils l’expliquent en disant qu’on a voulu ainsi les éloigner l’un de l’autre (122). Il y a là, sans doute, une trace du lévirat. En fait, on le voit à lire leurs ethnographes, les Chinois ne manifestent une haine véritable que pour le mariage du frère aîné avec la veuve du cadet (123) et leur histoire offre quelques exemples de mariage avec la femme d’un collatéral (124) ; un seul, à vrai dire, est un cas de lévirat. Le frère de Chouen, croyant celui ci mort, opère, avec des formules qui ont l’air d’être rituelles, l’attribution des biens de l’héritage : il prend pour lui les deux filles de Yao épousées par Chouen (125). Étant donné le développement du droit chinois en matière d’inceste, l’interdiction du lévirat ne peut pas plus surprendre que l’absence des témoignages historiques sur cette pratique. Resterait à voir s’il n’est point resté en usage dans le peuple ; sur ce point, nous sommes mal renseignés : je ne connais qu’un fait, assez suggestif. Bien que la loi chinoise punisse de mort le mariage avec la veuve d’un frère, elle semble admettre des circonstances atténuantes quand ce crime a été commis dans une famille pauvre et paysanne (126).

Une autre série de faits mérite peut être davantage l’attention : ce sont ceux qui sont relatifs aux interdictions anciennes qui séparent le cadet de la femme de l’aîné. Il leur est interdit de s’adresser la parole (127) ; si l’un meurt, l’autre n’a pas le droit de pratiquer, comme il faut le faire sur tout autre parent défunt, le rite de l’attouchement (128). Il est impossible de ne pas rapprocher cette règle de celle qui, de nos jours, interdit à la sœur cadette de la femme, épouse présomptive du mari, de passer la porte de sa maison (129). Il est clair que le beau frère cadet et la belle sœur aînée agissent, l’un par rapport à l’autre, comme deux fiancés (130). Les progrès de la morale, qui ont rendu impossible leur mariage, n’ont point fait disparaître les interdictions qui semblaient les éloigner l’un de l’autre. Elles sont, en réalité, les traces d’usages anciens les autorisant à des rapports maritaux éventuels.

Si peu nombreux qu’ils soient (131), les indices d’une pratique ancienne du mariage collectif que nous venons d’énumérer suffisent à donner une pleine valeur à un fait de langage, qui est le suivant. Une femme chinoise désignait de la même façon sa suivante, épouse secondaire de son mari, et sa belle sœur, femme du frère cadet du mari : tels sont en effet les deux sens du mot, dont le sens premier semble être celui de sœur cadette (132). Or, la vieille organisation plébéienne suppose un échange régulier des filles entre deux groupes exogames, régis chacun par le système de la parenté du groupe, et organisés de façon à former un couple de familles traditionnellement associées (133). Il paraît donc légitime de penser que le mariage primitif fut conçu comme l’union collective d’un groupe de frères à un groupe de sœurs.

On ne doit pas penser que cette union collective établissait entre tous les participants une promiscuité indistincte : ce serait laisser sans explication possible les interdictions qui séparent beaux frères et belles sœurs. Il semble plutôt que de cette union résultait, en même temps que des droits secondaires rendant possibles à chacun et à chacune des rapports maritaux éventuels, un droit de préférence maritale par lequel étaient formés des couples individualisés. On sait, d’après Howitt, que tel est le cas des nègres du sud est australien (134). Il existe chez eux deux types de relations matrimoniales ; l’une nommée Tippa malku sert à former des ménages ; l’autre nommée Pirrauru, unit d’un lien secondaire un groupe d’époux Tippa malku. Chaque femme devient une épouse Tippa malku avant de devenir une épouse Pirrauru ; une Pirrauru est toujours une sœur de la femme ou une femme du frère ; la relation naît de l’échange, fait par les frères, de leurs femmes ; pendant l’absence du mari Tippa malku, le mari Pirrauru prend la femme du premier sous sa protection : deux frères mariés à deux sœurs vivent habituellement ensemble en un groupe matrimonial de quatre personnes. Les Kurnandaburi pratiquent les mêmes usages, mais, chez eux, existent en même temps que des rapports maritaux entre beaux frères et belles-sœurs (époux Pirrauru) une interdiction qui leur défend de se voir en public ou de converser librement (135). Chez les Todas, le mariage normal consiste en une polyandrie fraternelle : mais il n’est pas rare que celle ci se double de polygynie sororale ; un groupe de frères forme avec un groupe de sœurs un ensemble matrimonial dans lequel les rapports d’ensemble n’excluent point les relations particulières de couples conjugaux. Les deux groupes ainsi réunis en un ensemble matrimonial sont composés d’enfants de frères et de sœurs (matchuni) (136).

Je pense que les Chinois, avant de passer, non pas comme les Todas à la polyandrie fraternelle, mais à la polygynie sororale, ont pratiqué un mariage de groupe analogue à ceux qui viennent d’être décrits. Cette hypothèse est, à mon sens, la seule qui puisse rendre compte des cérémonies par lesquelles se contractait un mariage noble.

Laissés à eux mêmes, les époux prétendus eussent été incapables de réussir leur rapprochement matrimonial ; il fallait à l’un et à l’autre, pour y arriver, la collaboration d’un suivant et d’une suivante : ceux ci, par une action croisée (137) ou (138) ouvraient la voie à leur union sentimentale (139). Le suivant du mari aidait la femme, la suivante aidait le mari à opérer les lustrations préparatoires (140) ; la première disposait la natte où le mari s’asseyait pour le repas de noces (141), l’autre étendait celle de la femme (142) ; tous deux préparaient ensemble la couche nuptiale, arrangeant l’un la place de l’époux, l’autre celle de l’épouse (143). La suivante aidait le mari à se dévêtir ; la femme remettait ses vêtements au suivant du mari (144). Dans une société où la séparation des sexes est un principe fondamental, l’intimité particulière des rapports établis par ces pratiques, entre des personnes de sexe différent ne peut se comprendre que s’il doit exister entre elles des rapports maritaux ; et, en effet, c’est grâce à ces pratiques que la suivante de la femme est rapprochée du mari et en devient une épouse secondaire ; les mêmes pratiques ne donnaient elles pas au suivant du mari des droits secondaires sur l’épouse ?


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