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L’âme humaine (41b-44c)
Après avoir décrit le corps du monde et l’âme du monde, Timée aborde la question de l’âme humaine. Le démiurge s’adresse aux dieux célestes et aux dieux traditionnels afin de les enjoindre à produire le corps des vivants mortels, comme aussi les parties mortelles de leur âme. Puisque tout ce qui est produit par le démiurge est immortel, l’âme et le corps des mortels doivent être fabriqués par les dieux subalternes qui, eux, n’ont pas la puissance suffisante pour produire des êtres éternels. Ainsi, le démiurge ne produit que notre âme intellective, qu’il donne aux dieux inférieurs, lesquels l’enchaînent avec le reste de l’âme humaine. Notre âme intellective est fabriquée par le démiurge dans le même cratère qui a déjà servi à produire l’âme du monde. Elle se compose donc des mêmes ingrédients, mais qui sont maintenant de qualité inférieure, de deuxième et de troisième ordre. Le démiurge sème ces âmes sur les astres et leur apprend les lois de la destinée : les hommes qui auront vécu comme il faut verront leur âme rejoindre l’astre qui leur a été affecté, alors que ceux qui échouent renaîtront dans un corps de femme. Si ces hommes persistent à commettre le mal, ils se réincarneront dans des corps de bêtes. Ils n’échapperont à ce cycle de réincarnation que s’ils réussissent à vivre conformément à ce qu’il y a de meilleur en eux.

Plotin connaît bien ces pages du Timée. Dans le traité 40, il rappelle que « Platon affirme que les vivants célestes furent engendrés par le dieu, alors que les vivants d’ici-bas furent engendrés par les dieux issus de lui. » (40 (II, 1), 5, 2-4). Cela revient à dire que l’âme du monde et nos âmes (sous-entendu « intellectives ») viennent à la suite du démiurge (5, 5-6). Le reste de notre âme, en revanche, a été façonné par les dieux célestes et par le ciel lui-même (5, 18-20). L’âme intellective est celle par laquelle nous sommes nous-mêmes, alors que notre âme inférieure nous permet d’être associés à nos corps (5, 20-23). L’âme humaine possède donc chez Plotin deux parties principales. Il y a l’âme « que nous appelons divine, par laquelle nous sommes nous-mêmes, et l’autre âme, celle qui vient de l’univers » (27 (IV, 3), 27, 1-3). Nous tirons de l’âme inférieure notre caractère, nos actions et nos passions (52 (II, 3), 9, 10-14). Mais abstraction faite de cette partie inférieure, « il reste ce que nous sommes véritablement nous-mêmes, ce à quoi la nature donne la capacité de dominer les passions. » (9, 14-16).

Grâce au Timée, Plotin arrive à expliquer pourquoi nos âmes sont de même nature que l’âme du monde, sans toutefois posséder la même puissance :

« D’ailleurs, il rend son point de vue particulièrement clair dans le Timée, où le démiurge, une fois l’âme du monde venue à l’existence, fabrique ensuite les autres âmes à partir d’un mélange réalisé dans le même cratère dont il avait aussi tiré l’âme du monde, faisant l’autre sorte d’âme de la même espèce que l’âme du monde, mais lui assignant comme différence d'être fabriquée à partir d'ingrédients de deuxième ou de troisième rang. » (27 (IV, 3), 7, 8-12).



Même si nos âmes et celle du monde sont des sœurs (27 (IV, 3), 6, 13-14), elles n’ont pas le même lien avec l’intelligible et ne possèdent pas la même puissance. L’âme du monde se compose d’ingrédients qui sont purs, alors que nos âmes se constituent d’ingrédients inférieurs. Même parmi les hommes, tous n’ont pas le même attachement envers l’intelligible. Leurs âmes sont deuxièmes et troisièmes par le rang, au sens où elles sont plus ou moins éloignées de l’intelligible (27 (IV, 3), 6, 27-34). Ces différences s’expliquent par le fait que leurs âmes sont issues d’un second mélange effectué dans le cratère qui a servi à produire l’âme du monde (6 (IV, 8), 4, 35-38)25. Toutes les âmes ne sont donc pas chez Plotin de premier rang. Nos âmes individuelles sont de deuxième et troisième rang, ce qui explique la facilité avec laquelle nous tombons dans le mal (48 (III, 3), 4, 45-48).

Le thème de la destinée des âmes humaines et de leur transmigration26 apparaît chez Plotin en référence directe avec le Timée. Seuls cinq traités plotiniens rappellent et discutent plus en détail27 cette doctrine platonicienne : 15 (III, 4), 2 et 6 ; 27 (IV, 3), 24 ; 38 (VI, 7), 6-7 ; 48 (III, 3), 4 et 53 (I, 1), 11. Le traité 15 reprend longuement la doctrine du Timée, qui est considérée comme acquise : d’abord en au chap. 2, 16-30, où l’on apprend que chaque type de vie mène l’homme à une réincarnation différente sous forme d’homme, d’animaux, de bêtes sauvages, de plantes, d’aigles ou d’abeille ; puis au chap. 6, 17-28, dans lequel Plotin explique que des âmes vont dans les corps des bêtes, alors que d’autres remontent dans l’astre qui correspond au caractère et à la puissance qui étaient les leurs quand elles étaient actives et vivantes ; selon le degré où leur vie s’est réglée ici-bas sur la raison, certaines vont dans le ciel, d’autres à l’extérieur ; certaines vont dans le soleil ou dans l’un des astres errants, d’autres dans la sphères des fixes. En fait, précise le traité 27 (IV, 3), chaque âme reçoit le châtiment qui lui convient, car elle se réincarne selon sa disposition morale et se retrouve dans le corps et dans le lieu qu’elle a mérités de par ses actions antérieures (24, 6-16)28. Plotin semble alors considérer la transmigration des âmes comme un acquis de la philosophie platonicienne, qui n’a pas besoin pour le moment d’être approfondi. Il change toutefois d’attitude dans le traité 38, où il se charge d’expliquer comment les âmes humaines peuvent se réincarner dans des corps de bêtes (38 (VI, 7), 6, 21-7, 8). Comment une âme rationnelle peut-elle se trouver dans un corps de bête ? C’est, dit Plotin, que notre âme contient en elle les lógoi de toutes choses, mais qu’elle n’exerce que certains d’entre eux à certains moments. Une âme pure souhaite produire un homme et y parvient. En revanche, lorsque notre âme rationnelle choisit de suivre l’âme inférieure, elle adopte une nature bestiale. En termes plotiniens, l’âme donne alors au corps le lógos qui correspond à l’animal qu’elle a en elle. Ce lógos devient actif quand l’âme décide de s’abaisser au niveau des bêtes. Cette chute n’est pas ce qu’il y a de mieux pour notre âme, mais elle reste conforme à la nature, puisque l’âme contient par nature ces lógoi inférieurs. Cette explication permet de mieux comprendre les remarques formulées par Plotin dans le traité 48 (III, 3), 4, 41-44. Il affirme en effet qu’un bœuf est produit par le lógos du bœuf, qui permet à la matière de prendre la configuration qui correspond à celle d’un bœuf. Cela implique, précise Plotin, que l’âme qui migre dans le corps d’une bête doit devenir différente et que son lógos doit être altéré, de manière à ce que l’âme d’un homme devienne l’âme d’un bœuf. La transmigration oblige donc l’âme humaine à modifier son lógos afin de répondre aux exigences d’un corps de bête. Si l’âme contient bien tous les lógoi, l’âme humaine peut alors s’insérer dans n’importe quel corps, selon la vie qui lui convient le mieux. C’est de manière similaire qu’il faut, à notre avis, interpréter le texte du traité 53 (I, 1), 11, 8-15 : lorsque les bêtes contiennent l’âme pécheresse d’un homme, son âme rationnelle n’appartient pas à cette bête, mais reste inactive. Elle appartient à l’âme, mais la bête ne peut en avoir conscience.

Le matériau (48e-51b, 52a-b)
Au début de la deuxième section du Timée, Platon introduit un troisième terme dans son explication du monde sensible : le matériau. Jusqu’ici, son exposé pouvait se contenter de mettre à part le modèle de l’univers, à savoir les formes intelligibles, et sa copie sensible, le monde corporel. Mais il faut maintenant aller plus loin, en découvrant un matériau derrière les phénomènes transitoires de notre monde. Le flux permanent qui afflige les corps sensibles empêche de les désigner comme des réalités stables. Ce que nous appelons par exemple du « feu » devient plus tard de l’eau et ensuite de l’air et change sans cesse de nature. Platon fait alors l’hypothèse que derrière les propriétés que les corps manifestent brièvement se cache un matériau qui est permanent et qui reçoit ces propriétés. Sa nature est difficile à saisir, car seul un raisonnement bâtard permet d’en démontrer l’existence, puisque la sensation ne peut percevoir ce matériau. Platon lui donne plusieurs noms : ce matériau est le porte-empreinte de toutes choses, un réceptacle, une mère, une nourrice. Ce réceptacle ne perd jamais la nature qui est la sienne. Même s’il reçoit en lui toutes choses, il ne prend jamais aucune des caractéristiques de ce qu’il reçoit et il ne ressemble à rien de ce qui entre en lui. Il permet simplement à des imitations des réalités éternelles d’apparaître en lui. Platon insiste sur le fait que le matériau ne possède aucune forme et ne retient aucune de celle qui vient en lui. Dans le cas contraire, en effet, la nature propre du matériau l’empêcherait de bien recevoir les choses qu’il accueille. Bref, « ... nous disons que le réceptacle n’est ni terre, ni air, ni feu, ni eau ; il n’est aucune des choses qui viennent de ces éléments, ni aucune de celles dont ces éléments proviennent. En réalité, si nous disons que ce réceptacle est quelque chose d’une espèce invisible et dépourvue de forme, qui reçoit tout, qui participe de l’intelligible d’une manière fort déconcertante et fort problématique, nous ne mentirons pas. » (Timée 51a6-b2). Le feu que nous percevons dans le monde sensible n’est donc qu’une portion du réceptacle qui est enflammée ; l’eau est une portion de réceptacle humidifiée, et ainsi de suite pour les autres éléments. Trois genres sont donc nécessaires afin d’expliquer le monde sensible : il y a la forme intelligible, qui reste identique, ne naît pas ni de périt ; il y a le matériau, qui est éternel, ne possède aucune forme propre, mais reçoit toutes choses ; et il y a les êtres engendrés, qui sont perceptibles par les sens et qui proviennent de la présence d’une imitation des formes intelligibles dans le réceptacle.

La matière occupe dans la pensée plotinienne une place non négligeable. Deux traités discutent cette question de manière plus spécifique : 12 (II, 4) et 26 (III, 6). Le traité Sur les deux matières (12 (II, 4)) offre une étude approfondie de tous les aspects de la matière. Cet exposé dépasse largement le cadre du Timée et se mesure aux doctrines aristotéliciennes, médioplatoniciennes et stoïciennes. Les chapitres 2 à 5 adressent la doctrine d’une matière intelligible qui, si elle n’apparaît nulle part dans les dialogues platoniciens, est attribuée à Platon par Aristote et par les médioplatoniciens29. La matière sensible occupe tout le reste du traité 12, des chapitres 6 à 16, mais seuls les chapitres 8 à 10 ont un rapport plus direct avec le Timée. Plotin montre en effet que la matière est privée de tout : elle est incorporelle, sans qualité, sans grandeur ; elle ne possède ni pesanteur, ni densité, ni rareté, ni configuration, ni couleur, ni chaleur, ni froideur. Il ne faut lui ajouter aucune détermination (chap. 8). Afin de s’opposer aux stoïciens, qui décrivent la matière comme un corps sans qualité mais pourvu de grandeur, Plotin insiste sur le fait que la matière n’est pas un corps, puisqu’elle n’a pas de grandeur. C’est que la forme apporte tout à la matière, même la grandeur. Si la matière est dépourvue de toutes formes, elle ne possède absolument rien, ni grandeur, ni qualité, ni corporéité (chap. 9). Plotin tente également d’expliquer comment nous pouvons concevoir l’absence de grandeur et de qualité dans la matière (chap. 10). Il admet alors avec Platon que l’existence de la matière résulte d’un raisonnement bâtard30 et non légitime : nous percevons une indétermination, celle de la matière, qui se traduit par une sorte d’absence d’intellection. Lorsque notre âme retranche toutes les qualités, ce qui reste ne peut plus être défini et nous la percevons comme une obscurité. De même que notre œil voit l’obscurité, notre âme voit l’absence de figure, de couleur et de lumière dans la matière.

La seconde partie du traité 26 (III, 6) constitue un exposé sur l’impassibilité de la matière (chap. 6-19), dont les chap. 11-13 et 19 forment un commentaire à la doctrine platonicienne du réceptacle. Plotin montre que les qualités ne peuvent affecter la matière dans laquelle elles sont présentes (chap. 9-10). La présence d’une couleur ou d’une figure ne fait pas en effet pâtir la matière (9, 14-16). Même les miroirs, dit-il, ne subissent aucune affection lorsqu’ils réfléchissent l’image des objets (9, 16-18). Or, la matière est plus impassible que les miroirs (9, 18-19)31. Si des réchauffements et des refroidissement apparaissent en elle, la matière n’est pas pour autant réchauffée ou refroidie (9, 20-21). Ce qui subit une affection, c’est le composé possédant des qualités qui s’opposent les unes aux autres (9, 21-34). Étant seule et isolée, la matière reste donc impassible par rapport aux autres choses avec lesquelles elle n’entretient aucune contrariété (9, 34-39). Elle se compare, dit Plotin, à une maison qui reste impassible tandis que des personnes se battent à l’intérieur (9, 39-41). Telle est la manière dont il faut comprendre les paroles de Platon lorsqu’il soutient que les imitations des êtres entrent et sortent de la matière (11, 1-5). Ces formes, affirme Plotin, viennent dans la matière sans l’affecter ; elle ne devient rien de déterminé même quand une chose vient en elle ; elle ne se trouve pas diminuée par le départ des formes ; elle demeure toujours telle qu’elle était (11, 11-18). Cette doctrine permet notamment à Plotin d’expliquer comment la matière peut participer du bien sans pour autant perdre sa nature propre, qui est mauvaise (chap. 11, 31-45). Elle participe en effet du bien sans être elle-même altérée et en restant donc mauvaise (11, 33-36). Puisqu’elle n’abandonne pas sa propre nature, rien n’empêche la matière de participer au bien aussi longtemps qu’elle existe (11, 36-38).

Plotin insiste pour dire que Platon défend l’impassibilité de la matière (chap. 12, 1-27). Selon lui, Platon ne croit pas que la forme et la matière entrent véritablement en composition de manière à ce que leur combinaison produise un nouvel être (12, 1-4). La preuve en est, affirme-t-il, que Platon introduit un mode de participation qui n’implique aucune affection (12, 5-7). Même si les explications du Timée soulèvent certaines difficultés, l’intention de son auteur est claire aux yeux de Plotin : la matière produit les corps animés, mais elle ne reçoit aucune affection et demeure la même (12, 9-16). Il en conclut : « Mais cette hypothèse montre, autant que faire se peut, l’impassibilité de la matière et la présence apparente, en elle, d’une sorte de fantômes qui ne sont pas présents. » (26 (III, 6), 12, 26-28).

Le reste du chapitre 12 du traité 26 (III, 6) souhaite nous mettre en garde contre nos habitudes de langage, qui créent l’illusion que les formes affectent la matière (12, 28-57). Plotin prend pour exemple les paroles du Timée, qui prétend qu’une portion de réceptacle devient enflammée ou humidifiée (Timée 51b). De telles expressions suggèrent en effet que la matière adopte la figure du feu, de l’eau ou des autres éléments (12, 30-32). Mais il faut se rendre compte, souligne Plotin, que l’expression « enflammée » ou « humidifiée » est précisément utilisée par Platon afin de montrer que la matière n’est pas elle-même configurée par les formes qui apparaissent en elle (12, 33-36). Plotin insiste de surcroît sur la différence entre soutenir que la matière prend elle-même feu et soutenir qu’elle devient feu (12, 36-38). Être enflammé suppose un pâtir, alors que devenir feu n’en implique aucun (12, 38-40).

Au chapitre 13, lignes 11-29, Plotin discute l’expression du Timée selon laquelle la matière est « réceptacle et nourrice de tout le devenir » (Timée 49a). Il y voit la preuve de ce que la matière est impassible : puisqu’elle en est le réceptacle, la matière ne saurait connaître aucun devenir ; or, l’altération implique le devenir ; donc, la matière est antérieure à l’altération (13, 13-15). De plus, les termes « réceptacle » et « nourrice » expriment selon lui l’impassibilité de la matière, car elles soulignent la permanence de la matière en laquelle chaque être en devenir apparaît (13, 15-18). Plotin réitère alors sa doctrine sur l’impassibilité de la matière : puisqu’elle ne doit être aucun des êtres et qu’elle fuit la réalité des êtres, la matière est totalement différentes des Formes ; elle ne peut les accueillir en elles, sinon elle ne serait plus le réceptacle de toutes choses ; seule son impassibilité lui permet de recevoir en elle un fantôme des réalités, sans en être affectée ; la matière n’est qu’un fantôme qui reçoit un autre fantôme (13, 21-32).



Le traité 26 (III, 6) se termine par un chapitre qui discute le vocabulaire du Timée, lequel décrit la matière comme une « mère » (50d-51a ; 26 (III, 6), 19). À vrai dire, affirme Plotin, les termes « réceptacle » et « nourrice » conviennent mieux à la matière que le terme de « mère », car la matière, au sens strict, ne produit rien (19, 17-19). Ceux qui la qualifient de « mère », dit-il, le font parce qu’ils pensent que la mère ne joue que le rôle de matière envers son rejeton, c’est-à-dire qu’elle ne donne rien à l’embryon, dont le corps provient en fait de la nourriture (19, 19-23). De toute manière, si la mère donne quelque chose au rejeton, c’est en tant qu’elle lui donne une forme et non pas en tant qu’elle est une matière, car c’est la forme qui engendre, alors que la matière est stérile (19, 23-25). Le titre de « mère » appartient donc au réceptacle afin de souligner sa nature de substrat et non pas afin de le comparer en tous points à une mère (19, 31-34). Une recherche plus poussée montre que le réceptacle, s’il est une mère, est une mère stérile, qui ne ressemble pas à une femme, mais qui se contente de recevoir en elle son rejeton sans l’engendrer (19, 34-38). Il s’agit donc d’après Plotin d’une métaphore difficile à expliquer et qui ne tient pas véritablement à rendre la matière semblable à une mère, car la matière ne peut rien engendrer (19, 38-41).

Conclusion
Ce rapide survol doctrinal suffit sans doute à montrer l’importance du Timée de Platon pour la pensée plotinienne. C’est en se mesurant constamment à ce dialogue que Plotin élabore une grande partie de sa cosmologie, de sa psychologie et de sa métaphysique. Sur le plan cosmologique, il reprend du Timée sa conception géocentrique de l’univers et des cercles qui portent les corps célestes. Le monde contient tout, a toujours existé et existera toujours. C’est aussi en accord avec le Timée qu’il admet l’existence d’une matière des corps sensibles et qu’il en fait le réceptacle de toutes choses. Plus encore, il abonde dans le sens de ce dialogue lorsqu’il soutient que cette matière est impassible en raison de l’absence de toutes formes en elle. Mais Plotin conteste à Platon la légitimité d’introduire les mathématiques dans l’explication de la composition du monde. Il refuse également d’admettre tous les éléments dans la constitution des astres, préférant aller contre le sens obvie du dialogue platonicien et n’admettant dans le ciel que la présence d’un feu spécial. Sur le plan de la psychologie, Plotin adopte la description du Timée, qui admet l’existence d’une âme du monde et qui fait de nos âmes intellectives des sœurs de cette âme. Nos âmes intellectives restent cependant inférieures à celle du monde, car elles résultent d’un mélange qui se compose d’ingrédients de deuxième et de troisième rang. Toutes les âmes sont cependant un mélange d’indivisible et de divisible, ce qui explique leur nature « amphibie », à savoir que les âmes se tiennent à la limite de l’intelligible et du sensible, puisqu’elles ont contact avec les deux. À l’instar de Timée, Plotin admet le cycle des réincarnations des âmes humaines en fonction du genre de vie qu’elles ont vécu sur terre. Les meilleures d’entre elles remontent dans les astres qui leur sont assignés, tandis que les âmes mauvaises se réincarnent dans des corps de bêtes. Sur le plan de la métaphysique, le démiurge du Timée devient identique à l’Intellect, qui constitue pour Plotin le véritable démiurge. S’opposant à Platon, Plotin refuse toutefois d’accorder au démiurge un quelconque processus de réflexion, de calcul ou de planification. Il croit au contraire que tout ce qui est produit par les réalités intelligibles découle d’une nécessité qui n’implique aucune délibération ou hésitation. Il nie également que le démiurge ait de la difficulté à maîtriser le matériau, car rien ne saurait s’opposer à sa puissance. Plotin prend en outre position sur le statut du modèle intelligible sur lequel le démiurge platonicien fixe ses regards quand il décide de produire l’univers. Rompant avec les médioplatoniciens, il soutient que les intelligibles se trouvent à l’intérieur de l’Intellect.

Un aspect fondamental de la pensée plotinienne devrait également ressortir de notre exposé : ce n’est jamais en lecteur passif que Plotin aborde les dialogues platoniciens, mais en philosophe qui recherche la vérité et qui n’hésite pas à remettre en question les enseignements du maître. Chaque thème ou presque fait l’objet d’une révision et d’un approfondissement de la part de Plotin. On le voit rarement répéter docilement les paroles de Platon. Bien au contraire, il tente presque systématiquement de lever les ambiguïtés du Timée. Cela n’est sans doute pas étranger à son activité professorale, dans laquelle il devait répondre à des gens aussi intellectuellement doués qu’un Porphyre ou un Amélius, qui n’hésitaient pas à demander : « comment s’effectue la participation ? », « comment l’âme peut-elle s’étendre à tout l’univers ? », « comment l’âme est-elle partout tout entière ? », « pourquoi les intelligibles seraient-ils dans l’Intellect ? », « que veux dire le terme « mère » par rapport à la matière ? », « comment peut-on penser la matière ? », et ainsi de suite. C’est pourquoi les traités plotiniens sont truffés d’exposés qui tentent de rendre plus accessible la pensée de Platon et qui confessent parfois que le maître n’est décidément pas clair sur tel ou tel sujet. Le Timée ne fait pas exception. Notre discussion a en effet révélé un Plotin qui, lorsqu’il se mesure à ce dialogue, est tantôt perplexe, tantôt en accord, tantôt en désaccord total ou partiel. Toutes ces attitudes légitimes font partie de ce qu’il convient d’appeler l’« influence » du Timée. Quels que soient les jugements que Plotin prononce sur le Timée, son désir de rattacher sa propre doctrine à ce dialogue et de se situer par rapport à la tradition qui en découle ne fait aucun doute.


Richard Dufour

1. Plotini Opera, Oxford Classical Texts, Oxford, Oxford University Press, 3 tomes, 1964-1982. Toutes les références aux traités de Plotin dans le présent article renvoient à cette édition. Les traductions du grec au français sont les nôtres.

2. Zum Einfluss des platonischen Timaios auf das Denken Plotins, Winterthur, Keller, 1964. J.-M. Charrue, dans son livre Plotin, lecteur de Platon, Paris, Belles Lettres, 1978, chap. 2, aborde l’exégèse plotinienne du Timée et plus particulièrement les thèmes du démiurge et de l’âme du monde.

3. Nous adoptons le plan proposé par L. Brisson dans sa traduction du Timée publiée chez GF-Flammarion et qui en est à sa cinquième édition révisée (2001).

4. Seule la vision fait l’objet de deux traités : 29 (IV, 5), Sur la vision, et 35 (II, 8), Pourquoi les objets vus de loin paraissent-ils petits ?

5. Sur la présence du démiurge platonicien chez Plotin, voir aussi J.-M. Charrue, op. cit., p. 124-139 ; J. Opsomer, « A Craftsman and his Handmaiden. Demiurgy According to Plotinus », [à paraître] et D. Montet, « Le démiurge, du

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