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Le corps du monde (31b-34b, 38c-39b, 40a-c)



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Le corps du monde (31b-34b, 38c-39b, 40a-c)
Timée affirme que le monde possède un corps qui se compose des quatre éléments : le feu, l’air, l’eau et la terre. Le feu permet au monde d’être visible, alors que la terre lui permet d’être tangible. L’air et l’eau servent d’intermédiaires aux deux autres éléments, afin de produire un corps en trois dimensions qui tient sa cohésion d’une proportion géométrique. L’univers contient la totalité des éléments, de manière à ce qu’aucun autre univers ne puisse être produit avec les éléments qui restent et de sorte que rien ne puisse l’attaquer de l’extérieur ni ne le fasse périr. Il possède une figure sphérique et tourne sur lui-même en demeurant toujours au même endroit. La terre repose au centre de l’univers et les sept planètes se répartissent sur sept cercles concentriques qui ont la terre pour centre. Les étoiles fixes occupent la sphère la plus extérieure, au-delà des sept astres errants. Les astres se composent surtout de feu, mais les autres éléments entrent aussi dans leur constitution. Les corps célestes se déplacent autour de la terre et pivotent aussi sur eux-mêmes.

Plotin considère lui aussi que la terre se trouve au milieu de l’univers (40 (II, 1), 7, 3 ; 47 (III, 2), 8, 4-7) et que les astres, qui se distribuent autour d’elle sur des sphères, se déplacent circulairement (14 (II, 2), 3, 4 ; 40 (II, 1), 2, 3 ; 45 (III, 7), 8, 14-19). Les corps célestes correspondent aux planètes errantes et aux étoiles fixes (15 (III, 4), 6, 24). Plotin en appelle directement au Timée afin d’établir que les astres possèdent à la fois un mouvement de rotation sur eux-mêmes et un mouvement circulaire autour du centre (14 (II, 2), 2, 23-27). L’ensemble de l’univers est de forme sphérique (14 (II, 2), 2, 11 ; 45 (III, 7), 8, 20) et pivote sur lui-même (14 (II, 2), 3, 21-22). L’univers se compose en outre de tous les corps qui existent et cela explique que le monde sensible ne périra pas, car il contient tout. C’est précisément cette position du Timée qu’évoque le traité 40 : « Mais si nous attribuons la cause de sa non-corruptibilité au fait qu’il renferme toutes choses, c’est-à-dire qu’il n’existe rien avec quoi il pourra faire un échange et qu’il n’existe rien d’extérieur qui pourra le corrompre en tombant sur lui, nous attribuerons l’incorruptibilité à l’ensemble, c’est-à-dire à l’univers, en vertu de ce raisonnement. » (40 (II, 1), 1, 12-16). Puisque aucun corps n’entre ni ne sort de l’univers, celui-ci ne croît pas, ne dépérit pas et ne vieillit pas (3, 3-5).

Le chapitre 6 du traité 40 (II, 1) critique ouvertement la manière dont Timée décrit la nature du corps du monde. Plotin souhaite en effet que le ciel et les astres qu’il contient ne se composent que de feu, alors que Timée affirme que le ciel se compose surtout de feu mais accueille aussi les autres éléments. Dans un bref résumé de la position platonicienne, Plotin rappelle que la terre et le feu entrent dans la composition du monde, car c’est grâce à eux qu’un corps devient tangible et visible. Cela implique pour Timée que les astres contiennent non seulement du feu, parce qu’ils sont visibles, mais aussi de la terre, parce qu’ils sont des corps solides et que rien n’est solide sans terre (40 (II, 1), 6, 2-12). Quant à l’air et à l’eau, Plotin prétend qu’ils n’ont pas leur place dans le ciel. D’abord, ces éléments seraient corrompus par le feu céleste et deviendraient du feu (6, 12-14). Ensuite, c’est à tort que Timée prétend que l’eau et l’air servent de médiétés entre la terre et le feu, selon une proportion géométrique qui permet aux quatre éléments de former un corps solide en trois dimensions : l’idée d’une proportion géométrique n’appartient qu’au domaine des mathématiques et ne s’applique sans doute pas aux corps physiques (6, 14-16). Aussi Plotin se lance-t-il dans une démonstration du fait que chaque élément subsiste en lui-même (6, 21-54). Aucun élément, selon lui, n’a besoin des autres pour exister. Par exemple, l’air existe sans contenir de la terre et la terre peut être visible sans contenir de feu, car il suffit qu’elle reçoive la lumière. Il en va de même pour le feu, qui se révèle être lui aussi un élément autonome, n’ayant besoin ni de l’air, ni de l’eau, ni même de la terre afin d’exister. Car le feu peut être solide sans contenir de terre, dit Plotin, puisqu’il existe des démons ignés. Il n’y a donc plus aucun obstacle doctrinal pour empêcher que le feu puisse exister dans le ciel sans la présence des autres éléments. Le ciel entier et tous les astres peuvent ainsi se composer uniquement de feu. Cette conclusion représente un désaveu complet du Timée, puisque Plotin nie que l’univers entier se compose des quatre éléments : « — Allons donc ! nous remettrons en cause l’opinion selon laquelle le Vivant-Total19 se compose de tous les éléments. — On le dira des vivants qui sont sur la terre, mais élever la terre jusqu’au ciel est contre nature et contraire à l’ordre qu’elle a établi. » (6, 54-57). Selon Plotin, Timée se fourvoie donc grandement quand il suppose que l’univers entier nécessite la présence des quatre éléments et que les astres ne se composent pas uniquement de feu.

Un rejet aussi catégorique de l’enseignement du Timée ne peut toutefois convenir au platonicien en Plotin. C’est pourquoi le chapitre 7 du traité 40 tente de minimiser le désaccord entre les vues personnelles de Plotin et celles de son maître. Nous assistons alors à une pirouette exégétique d’une audace peu commune : ce ne sont pas les quatre éléments eux-mêmes qui se trouvent dans le ciel, mais seulement leurs propriétés (7, 10-19)20. En vertu de la communauté qui règne dans l’univers, chaque élément profite des propriétés des autres sans pour autant se mélanger aux autres. Plotin se montre très explicite :

« Ce n’est pas que ce qui profite d’un autre résulte de deux éléments, de lui-même et de l’élément dont il participe, mais en vertu de la communauté qui règne dans le monde, tout en restant ce qu’il est, il ne s’approprie pas l’élément lui-même, mais quelque chose de lui. Par exemple, un élément ne s’adjoindra pas l’air, mais la subtilité de l’air, et la terre s’appropriera la luminosité du feu. Et le mélange donne toutes les propriétés et il produit alors un composé, mêlant non seulement la terre avec le feu, mais mêlant aussi la solidité et la densité de la terre avec le feu. » (40 (II, 1), 7, 13-19).

C’est à ce prix que Plotin parvient à se concilier la doctrine du Timée, qui admet que les astres contiennent d’autres éléments que le feu. Il prétend que le feu céleste possède la solidité de la terre, mais sans posséder la terre elle-même. Ce serait même, ajoute-t-il, la position de Platon, car ce dernier, lorsqu’il dit que le soleil est très lumineux, veut faire comprendre que le soleil ne contient pas de terre (40 (II, 1), 7, 19-24).

Mais Plotin ne s’arrête pas là. Le feu céleste ne correspond pas selon lui au feu que l’on trouve ici-bas (40 (II, 1), 7, 24-30 ; 33-39). Il s’agit d’une lumière qui chauffe avec douceur et qui est différente d’une flamme. C’est un corps qui projette une lumière incorporelle. Le feu d’ici-bas ne peut monter au-delà de la lune, dit-il, car elle contient une part de terre qui la fait retomber. Seul le feu céleste, pur et supérieur, peut se trouver dans le ciel, qui constitue son lieu naturel. On remarque que Platon, s’il admet bien différentes sortes de feu (Timée 58c), ne mentionne pas un feu incorporel qui serait l’apanage des corps célestes. Il semble plutôt supposer que le feu céleste est identique au feu que l’on trouve ici-bas. Au lieu de souscrire à la doctrine platonicienne, Plotin trahit ici l’influence du stoïcisme, qui admet lui aussi que le feu des astres est d’un type particulier, qui ne se trouve pas sous la lune (SVF I, 120 ; II, 682 ; voir aussi Cicéron, De Natura Deorum II, XV, 40-41).

Force est donc de constater que Plotin, s’il connaît fort bien la doctrine du Timée sur la composition du monde et s’il en respecte les grandes lignes, ne se prive pas d’en critiquer certains aspects. Le conflit le plus notoire s’articule autour de la composition matérielle des astres, qui ne doit selon lui comporter que du feu d’un genre spécial.



Le mélange du divisible et de l’indivisible dans l’âme (35a-b)21
Après avoir décrit la constitution du corps du monde, Timée aborde la production de l’âme du monde par le démiurge. Comme toute réalité, elle se compose d’un mélange d’Être, de Même et d’Autre. Le Sophiste a déjà établi que toute chose « est » ; que toute possède une certaine identité, le « Même » ; et que toute se distingue des autres choses, ce qui la rend « Autre » (Sophiste 254d-259b). L’âme du monde ne fait pas exception, mais, dans son cas, ces composantes obéissent à un mélange particulier, car cette âme est intermédiaire entre l’intelligible auquel elle appartient et le monde sensible qu’elle gouverne. C’est pourquoi Timée affirme que le démiurge produit un mélange intermédiaire d’Être, de Même et d’Autre. L’Être indivisible se mélange à l’Être divisible afin de produire de l’Être intermédiaire. De même, l’Autre indivisible est mélangé à de l’Autre divisible afin de produire de l’Autre intermédiaire. Et enfin, le Même indivisible se mélange au Même divisible afin d’engendrer du Même intermédiaire. Une fois ces trois intermédiaires obtenus, le démiurge les réunit selon des proportions déterminées, qui donnent naissance à l’âme du monde22. Ce mélange d’indivisible et de divisible vise particulièrement à souligner la nature intermédiaire de l’âme du monde, car l’indivisible est une caractéristique propre à l’intelligible, alors que le divisible appartient en propre au monde sensible. L’âme du monde est intelligible, mais elle se divise et s’étend dans les corps.

Ce passage du Timée revêt une grande importance pour Plotin, qui répète à plusieurs reprises que l’âme est divisible dans les corps : 4 (IV, 2), 1, 29-34 ; 53-76 ; 2, 1-4 ; 49-52 ; 8 (IV, 9), 2, 26-28 ; 13 (III, 9), 1, 34-37 ; 15 (III, 4), 6, 34-40 ; 22 (VI, 4), 1, 1-3 ; 27 (IV, 3), 4, 13 ; 19, 1-34 ; 53 (I, 1), 8, 9-15 . Le court traité 21 (IV, 1) est même consacré à cette question : Comment l'on dit que l’âme est intermédiaire entre la substance indivisible et la substance divisible. C’est que Plotin insiste fréquemment sur la nature « amphibie » de l’âme, qui appartient à la fois au monde sensible et au monde intelligible. Le traité 6 (IV, 8) se montre particulièrement explicite sur ce point :

« Même si l’âme est d’une double nature, intelligible et sensible, il est mieux pour elle de se trouver dans l’intelligible, quoiqu’il est nécessaire qu’elle participe aussi au sensible, puisqu’elle possède une nature double (...). Possédant une partie divine, mais se trouvant à la limite dernière de l’intelligible, de sorte qu’elle a une frontière commune avec la nature sensible, elle donne à ce monde sensible quelque chose qui vient d’elle-même et reçoit aussi en échange quelque chose qui vient du sensible. » (6 (IV, 8), 7, 1-9).

Le commerce de l’âme avec le sensible la distingue du reste des réalités intelligibles qui, elles, n’ont aucun rapport avec l’univers corporel. Et puisque les corps se trouvent l’un ici et l’autre là, l’âme doit se diviser dans ces corps. Mieux encore, l’âme se donne tout entière aux corps et même au corps gigantesque de l’univers.

S’il paraît évident que l’âme se divise dans les corps, il semble plus difficile d’expliquer dans quelle mesure cela se produit. Platon ne s’intéresse pas comme tel à cette question, mais elle préoccupe grandement Plotin. Cette difficulté met en effet en cause la doctrine de la participation, c’est-à-dire la présence de l’intelligible au sensible. Comment l’âme est-elle partout tout entière dans les corps sensibles ? Tel est notamment le thème des traités 22-23 (VI, 4-5), qui s’intitulent Sur la raison pour laquelle l’être, un et identique, est partout tout entier. Ils forment une sorte de commentaire à Timée 35a. Le traité 22 commence de la manière suivante : « Est-ce que l’âme est partout présente dans l’univers pour cette raison que le corps de l’univers a une grandeur déterminée et que l’âme est de nature divisible dans les corps ? » (22 (IV, 4), 1, 1-3). La réponse de Plotin est sans équivoque : l’âme est de nature indivisible et n’est pas elle-même divisible ; c’est dans les corps qu’elle semble être divisée. En fait, elle est divisée en ce sens qu’elle est partout (22 (VI, 4), 1, 28-29 ; voir aussi 4 (IV, 2), 1, 65 et 21 (IV, 1), 1, 22-23). À l’instar de toute réalité intelligible, croit Plotin, l’âme est indivisible, reste identique et ne possède ni grandeur ni masse ni lieu. Mais lorsque le corps reçoit l’âme, nous avons l’impression que l’âme s’est divisée, car les corps occupent des lieux différents et sont distincts les uns des autres :

« ... l’expression ‘ce qui est divisible dans les corps’ signifie que cette nature [l’âme] est indivisible. Mais puisque les corps ont une grandeur et que l’âme leur est présente — ou plutôt que les corps sont venus en elle — dans la mesure où les corps sont divisés, on se représente l’âme par rapport à chaque partie et l’on considère ainsi qu’elle est divisée dans les corps. Ainsi, parce qu’elle n’a pas été divisée comme ces parties, mais qu’elle est partout entière, l’unité et l’indivisibilité de l’âme deviennent réellement manifestes. (22 (VI, 4), 4, 27-32).

L’erreur de croire que l’âme est elle-même divisée vient de notre trop grande confiance en la sensation, car nous doutons que l’âme soit indivisible quand nous voyons qu’elle occupe différents lieux ou s’étend sur un corps de grande dimension (22 (VI, 4), 13, 2-6 ; 23 (VI, 5), 2, 1-6). Il faut donc porter attention aux paroles du Timée, qui soulignent que l’âme est divisible « dans les corps » et non de manière absolue (27 (IV, 3), 19, 5-8). Plotin explique également, ce qui n’est pas dans le Timée, que toutes les parties de l’âme ne sont pas divisibles dans le corps. Il n’y a que l’âme sensitive et végétative qui se trouvent dans le corps et qui exercent leur activité en lui (19, 11-24). Quant à l’âme intellective, elle n’a besoin d’aucun corps pour agir et elle ne se divise donc pas dans les corps (19, 24-27). L’influence de la psychologie aristotélicienne se fait ici sentir, car de toutes les facultés de l’âme, dit Aristote, la faculté intellectuelle est probablement la seule qui ne dépend pas du corps, puisqu’elle ne nécessite aucun organe (De l’âme II, 1, 413a3-7 ; II, 2, 413b24-27).

Plotin respecte donc l’enseignement de Platon, selon lequel l’âme est une nature intermédiaire et qui se compose d’une part d’indivisible et d’une part de divisible. L’âme est à la fois une et multiple : elle n’est pas aussi une que l’Un ou l’Intellect, mais elle n’est pas non plus aussi multiple que les corps sensibles (8 (IV, 9), 2, 24-28). Puisqu’elle occupe un rang intermédiaire entre le sensible et l’intelligible, elle doit en quelque sorte partager certaines caractéristiques avec chacun de ces niveaux de réalité. Elle reste cependant totalement intelligible et ce n’est que de manière dérivée que l’on peut dire qu’elle se divise dans les corps. À strictement parler, c’est parce qu’elle est une et indivisible que l’âme peut se trouver partout à la fois. Plotin ne recule pas devant ce paradoxe quand il affirme que l’âme se divise sans être divisée (21 (IV, 1), 1, 19-20). La manière dont l’intelligible se manifeste dans le sensible est propice à ce genre d’oxymore, car des formules semblables se retrouvent en d’autres endroits des traités plotiniens : par exemple, on apprend que l’être, lorsqu’il vient dans le sensible, reste en lui-même et ne reste pas en lui-même (23 (VI, 5), 3, 12), ou que l’intelligible est présent et n’est pas présent aux choses sensibles (22 (VI, 4), 2, 38). Plotin insiste alors sur le fait que l’âme et le reste des intelligibles n’ont ni lieu, ni dimension, ni masse, mais qu’ils se trouvent dans des corps qui, eux, ont toutes ces propriétés. Les intelligibles ne peuvent en eux-mêmes être quelque part, être divisés ou être totalement présents aux choses sensibles, mais les corps, en participant de ces intelligibles, les font apparaîtrent sous ces traits, même s’il n’en est rien en réalité.

Le passage de Timée 35a revient donc fréquemment chez Plotin et joue un rôle important dans sa définition de l’âme. Il faut cependant remarquer que le détail de l’argumentation platonicienne n’a jamais retenu son attention. Seule la description de l’âme comme mélange d’indivisible et de divisible revient sous sa plume. Il occulte la distinction entre les trois ingrédients que sont l’Être, le Même et l’Autre. De plus, il néglige toutes les proportions mathématiques qui entrent dans la composition de l’âme du monde. Aussi Plotin semble-t-il avoir surtout été séduit ici par la nature « amphibie » de l’âme et par l’expression platonicienne qui voit dans l’âme une entité indivisible qui se divise pourtant dans les corps.

L’âme du monde (34a-37d, 38c-39b)23
Le Timée fait l’hypothèse d’une âme du monde dont la fonction principale est de justifier les mouvements réguliers de l’univers. La façon dont le démiurge la produit correspond à un modèle astronomique qui s’apparente à celui d’une sphère armillaire. L’âme du monde se compose en effet de deux cercles, celui du Même et celui de l’Autre, qui sont imbriqués l’un dans l’autre selon un angle. Les étoiles fixes sont disposées sur le cercle extérieur, celui du Même, alors que les planètes appartiennent au cercle intérieur, celui de l’Autre. Le cercle de l’Autre présente un angle par rapport au cercle du Même, afin de justifier l’inclinaison des planètes le long de l’écliptique, et sa révolution l’entraîne en un sens contraire au cercle du Même. L’âme du monde sert ainsi à expliquer le mouvement des astres. La régularité de leur mouvement implique, selon Platon, la présence de rapports mathématiques dans l’âme du monde. C’est pourquoi le démiurge, lorsqu’il la fabrique, impose une série compliquée de divisions dans le mélange d’Être, de Même et d’Autre qui entre dans sa composition. Le cercle du Même ne présente aucune division, tandis que le cercle de l’Autre est divisé à six reprises, de manière à ce qu’il y ait en lui sept cercles, chacun pouvant recevoir l’une des sept planètes. Le démiurge assemble donc le corps du monde à l’intérieur de cette âme, de manière à ce que l’univers entier soit gouverné par elle. L’âme imprime son propre mouvement circulaire aux sphères célestes de même qu’à la terre.

Plotin adopte cette conception de l’âme du monde. Il admet en effet que les corps des astres sont emportés par les mouvements circulaires de l’âme du monde (6 (IV, 8), 2, 39-42). Les puissances de l’âme du monde se distribuent dans la sphère des planètes et dans la sphère des fixes (III, 4 [15], 6, 23-28). Le traité 14 (II, 2), dédié au mouvement circulaire, attribue clairement le mouvement des astres à ceux de l’âme. Plotin se sent cependant dans l’obligation d’expliquer pourquoi l’âme possède un mouvement circulaire, car Platon ne donne jamais de précision à ce sujet et fut critiqué par Aristote pour cette raison (De l’âme I, 3, 406b26-407b26). C’est, dit Plotin, que l’âme a l’Un pour centre et gravite autour de lui (14 (II, 2), 2, 6-15 ; voir aussi 9 (VI, 9), 8). Toute chose reste suspendue à l’Un et désire l’atteindre : ce désir n’étant jamais parfaitement assouvi, l’âme reste en périphérie de l’Un et se déplace autour de lui. C’est son désir et sa dépendance envers l’Un qui provoque en l’âme son mouvement circulaire. Or, il y a correspondance entre le fait que la terre est le centre de l’univers sensible, et le fait que l’Un est le centre de l’âme. Par suite, affirme Plotin, c’est en tournant autour de son propre centre, l’Un, que l’âme du monde emporte le corps du monde dans un mouvement circulaire qui a, cette fois, la terre pour centre. Si l’âme du monde était immobile, le ciel entier s’arrêterait de tourner (14 (II, 2), 1, 49-50).



La fabrication de l’âme du monde, telle que Timée la décrit, ne fait l’objet d’aucun examen par Plotin. Les traités plotiniens n’évoquent jamais la disposition des cercles de l’âme du monde, la proportion des ingrédients qui la composent, le sens de leur rotation, le nombre de divisions qu’ils contiennent ou l’importance des mathématiques dans leur structure. Plotin se montre plus préoccupé par le rang qu’occupe cette âme au sein des réalités intelligibles et par la fonction démiurgique qu’elle accomplit. Il va ainsi bien au-delà du Timée, qui ne donne que de maigres indications sur le rang ontologique de l’âme du monde et qui ne lui assigne aucun rôle démiurgique. L’âme du monde acquiert donc des caractéristiques proprement plotiniennes et qui ne dépendent plus des enseignements directs de Platon.

Plotin considère que l’âme du monde vient immédiatement à la suite de l’âme hypostase et ne doit pas être confondue avec elle24. L’Âme n’appartient à aucun corps, alors que l’âme du monde et les âmes individuelles gouvernent des corps (27 (IV, 3), 2, 5-10 ; 54-59 ; 50 (III, 5), 3, 30-32). L’âme du monde est donc une âme particulière au même titre que n’importe quelle autre âme individuelle qui agit dans le sensible (27 (IV, 3), 2, 57-58). Sa puissance dépasse toutefois celle des autres âmes, car elle reste près de l’intelligible et contemple sans cesse les meilleures réalités : « ... il faut que l’âme de l’univers contemple les meilleurs êtres, se portant toujours vers la nature intelligible et vers dieu (…) » (52 (II, 3), 18, 8-10 ; voir aussi 28 (IV, 4), 25, 3-4). Or, la puissance d’une âme est proportionnelle à la qualité de sa contemplation. Plus une âme se tourne vers l’intelligible, et plus elle est puissante (33 (II, 9), 2, 16). En vertu de sa contemplation infaillible, l’âme du monde accède ainsi au plus haut niveau de puissance auquel peut aspirer une âme. Cette âme, dit souvent Plotin, jouit d’une puissance prodigieuse (voir par exemple 33 (II, 9), 2, 13-15 ; 40 (II, 1), 4, 14-15). C’est pourquoi elle gouverne le monde sans fatigue, ni peine (6 (IV, 8), 8, 13-16 ; 27 (IV, 3), 4, 26-27 ; 10, 25-27 ; 40 (II, 1), 4, 30-31). L’âme du monde exerce une autorité « royale », c’est-à-dire sans être contaminée par ce qu’elle gouverne, puisque sa partie supérieure reste dans l’intelligible et que seule sa puissance inférieure est envoyée dans le monde (6 (IV, 8), 2, 26-35). En réalité, cette âme ne peut rien subir de la part du monde sensible : « Même s’il arrivait que tout corps périsse, aucune altération ne pourrait advenir à l’âme. » (40 (II, 1), 4, 32-33) ; « Car si la totalité du feu disparaissait, l’âme de là-bas n’éprouverait rien, mais la composition du corps s’en ressentirait. Même s’il était possible qu’un monde existe avec les éléments qui restent, rien ne changerait pour l’âme de là-bas. » (7, 24-27). L’âme du monde ne dépend donc pas du corps de l’univers et son sort n’est pas lié à celui du corps (33 (II, 9), 7, 9-14). Plotin distingue dans cette âme une partie supérieure et une partie inférieure (voir par exemple 52 (II, 3), 18, 8-22). D’après le traité 6 (IV, 8), cette partie supérieure reste dans l’intelligible et communique sa puissance à sa partie inférieure qui, elle, vient dans le sensible (2, 26-35 ; 7, 23-32). Les traités 15 et 27 insistent quant à eux sur le fait que même la partie inférieure de l’âme du monde ne quitte pas l’intelligible (15 (III, 4), 4, 2-7 ; 27 (IV, 4), 4, 21-23 ; 12, 11-12). Afin de marquer davantage l’autonomie de l’âme du monde vis-à-vis du corps de l’univers, Plotin préfère dire que cette âme reste en elle-même, sans descendre ici-bas, et qu’elle se contente d’illuminer de loin les corps (15 (III, 4), 4, 4-7 ; 27 (IV, 3), 4, 18-19). Il n’y a donc que nos âmes qui ont l’audace ou plutôt la faiblesse de descendre dans les corps (27 (IV, 3), 4, 23-25). Cette partie inférieure de l’âme, comme nous l’avons déjà souligné plus haut dans la section consacrée au démiurge, correspond chez Plotin à la nature et à une puissance végétative.

Contrairement à Platon, pour qui l’âme du monde se contente de gouverner un univers sensible créé par le démiurge, Plotin donne à cette âme une fonction démiurgique. Le chapitre 6 du traité 27 (IV, 3) rend ce fait particulièrement clair. Pourquoi, demande Plotin, l’âme du monde a-t-elle fabriqué l’univers, alors que l’âme d’un individu ne le peut (27 (IV, 3), 7, 1-3) ? Comment l’a-t-elle fabriqué (7, 7) ? C’est parce qu’elle reste dans l’intelligible et que sa puissance est prodigieuse que l’âme du monde fabrique les corps : « il vaut mieux dire que l’âme du monde a fabriqué le monde parce qu’elle était plus étroitement dépendante des choses d'en haut. » (7, 20-21). Les âmes individuelles n’ont plus à produire l’univers, puisque le travail a déjà été fait par l’âme du monde (7, 17-18). Nos âmes individuelles reçoivent en partage des corps qui existent déjà et que l’âme du monde leur a préparés à l’avance comme demeures (7, 10-15). Le traité 38 déclare en effet que rien ne peut empêcher l’âme du monde de venir sur la matière afin de tracer une première esquisse de l’univers, de manière à ce que les âmes individuelles n’aient plus qu’à parfaire et à compléter les corps en suivant les guides déjà établis par l’âme du monde (38 (VI, 7), 7, 8-16). Un dernier texte peut être invoqué afin de montrer le rôle démiurgique de l’âme du monde chez Plotin : 52 (II, 3), 18. Il affirme que l’âme du monde, puisqu’elle contemple ce qu’il y a de meilleur, aspirant sans cesse à l’intelligible et au dieu, se remplit des intelligibles au point où des images de ces réalités se déversent dans sa partie inférieure. Cette ultime partie de l’âme du monde est, dit Plotin, un principe producteur et même le tout dernier producteur (18, 13). L’Intellect demeure le démiurge véritable, mais l’âme du monde, lorsqu’elle le contemple, en reçoit des images qui se déversent jusqu’en sa dernière puissance, qui agit sur la matière (18, 14-22).




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