La polygynie sororale et le sororat dans la Chine féodale



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La noblesse, ce sont les habitants des villes seigneuriales (33), ceux qui se sont placés sous la recommandation d’un seigneur, qui sont ses vassaux, qui en ont reçu une investiture, qui lui doivent l’hommage, le service et le conseil, qui forment, sous sa direction, un groupe hiérarchisé, une cour. Le seigneur est représentant d’une race sacrée, douée d’une Vertu spécifique qui l’habilite à exercer une Influence souveraine sur un pays déterminé. Par une espèce de collégialité avec le lieu saint de son pays, le seigneur possède un pouvoir régulateur dont dérive une double autorité sur les hommes et sur les choses (34) ; en raison de ce pouvoir tutélaire par lequel il réussit à accorder le cours de la nature et les besoins humains, la terre est considérée comme son domaine et les hommes comme ses vassaux. Il réunit une cour dans sa ville, à côté des temples où il rend le culte qui entretient en lui les Vertus de sa race : ses vassaux l’assistent dans ce culte et participent avec lui à l’influence bienfaisante qui en dérive ; ils y participent plus ou moins, selon l’étroitesse du lien vassalitique qui les unit au seigneur (35). Les fidèles immédiats, qui communient avec lui dans les banquets sacrificiels de la façon la plus directe, obtiennent, de ce fait, comme une délégation de sa puissance régulatrice : les grands officiers reçoivent une portion du domaine seigneurial ; ils ont une terre et des vassaux ; ils sont seigneurs, mais à titre précaire, et, au moins théoriquement, à titre viager. Communiant moins directement avec les forces mystiques qui constituent le pouvoir du chef, les simples nobles ne reçoivent en principe qu’un fief de nature mobilière : il consiste essentiellement dans la nourriture, principalement dans les viandes de sacrifice, qu’ils reçoivent du seigneur. Ils n’ont point droit à posséder un domaine ou des vassaux proprement dits ; mais ils sont revêtus d’un caractère auguste qui leur permet d’avoir, dans leur propre famille, figure de seigneurs.

La famille noble, comme la société, est de forme hiérarchique : elle est caractérisée par l’existence d’une autorité domestique. Cette autorité appartient au représentant de la droite lignée par primogéniture. Le chef de famille est, avant tout, le chef du culte des Ancêtres ; grâce à ce culte qui le fait étroitement participer aux Vertus ancestrales, il apparaît comme l’incarnation directe et véritable (36) des Ancêtres ; il reçoit d’eux par délégation l’autorité qu’il exerce sur la parenté. Comme pour les vassaux, par l’effet de la communion, cette autorité descend aux chefs des lignées collatérales, et jusqu’au père de famille qui, s’il est fils aîné, est le seigneur, au sens propre, de ses fils, de ses neveux et de ses cadets. La famille noble est un groupement féodal composé de sous groupes de vassaux dont les chefs obéissent tous au seigneur commun, le chef de famille. Dans une telle famille, où existe une autorité, il y a lieu à succession : celles ci se fait, non point d’après l’âge, en épuisant chaque génération, mais dans chaque souche (37) : le fils aîné succède au pouvoir seigneurial du père, car il est chef du culte de son père défunt (38).

Dans les villes seigneuriales, les familles nobles sont rapprochées en une unité politique de forme plus complexe que n’est le groupement constitué par urne Communauté plébéienne. Le rang qu’occupe leur chef dans la hiérarchie vassalitique détermine d’abord leurs rapports avec la famille seigneuriale. Ces rapports sont définis par un protocole minutieusement réglé, que nous connaissons surtout en ce qui concerne le deuil. Le principe de ce protocole est de conserver les distances hiérarchiques grâce à un système de prestations alternatives réglées ; la largesse (39) seigneuriale s’étend, conformément à ce protocole, à toutes les familles vassales ; sous forme d’hommages et de tributs, ses bienfaits précaires retournent ensuite au seigneur. D’autre part, entre les familles de même rang, un autre système de prestations alternatives, que règle aussi le protocole, permet d’obtenir un état d’équilibre. Les familles de même classe nobiliaire sont unies entre elles par des liens analogues à ceux qui rapprochent les familles accouplées d’une Communauté plébéienne ; seulement, la valeur des prestations qui servent à obtenir le rapprochement n’est plus déterminée par le désir d’épuiser tous les moyens possibles d’union ; elle est réglée eu égard au statut nobiliaire de chaque famille : à chaque classe conviennent des prestations définies.

Les différentes familles seigneuriales forment une confédération (40) placée sous la suzeraineté du Roi, du Fils du Ciel ; certaines qui sont de même nom se considèrent comme les branches d’un même tronc : les rapports d’ordre politique qui sont établis entre elles sont réglés d’après les principes du droit domestique ; par exemple, de même que les parents s’interdisent toute vendetta, les seigneuries de même nom ne doivent point se faire la guerre. Pour celles qui sont de nom différent, leurs relations ressemblent à celles des familles antithétiques des Communautés plébéiennes ; les échanges matrimoniaux leur semblent le plus efficace moyen d’atténuer leur antagonisme foncier, et le principe premier de toute alliance. Certaines ont entre elles une affinité plus sensible et forment des couples traditionnellement unis par l’alliance matrimoniale ; même quand elles sont d’un éclectisme plus marqué, toutes considèrent comme une faute de ne point rester fidèles à leurs anciennes relations : elles ont comme idéal une certaine stabilité fondée sur la pratique continue des mêmes systèmes d’alliance (41). C’est uniquement dans la classe des seigneurs que semblent avoir une force véritable ces groupements de familles attestés par une tradition suivie d’intermariages (42) : dans la Confédération chinoise, les familles seigneuriales retrouvaient, en effet, une unité analogue à celle qui réunissait en Communautés locales les familles plébéiennes. Les familles de simple noblesse (43), au contraire, dont les chefs étaient attachés par une inféodation à une race seigneuriale, ne pouvaient posséder, à l’intérieur d’un groupe féodal, assez d’indépendance pour obtenir de former, grâce à des alliances matrimoniales stables et définitives, des groupements dont la puissance eût fait obstacle à l’exercice du pouvoir seigneurial ; seul le lien qui attache le vassal au suzerain étant absolu, les familles ne pouvaient se lier entre elles par des liens d’interdépendance complète, pas plus qu’un fils de famille, dès qu’existe une autorité domestique, n’est laissé libre de contracter des amitiés qui l’engagent jusqu’à la mort (44).

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IV


La polygynie dans la noblesse féodale

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Les érudits chinois qui se sont occupés des institutions matrimoniales ont analysé les principes de droit qui leur semblaient les fondements des usages polygyniques. Ils ont eu à cœur de justifier ces usages : ils les présentent comme établis délibérément par le législateur et conformément au plan d’organisation de la société féodale. Leurs conceptions sont dominées par l’idée que la durée, pendant laquelle le pouvoir appartient à une race, manifeste la légitimité de ce pouvoir ; cette durée dépend d’une force particulière à chaque famille, le Bonheur idiosyncrasique propre à une lignée. Qui mérite d’être un chef possède ce Bonheur et, par là même, est assuré de posséder une longue descendance. En vertu de cette théorie, toutes les règles matrimoniales apparaissent aux annotateurs comme des règles élaborées pour que les mariages donnent de nombreux enfants (45).

Je montrerai plus loin que la polygynie, telle que la pratiquaient les différentes classes de la Noblesse, dérive d’usages anciens et populaires adaptés aux conditions nouvelles de la Société féodale. Je ne puis donc y voir, comme les auteurs chinois, une invention législative. Mais les analyses qu’ils en ont données ont au moins un mérite ; c’est de rappeler ce fait essentiel : aux temps anciens de la Chine, le mariage était considéré comme l’acte fondamental non pas tant de la vie privée que de la vie publique, pour mieux dire et seulement traduire une formule alors admise, les alliances matrimoniales étaient considérées comme les degrés par lesquels pénétraient dans une Maison seigneuriale le Bonheur ou le Malheur (46). On va voir en effet que c’est bien de ce point de vue que l’on peut comprendre l’usage féodal de la polygynie.

La polygynie, pratiquée dans la Noblesse, y était réglementée par deux : règles antithétiques que j’étudierai l’une après l’autre : un noble, à son mariage, ne devait prendre femmes que dans une famille, et il était plus ou moins strictement obligé de ne se marier qu’une fois. Inversement, la famille où il prenait femmes était tenue de lui fournir d’un coup un nombre d’épouses déterminé par son rang nobiliaire.

Toutes les femmes qu’un noble, d’après son rang, pouvait épouser par un mariage, il devait les prendre dans une même famille ; un noble ordinaire ou un grand officier les prenait dans une même maison, dans une seule branche familiale ; pour un seigneur fieffé, elles venaient de trois seigneuries, c’est à dire de trois branches familiales distinctes, mais rameaux d’une même famille : dans tous les cas, c’était une règle absolue qu’elles portassent le même nom, signe véritable de la parenté.

Les manquements à cette règle étaient l’objet d’un blâme sévère : ils méritaient d’être inscrits dans les Annales au même titre que les violations de la loi d’exogamie. Le Tch’ouen Ts’ieou, par exemple, en cite deux cas, et dans les deux cas, les annotateurs remarquent que le fait était contraire aux Rites (47). Ils le remarquent même à l’occasion du mariage de Po Ki, princesse de Lou, dont ils font, par ailleurs, ressortir la réputation de Vertu et dont la mémoire leur semblait mériter d’être gardée de toute tache (48). Ainsi, même dans une époque troublée et souvent appelée période d’anarchie, ces défaillances ne paraissent pas avoir été très fréquentes. Si l’on relève dans les Mémoires historiques de Sseu ma Ts’ien le nom des femmes épousées par les seigneurs dont l’histoire y est contée, on voit sans doute de temps à autre figurer dans le même gynécée des princesses de nom de famille différent. Au reste, — tant la chose paraissait blâmable — j’ai l’impression qu’on essayait de la dissimuler : on sait que d’assez bonne heure (c’est une pratique constante dans le Kou lie niu (chouan), on prit l’habitude de faire figurer dans la désignation des princesses, à la place de leur nom de famille, employé d’abord précisément pour montrer que le mariage était régulier, le nom de famille de la maison royale Ki, employé, dit on, à titre d’honneur. Or, dans la liste des femmes du duc Houan de Ts’i, qui s’était manifestement marié dans la famille Ki, figure une princesse que, d’après la vieille règle, on eût dû appeler Siu Ying, mais qu’on appelle justement Siu Ki (49), comme si elle appartenait, elle aussi, à la famille Ki ; au reste, quand un gynécée renferme des femmes de nom différent, on peut constater, presque toujours, qu’elles ne proviennent pas du même mariage : le seigneur — ceci est un manquement à une autre règle qu’on étudiera tout à l’heure — ne s’est point contenté d’une seule alliance matrimoniale ; il est d’ailleurs remarquable que, dans beaucoup de cas de ce genre, le deuxième mariage a été contracté avec des barbares (50). Notons, en outre, que, lorsqu’on mentionne de telles unions, c’est pour expliquer des troubles qui ont amené les seigneuries près de leur ruine. Celle ci manque d’arriver à la suite de querelles de succession où l’on voit les fils des princesses de nom différent se disputer l’héritage paternel, soutenus chacun par la famille de leur mère (51).

D’après les auteurs chinois, les législateurs avaient interdit de prendre femmes dans des familles différentes afin d’éviter les querelles de gynécée (52). Seules des femmes unies par des liens de parenté ne pouvaient pas être divisées par la jalousie. La jalousie, selon eux, est la principale des causes qui affaiblissent les États. Ils l’expliquent ainsi : une princesse jalouse s’efforce de garder pour elle seule les faveurs de son époux (53) ; elle cherche à écarter les autres femmes du lit seigneurial. Une princesse digne de ce nom, au contraire, telle par exemple que T’ai Sseu, la femme du roi Wen, fondateur de la dynastie Tcheou, permet à toutes les autres épouses d’approcher du seigneur conformément à l’ordre établi par les Rites (54). Aussitôt une nombreuse descendance, cent fils dit on, vient rendre manifeste le Bonheur qui fait que la race des Tcheou mérite de régner et la lignée princière apparaît indestructible, à l’égal d’une race de sauterelles, seuls animaux qui ne connaissent point la jalousie (55).

L’histoire féodale montre que, bien souvent, contrairement aux théories des glossateurs, les troubles dynastiques sortaient des querelles d’enfants trop nombreux ; mais elle montre surtout que ces querelles prenaient plus de gravité lorsque des familles maternelles différentes soutenaient la cause des frères ennemis. On peut, dès lors, se demander si l’interdiction d’épouser des femmes de familles différentes n’était pas une simple conséquence de cette règle fondamentale de la société chinoise : ne pas chercher à sortir d’un système consacré d’alliances ; se borner, par des intermariages, à conserver des relations éprouvées (56) ; ne point chercher, en un mot, à compliquer par des innovations dangereuses les groupements traditionnels de familles. Cette induction paraîtra sans doute plus légitime si l’on considère que l’obligation de n’épouser que des femmes d’une même famille se doublait de l’obligation de ne se marier qu’une seule fois.

À première vue, la règle qui imposait de ne se marier qu’une fois contraste avec l’image qui dotait chaque Noble d’une pluralité d’épouses et qui l’autorisait en outre à acheter des concubines ; mariage unique et harem nombreux, voilà qui peut étonner, surtout quand on sait que les auteurs chinois voient dans l’interdiction des secondes noces une mesure législative adoptée pour refréner le goût de la débauche (57). Mais il est facile de comprendre à quoi répond leur idée. Des concubines achetées sont des femmes sans statut juridique, sans importance et sans relations ; si l’une d’elles devient une favorite, sans doute elle peut exercer sur le seigneur une influence pernicieuse ; mais cette influence a des chances ; de rester sans grande conséquence, parce que la concubine n’a point derrière elle toute une parenté pour la soutenir. Entre les femmes épousées en un seul mariage, il y a un ordre de préséance établi dès avant les noces et que le mariage confirme ; d’où la possibilité d’une discipline qui est un obstacle à l’influence exagérée que sa beauté pourrait procurer à l’une d’elles : mais surtout, toutes étant de même famille, toutes représentant les mêmes intérêts extérieurs, les rivalités qui peuvent surgir entre elles ne sauraient être des facteurs d’anarchie, car ils n’ont point pour retentissement des conflits entre familles. Au contraire, un deuxième mariage peut être l’origine des troubles les plus graves ; il peut l’être même s’il est contracté dans la même famille que le premier : car il est difficile d’établir une hiérarchie entre les femmes épousées en deux fois ; entre elles, comme entre leurs enfants, se posent des questions de préséance, d’où peuvent résulter de terribles conflits (58). Mais, si le deuxième mariage amène à faire jouer dans la politique du pays une deuxième influence familiale, il risque encore plus d’entraîner les pires désordres ; la rivalité des épouses met leur parenté en état de guerre : il en est ainsi chez le vulgaire. Les complaintes des femmes délaissées au profit d’une nouvelle épousée nous parlent toujours de l’intervention des frères (59). Cette intervention, quand il s’agit de princes, c’est un conflit entre seigneuries, c’est le mariage qui cesse d’être un principe d’alliance, favorable à tout un pays, pour devenir l’occasion d’une vendetta qui met deux peuples sous les armes (60). Interdire à un prince de se marier plus d’une fois, ce n’est pas tant lui interdire les fantaisies de la passion, que des concubines peuvent satisfaire, qu’empêcher les conséquences néfastes de son goût, s’il voulait se manifester en caprices matrimoniaux.

Ne se marier qu’une fois est une règle stricte : elle ne veut pas seulement dire que, tant que vivent les femmes que l’on a d’abord épousées, on n’a point le droit de se marier à nouveau ; elle ordonne que l’on ne se marie qu’une fois dans sa vie (61). L’avenir matrimonial d’un homme est circonscrit une fois pour toutes par son mariage : par lui, il contracte une alliance unique, et c’est assez. On voit aisément que cette prescription est conforme au désir de conserver quelque stabilité aux groupements de familles seigneuriales qui sont le fondement de la politique féodale. Aussi, pour les seigneurs, cette règle est elle impérieuse (62).

Elle l’est moins pour les autres nobles. Sans doute l’usage veut que l’on considère avec défaveur les seconds mariages : c’est un malheur que d’y être réduit (63). Encore y a t il un cas où l’on y est obligé, et ce cas est instructif. La vie sexuelle d’un homme se termine, disent les rites, à 70 ans (64). C’est aussi l’époque de la retraite, tant pour la vie publique (65) que pour la vie familiale : un homme de 70 ans ne doit plus se marier (66), et à plus forte raison se remarier, sauf au cas où il est chef de famille et chef de culte et où il n’a point d’héritier à qui il puisse transmettre ses fonctions. Alors il peut et il doit prendre une femme (67), car un chef de culte a besoin, absolument, pour exercer son sacerdoce, de la collaboration d’une femme qui préside à ses côtés aux cérémonies cultuelles.

Dans la famille des temps féodaux, le mariage a moins pour but de permettre à la race de se perpétuer que de fournir au mari une collaboratrice indispensable dans le service du culte ancestral. Quand on prend femme, c’est de cette nécessité où l’on est d’avoir une collaboratrice au sacerdoce que l’on s’autorise pour obtenir d’une famille qu’elle donne un de ses enfants (68). Quand on répudie une épouse, c’est en prétextant une incapacité de collaborer avec elle dans les fonctions sacerdotales que l’on espère faire accepter son renvoi à sa famille natale (69). D’où vient la nécessité de cette collaboration, indispensable au point de rendre légitime un manquement à la règle qui interdit les seconds mariages, comme à celle qui défend les mariages tardifs ?

D’après les auteurs chinois, les cérémonies du temple ancestral mettent en évidence deux principes antithétiques et solidaires (70). L’un est celui de cette collaboration indispensable des époux, l’autre est celui qui contraint les époux à vivre strictement séparés. Ce deuxième principe n’est pas autre chose que l’application au ménage d’une règle générale qui prescrit la séparation des sexes. C’est de cette règle que les Chinois font dériver l’obligation exogamique.

Pour manifester de façon éclatante le principe de la séparation des sexes, fondement de toute l’organisation sociale, il faut ne point prendre femmes parmi ses parentes ; le mariage unit des personnes étrangères. Il ne les rapproche pas au point de supprimer leur antagonisme fondamental ; les époux ne forment qu’un corps, mais composé de parties qui, pour être étroitement unies, n’en sont pas moins foncièrement antithétiques (71). Pour maintenir ensemble les parties adverses qui forment un ménage, il ne faut rien de moins que la pratique constante d’observances dont la rigueur s’atténue au terme de la vie sexuelle (72) et qui ne prennent véritablement fin qu’à la mort (73), lorsque les époux forment un couple ancestral (74). Cette série d’observances commence avec les cérémonies du mariage ; pour que toute la chaîne, qu’elles constituent, conduise à une bonne fin, il importe que le début en soit régulier. L’accoutumance conjugale nécessaire à la collaboration des époux, même si le ménage s’efforce de l’obtenir par les rites appropriés, ne sera jamais parfaite si les époux n’ont pas été appariés conformément aux règles prescrites. L’une des plus importantes est celle qui ordonne de se marier à un âge déterminé. Il n’y a de couple conjugal digne du sacerdoce jumelé qui lui incombe, que celui dont le mariage s’est fait, selon les coutumes féodales, quand l’homme avait 30 ans et la femme 20 (75). On voit que c’est seulement une fois dans sa vie qu’un homme peut se marier de façon à fournir aux ancêtres la servante qu’ils exigent : un seigneur, pour qui le culte ancestral a plus d’importance que pour personne, ne peut donc contracter qu’un seul mariage valable, le premier.

Mais, pourquoi la collaboration d’une épouse est elle nécessaire dans le service du temple ? Les règles de l’organisation du culte dérivent presque toutes d’une certaine disposition du temple ancestral. Les tablettes des ancêtres auxquels se rend le culte sont classées par générations alternées, celle du père et du bisaïeul étant d’un côté de l’édifice, celles du grand père et du trisaïeul de l’autre. Cette disposition, que les textes appellent l’ordre du temple ancestral, implique que la parenté est répartie en deux groupes, les membres de deux générations successives ne faisant jamais partie du même groupe ; elle s’explique par un état ancien de la famille chinoise (76) dans lequel, par un effet de la filiation utérine, le fils ne pouvait se trouver dans le même groupe que son père, tandis que le petit fils était nécessairement du même groupe que son grand père paternel, le mariage se faisant obligatoirement entre cousins issus de frères et de sœurs. Il en résulte qu’un homme n’est point qualifié pour rendre à lui seul les honneurs cultuels à tous ses ancêtres ; il ne peut les adresser valablement qu’à son grand père et à son trisaïeul, car il est du même côté de la parenté qu’eux mêmes : mais, si son mariage est normal, si sa femme est la fille de la sœur de son père, cette femme (qui fait nécessairement partie du même groupe que son oncle maternel, savoir son beau père) est parfaitement qualifiée pour le sacerdoce du culte du père et du bisaïeul. Et l’on voit que la collaboration sacerdotale des époux est, en effet, obligatoire parce qu’elle dérive, comme les auteurs chinois en conservaient la tradition, des prescriptions anciennes relatives à l’exogamie, conséquences elles-mêmes de la règle ordonnant la séparation des sexes. On voit aussi que, pour obtenir que la femme fût une véritable collaboratrice, il fallait qu’elle appartînt à la même génération que son mari. D’où l’obligation de se marier à âge fixe, qui revient à exiger que les époux soient de la même promotion (77), d’où le mépris des unions disproportionnées (78), d’où la prohibition du mariage quand, deux familles étant déjà unies par une alliance matrimoniale, la femme et celui qu’elle épouserait se trouvent classés, du fait de l’alliance établie, dans des générations différentes (79).

Ainsi les règles qui exigent que l’on se marie à l’âge requis et une seule fois dans sa vie, de façon à obtenir de sa femme l’aide cultuelle dont on a besoin, se rattachent à d’anciens usages grâce auxquels un certain état d’équilibre traditionnel était assuré, dans les communautés locales, par la régularité des échanges matrimoniaux. J’en conclus que, si les nobles de l’époque féodale étaient obligés de prendre femmes dans une seule famille et une fois pour toutes, cette règle avait pour fonction de circonscrire, dès l’origine, leur avenir matrimonial et de donner par là quelque stabilité aux groupements d’alliances qui formaient le fondement de la confédération chinoise. Et si, précisément, cette double règle n’est demeurée stricte, dans ses deux parties, que pour les seigneurs seulement, c’est que, pour les autres classes de la noblesse, la stabilité des alliances matrimoniales, loin d’aider à l’équilibre général, eût fait obstacle à l’exercice de la toute-puissance seigneuriale.


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