Alimentation aliments Classification et typologie



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  • SECTEUR AGROALIMENTAIRE

  • TECHNIQUES AGROALIMENTAIRES: GÉNÉRALITÉS

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ALIMENTATION Comportement et pratiques alimentaires - Anthropologie de l'alimentation

Article écrit par Dominique FOURNIER

Prise de vue

Au regard de ce qu'il a toujours représenté, pour les sociétés opulentes comme pour les groupes les moins favorisés, il est permis de se demander pourquoi les anthropologues ont tellement tardé à s'intéresser de près au fait alimentaire. Était-ce parce que, tout à leur souci de constituer leur discipline en science véritable, ils jugeaient un sujet aussi trivial indigne de leurs savantes analyses, ou bien parce que certains d'entre eux auraient rougi de s'interroger sur la satisfaction d'un besoin particulièrement naturel, source troublante parfois de plaisirs inconvenants ?

D'ailleurs, lorsqu'un érudit acceptait de s'arrêter sur l'alimentation, c'était parce qu'elle lui semblait intégrer une dimension religieuse, et il se sentait autorisé à spéculer sur les tabous ou les interdits. S'intéresser de près à des produits comme le pain ou le vin ne paraissait pas non plus hors de propos, mais il faut reconnaître que l'histoire, discipline qualifiée par Fernand Braudel de « mère de toutes les sciences sociales », avait su prendre les devants sur ce point, et que ces aliments fortement identitaires justifiaient par avance toute analyse savante des symboles ou des échanges économiques.
I -  Diversité des approches

On estime généralement qu'il fallut attendre 1939 et le travail pionnier de la Britannique Audrey Richards pour voir confirmé le rôle fondamental de la quête de nourriture dans l'existence d'une société. Bien que tournée vers l'organisation économique et sociale des Bemba de Rhodésie, leurs liens familiaux, ou leurs rites religieux, cette œuvre, qui s'inscrivait dans la lignée de l'école fonctionnaliste, négligeait des phénomènes culturels de l'importance de la cuisine, ignorant la multiplicité des constructions mentales qui leur sont attachés. Plus tard, au cours de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement des États-Unis sut faire appel à des anthropologues de renom comme Margaret Mead pour participer à l'effort de guerre et étudier le système alimentaire de toutes les communautés du pays confrontées à des difficultés d'approvisionnement.


Approche structuraliste

Enfin, lorsque Claude Lévi-Strauss s'intéressa aux phénomènes alimentaires, la cuisine quitta les sphères des besoins quotidiens trop prévisibles pour être élevée au rang de grammaire des sociétés, et elle s'imposa enfin comme thème digne de l'analyse structurale. Les Mythologiques s'appliquèrent à mettre en musique ces intuitions, révélant l'important corpus de mythes américains qui font référence au rôle joué par les ressources naturelles au moment de donner du sens à l'organisation du monde et de la société à partir des pôles du « triangle culinaire » qu'elles sont censées parcourir : le cru, le cuit et le pourri.

Lévi-Strauss fait remarquer par ailleurs que la pensée primitive de l'homme s'est en partie structurée sur l'utilisation de produits que celui-ci considère comme bons ou mauvais à manger tandis que les manières de table qu'un groupe s'attribue désignent un état de culture qui doit le distinguer des autres communautés susceptibles d'entrer en contact avec lui.

L'ensemble des chercheurs spécialisés n'ont pas tous accepté cette démarche structuraliste fondée sur des classifications binaires (chaud-froid, masculin-féminin, nous-les autres...), et la nécessité de penser l'alimentation d'une société comme un système dépassant la simple mise en corrélation de divers éléments culturels.


Autres écoles

Plusieurs théories ont été élaborées qui s'appuient plus ou moins directement sur des conceptions biologistes : l'écologisme insiste sur les facteurs d'adaptation à certaines conditions environnementales, et une forme de néo-fonctionnalisme affirme que la culture dépend de l'écosystème proche et de ses limites. De nombreux chercheurs contemporains sont évidemment tentés par les aspects nutritionnistes, tandis que d'autres n'hésitent pas à faire appel aux méthodes quantitatives de l'anthropologie physique. Enfin, il est difficile de passer sous silence les contributions inspirées par le matérialisme dialectique marxiste : tout à la fois convaincantes, surprenantes et excessives, elles amusent parfois, comme celles qui prétendent que les pratiques anthropophages des Aztèques relevaient d'une quête assidue des protéines animales.

Le temps est donc venu pour la communauté scientifique de reconnaître que les études sur l'alimentation améliorent nos connaissances de la diversité culturelle, au-delà même des simples aspects matériels. Une telle légitimation accompagne une autre tendance qui pousse à solliciter la recherche anthropologique appliquée lorsque des populations déshéritées se retrouvent dans des situations alimentaires dramatiques. Il est vrai que, dans leur hâte à répondre aux problèmes, aides d'urgence et programmes agricoles internationaux s'étaient longtemps fourvoyés en ne proposant d'autre solution qu'un régime alimentaire type défini selon les besoins physiques d'une certaine population occidentale présentée comme le parangon de l'humanité. Comme il n'était pas question de tenir compte des habitudes alimentaires autochtones, des interdits, des dégoûts, ni même parfois des capacités des terres agricoles à répondre aux exigences des nouvelles cultures, il s'ensuivit des échecs retentissants qui provoquèrent, entre autres, une accentuation de la dépendance alimentaire, l'accélération de l'épuisement des sols, ou la déstructuration de circuits d'échanges essentiels.

Les praticiens furent donc conduits à prendre en compte l'apport des théoriciens, à considérer des ensembles culturels et non plus seulement des produits ou des procédés de transformation. Au bout du compte, l'anthropologie prouvait aux équipes d'intervention que l'étude de l'alimentation réclame plus de pragmatisme que de certitude et qu'elle doit se conformer aux conditions du terrain. Le temps des écoles trop exclusives est sans doute passé, mais on jugera à la diversité des approches mises en œuvre qu'il est désormais difficile de douter de l'apport fondamental de l'ensemble des systèmes alimentaires aux patrimoines matériel et immatériel d'une humanité préoccupée par l'éternelle question du rapport entre nature et culture.


II -  L'un et le multiple

Au-delà des personnes, l'anthropologie entreprend d'étudier des systèmes de relations sociales dotés de modes de fonctionnement pas toujours rigoureux. En mettant en place leurs propres stratégies acquisitives, en contrôlant les échanges, en associant des valeurs, et en imposant des normes, les sociétés reconnaissent l'importance que la moindre denrée peut avoir dans leur politique de reproduction. Or le spécialiste de l'alimentation se doit de tenir compte aussi de l'individu parce qu'il sait que tout part d'un simple problème de survie. C'est donc en confrontant les logiques individuelle et collective que l'analyste tente d'expliquer comment il arrive qu'un même produit – une boisson fermentée par exemple – suscite des conceptions fort distinctes selon le contexte de référence.


Le regard de l'anthropologue

La complexité même du système alimentaire l'entraîne à devenir un élément d'articulation de l'ensemble de la structure socioculturelle et pousse les anthropologues spécialisés à recourir aux méthodes préconisées par l'ethnoscience pour faire apparaître la diversité des relations systémiques mises en jeu. Là où le nutritionniste jugerait irrationnel, voire dangereux, l'usage de tel produit ou de telle pratique, l'anthropologue soulignera leur complémentarité avec des denrées voisines, résultat d'une adaptation précise aux conditions environnementales (hygrométrie, ensoleillement, altitude) et aux conceptions cosmologiques du groupe. Pourquoi accorder mille vertus diététiques à un improbable régime méditerranéen si l'on juge inutile d'importer par la même occasion le mode de vie qui l'accompagne ?

L'anthropologue social peut utiliser sur le terrain l'étude de l'alimentation comme fil rouge épistémologique. Il dispose en tout cas d'un avantage certain sur ses collègues historiens avec l'observation participante, qui lui permet d'accéder à l'ensemble d'un système. L'historien n'ignore rien des limites des archives disponibles. Elles sont souvent fragmentaires, éparses, n'informant que sur les modes de vie des puissants, ou relevant au contraire des livres de comptes d'institutions officielles telles que les hôpitaux, les prisons, les couvents ou les monastères. Même si la « nouvelle archéologie » a permis des avancées sérieuses avec ses études sur les restes de foyer, les coprolithes ou les microtraces, les spécialistes du passé peinent encore à définir avec exactitude les stratégies utilisées par les individus dans le but d'exploiter au mieux les ressources de la nature « sauvage » proche, les plantes et animaux non domestiqués, les insectes, ils éprouvent des difficultés à discriminer les prises alimentaires spécifiques aux enfants, aux femmes...

Faute de moyens adéquats, comment déterminer la place réelle de la gastronomie dans l'alimentation d'une société, comment percevoir les processus cognitifs qui enrichissent le domaine en dehors des cahiers de recettes ? Les historiens sont parfois contraints de traiter de décorum, de symbolique, d'efficacité comptable, et d'abandonner les aspects fondamentaux de l'alimentation en tant que mode de perpétuation de la société entière. Or c'est précisément devant l'évidence que la cuisson des aliments est le plus souvent l'apanage d'un monde féminin déjà investi de la fonction reproductive que des historiens comme Jean-Louis Flandrin se sont efforcés de rassembler alimentation et sexualité. Cette ligne de recherche corroborait en quelque sorte la démarche de l'ethnologue convaincu qu'il franchit un pas décisif dans son travail de terrain au moment où sa présence est tolérée dans la cuisine d'une famille paysanne ; il sait qu'il touche alors à une forme d'intimité et se rapproche d'une immatérialité difficile à distinguer en dehors de cet espace féminin. Quoi qu'il en soit, dès qu'il s'agit de décrire les systèmes alimentaires de sociétés complexes, la mise en miroir des disciplines historique et anthropologique aide à progresser, chacune s'appuyant sur les hypothèses et les faits fournis par l'autre pour proposer une esquisse mieux assurée.


Régulation du boire et du manger

Associé à l'application d'une méthode comparative, un bon suivi des chaînes opératoires qui font passer un produit de son état « naturel » à celui de denrée consommée contribue à redonner à certains détails une importance que l'usure du temps tend à estomper. La procédure permet parfois de réinterpréter des affirmations reprises depuis des décennies sans la moindre vérification.

C'est le cas des commentaires sur la consommation du pulque d'agave au Mexique depuis l'époque précolombienne jusqu'à nos jours. On a répété à l'envi que les Aztèques n'autorisaient cette boisson fermentée faiblement alcoolisée qu'aux anciens, et dans des circonstances exceptionnelles ; que l'arrivée des Espagnols avait provoqué une ivrognerie galopante parmi des indigènes soudain confrontés à une forme d'anomie ; que c'était une affaire d'hommes, et que c'était une boisson antihygiénique comparée aux bienfaits de breuvages « modernes » tels que la bière... Or l'ethnographie a montré que le pulque a longtemps été une des composantes du repas des populations du plateau central parce qu'il offrait un apport nutritionnel et vitaminique non négligeable dans un régime difficilement équilibré.

Cet éclairage justifie une relecture des Codex ou des chroniques du xvie siècle qui donne à penser que la situation était probablement la même à l'époque aztèque. On constate que la fabrication quotidienne de cette boisson est une exclusivité féminine dans le monde rural parce qu'elle relève des pratiques culinaires, mais qu'il en va tout autrement du pulque destiné à la vente. La liqueur servie lors des fêtes populaires ou dans les débits spécialisés titre alors près de cinq degrés et elle est élaborée dans des locaux artisanaux qui refusent toute présence des femmes car celles-ci « risqueraient de contaminer le contenu des cuves ». Les Mexicains ont bien deux conceptions distinctes du même breuvage. Le premier est lié à la seule unité familiale, il est alimentaire, féminin, et hautement valorisé. Le second est destiné à la sociabilité, il est commercial, masculin, et porteur de risque car susceptible de provoquer ivresse et désordre public. C'est donc l'excès de boisson qui est réprimé, et non le simple fait de « boire », terme ambigu que l'ethnologue devra d'ailleurs interroger s'il veut éviter tout quiproquo. Quelques mythes cosmogoniques de l'ancien Mexique insistaient déjà sur cette distinction fondamentale, et ils suggéraient des comportements humains responsables en rappelant que les dieux avaient choisi une des leurs, Mayahuel, la déesse aux quatre cents seins, pour s'immoler afin que l'invention du pulque précédât celle du maïs : ils jugeaient plus urgent d'offrir à l'homme un liquide capable de l'aider à se réjouir et à supporter la vie sur terre (nourriture et ivresse légère) tout en l'incitant à les remercier (dimension sacrificielle, communication religieuse, respect des règles).


Manières de table

Tenant compte des risques induits par l'acte de manger, acte primaire par excellence, de nombreuses cultures s'efforcent de le socialiser du mieux possible et elles prévoient un ordonnancement pour le rythme des repas, la présentation et l'ordre des plats, les manières de table. C'est pourquoi, avant d'étudier un système alimentaire dans ses capacités d'adaptation aux pressions démographiques, écologiques ou culturelles, puis dans sa dimension idéologique, l'ethnologue doit reprendre la définition du repas proposée par le groupe visité, au foyer comme sur les lieux de travail. Si certaines sociétés insistent sur les plaisirs de la commensalité, d'autres assimilent l'acte à une contrainte justifiant presque des formes d'individualisation.

Ce rapport ambigu à la nourriture explique pourquoi il existe de par le monde davantage de manières de table que de mobilier ou d'ustensiles spécialisés, comme si l'immatériel devait absolument primer en l'occurrence. On estime aujourd'hui que 40 % de la population mondiale utilise ses doigts pour manger, 30 % des baguettes, avec ou sans cuillère, et le reste des cuillères, accompagnées ou non de fourchettes et de couteaux. L'usage du couteau de table n'est donc pas très répandu, et il suppose des modalités de cuisine et de présentation des plats particulières. Parmi les deux formes de service généralement reconnues, le « développement spatial » implique une présentation simultanée des différents plats à l'ensemble des commensaux qui peuvent ainsi choisir à leur guise, alors que l'« ordre séquentiel » prévoit une succession qui rend les séquences obligatoires. L'utilisation de chaises et d'une table, haute ou basse, dépend évidemment du type de service, de même que la possibilité de se servir à partir d'un plat commun, ou d'être servi dans une assiette individuelle.

L'observation du repas théorique dans les communautés indigènes du plateau central mexicain renseigne en partie sur leurs modes d'organisation et leurs valeurs. En dehors de la prise individuelle du « café » du matin, il réunit l'ensemble de la maisonnée au début de l'après-midi et après la tombée de la nuit. Le père s'assied face à la porte sur un petit banc et les membres de la famille se disposent ensuite autour du feu. L'épouse sert une écuelle à chaque convive en commençant par le mari qui reçoit la part la plus importante (« c'est lui qui travaille »). Tout doit être chaud, la « soupe » ou les haricots en premier, puis le plat principal accompagné de sauce pimentée. Tout doit être savoureux et facile à manger, accompagné des indispensables tortillas. Les rares fois où il y a de la viande, celle-ci entre en très petits morceaux dans la composition d'un ragoût à cuisson longue. En fait, comme la fourchette ou le couteau n'ont fait leur apparition que fort récemment, on a toujours utilisé la tortilla comme d'une cuillère délicatement pliée entre les doigts. Et c'est parce que cette technique impose à la maîtresse de maison qu'elle fournisse constamment des galettes chaudes et malléables que les informateurs expliquent son absence « à table ». Ils pourraient ajouter qu'une telle pratique limitant le contact entre la bouche et le plat rejoint sans le savoir le souci de pureté alimentaire expressément exprimé par d'autres populations dans d'autres continents.

Le repas se conclut par un unique verre d'eau ou de pulque. En dépit de la pauvreté et de l'apparente monotonie des mets proposés, il représente un moment privilégié de partage et de communion pour l'individu désireux de réaffirmer la force du lien familial dans la recherche d'une relation harmonieuse avec la nature dispensatrice des biens primordiaux. Il n'y a donc aucun paradoxe à affirmer que la démarche propre aux repas festifs s'oppose diamétralement à ce principe. Les banquets supposent que les produits achetés pour l'ostentation rompent avec l'approvisionnement quotidien, voire avec l'environnement proche, et que les invitations lancées répondent à une stratégie de socialisation maximale. Quant à l'ivresse finale, elle replonge au bout du compte dans une désespérante individualité.

La plupart des sociétés ont articulé leur système alimentaire autour d'un végétal sélectionné parmi les possibilités offertes par le milieu : le riz en Asie  , le taro   dans certains groupes océaniens, le blé en Méditerranée, la pomme de terre dans les hautes terres andines, etc. Les enquêtes ethnographiques montrent que chaque individu réagit physiologiquement à ce qui lui dicte un modèle culturel ambiant qui associe l'idée de satiété au fait de manger l'aliment de base : privé de sa galette de maïs, de son bol de riz, ou de son morceau de pain, il gardera une impression de faim, il estimera ne pas avoir pris son repas. Cela permet de comprendre pourquoi tout produit récemment « découvert » ne trouve à s'insérer dans un système qu'à certaines conditions et au prix d'une longue période adaptative. Dans le cas contraire, il reste porteur d'une connotation péjorative parce qu'il continue de représenter l'Autre. L'échange entrepris à la suite de la conquête espagnole entre le maïs et le pois chiche (Cicer arietinum) est exemplaire sur ce point. Jusqu'à nos jours, les Andalous continuent de réserver la céréale mexicaine à la nourriture animale, tandis que dans le même temps les indiens du Chiapas mexicain préfèrent alimenter les cochons venus d'Europe avec la légumineuse qui compose la base du cocido (potée) quotidien andalou. D'une certaine façon, ce destin croisé de symboles et d'aliments rappelle que l'on tend à rester le cochon de l'Autre, ce qui ne surprend guère vu la proximité naturelle de l'homme avec cet animal.





Riz (épis)

Oryza sativa L., le riz (famille des Poaceae ou Gramineae), céréale cultivée depuis au moins 5000 avant J.-C. en Asie, est une plante annuelle tropicale ou subtropicale croissant généralement en terrain immergé. Ses inflorescences sont des épis composés et ses fruits (caryopses) sont comestibles.








Récolte de taro à Hawaii

Connu à Hawaii depuis plus de mille ans, le taro inondé est aujourd'hui cultivé en petites parcelles.






Vis-à-vis des autres, et à quelque niveau qu'on se place, l'acte de manger s'impose comme élément de distinction. Pour l'individu face à l'ensemble de la société, pour la nation confrontée à son extérieur, l'aliment sert de symbole propre à valoriser une conception du monde, et à justifier sa place dans un environnement particulier.
III -  Nature et culture

Comment l'anthropologie de l'alimentation ne se poserait-elle pas l'éternelle question du rapport nature-culture, et donc de l'insertion de l'homme dans son écosystème, à l'heure où le monde semble obsédé par le problème du risque alimentaire et où l'écart ne cesse de grandir entre les lieux de production et les espaces de consommation ? En dépit des précautions annoncées, des analyses sanitaires, des contrôles de conformité, les consommateurs ressentent une crainte qui émane sans doute d'une méconnaissance des lieux de production (l'ex-nature) et d'une méfiance vis-à-vis de circuits de distribution qui leur paraissent étrangers à toute fonction alimentaire primaire.


L'art de rendre comestible

En fait, les craintes alimentaires sont intrinsèques à toute évolution des pratiques de prédation, de production et de consommation. Elles sont à l'origine d'inventions qui appartiennent au patrimoine matériel et immatériel le plus précieux de l'humanité. Quelques exemples suffiront à rappeler cette constante, à commencer par la gestion de l'eau, élément essentiel, et traditionnellement associé à la notion de pureté.

Malgré sa symbolique propre, l'eau a représenté un danger constant pour nombre de sociétés, et le besoin de liquide a nécessité une gestion fine de l'écosystème, que ce soit dans la recherche du bois de chauffe indispensable à l'ébullition salvatrice, ou dans l'utilisation de boissons alternatives. Le lait est l'une de celles-ci, indispensable en Inde et qui constitue l'aliment de base de nombreuses sociétés pastorales. Les autres sont des breuvages alcoolisés car les peuples ne disposant pas d'animaux à traire peuvent recourir à la fermentation pour améliorer le contenu nutritionnel et la capacité de conservation des sèves ou exsudats de végétaux inscrits dans le biotope. Étape technique primordiale, cette faculté à contrôler un processus naturel au profit du groupe occupe une place de choix dans les mythes et légendes utilisés par les dirigeants civils ou religieux pour légitimer leur pouvoir. Ainsi, l'aptitude à fournir une nourriture-boisson saine transcendant les contraintes du temps court rejoint le devoir d'imposition de règles du savoir-boire nécessaires à la survie de la société.

La gestion technique des risques concerne également des ressources de base telles que le manioc ou le maïs. L'ethnographie de la transformation du tubercule (Manihot esculenta) a montré comment les populations amazoniennes l'utilisent de façon préférentielle bien qu'il se présente sous forme hautement toxique dans la nature  . Avant d'obtenir la farine qui leur permettra de préparer les galettes constituant la base de la nourriture quotidienne, les femmes doivent gratter la pulpe du manioc, la serrer dans un long appareil réticulé qui sert de presse pour extraire le jus extrêmement dangereux. Loin de jeter celui-ci, elles le récupèrent pour le faire bouillir, se débarrasser des toxines nocives, et disposer ainsi d'un condiment hautement apprécié.





Manioc

Culture de Manihot esculenta Crantz, le manioc amer (famille des Euphorbiaceae), en Ouganda. C'est un arbrisseau de 2 à 3 mètres originaire du Brésil, à grandes feuilles à cinq ou sept lobes et à petites fleurs jaunâtres. Ses grosses racines tubéreuses fournissent le tapioca, après élimination de la substance toxique qu'elles contenaient.






D'une certaine façon, la démarche anthropologique permet également de mieux comprendre les vicissitudes de l'histoire du maïs, en Amérique comme en Europe. De quelle démarche intellectuelle procède le système technique exploitant au mieux l'écosystème à la base de la trilogie fondamentale de l'alimentation mexicaine, maïs, haricot, courge ? L'association des trois graines sur une même surface permet au haricot de se développer en s'enroulant autour de la tige de la céréale qui fournit de l'ombre aux deux autres végétaux tandis que les larges feuilles de la courge maintiennent au sol le peu d'humidité parfois disponible. Sur le plan nutritionnel, les trois denrées sont également complémentaires pour peu qu'on les associe avec le pulque, mais à la condition de pratiquer la nixtamalisation du maïs égrené, c'est-à-dire sa cuisson préalable dans une solution alcaline (eau de chaux). Dans un régime pauvre en protéines animales, ce procédé fournit une pâte de maïs (en nahuatl, nextamalli ; en espagnol, nixtamal) facilement transformable et permet d'éviter la pellagre, maladie du système nerveux qui a provoqué tant de ravages dans les régions européennes consommatrices de maïs jusqu'au xixe siècle. Comment les Européens auraient-ils pu savoir qu'en dédaignant l'importation de cette étrange technique amérindienne, contraire aux modes de mouture traditionnellement associés à toute céréale de l'Ancien Monde, ils libéreraient la dangerosité d'une substance alimentaire apparemment inoffensive ? Simple produit d'Indiens aux yeux des coloniaux et des métropolitains, inspirateur de rites dédiés à des divinités plus ou moins sanguinaires, le maïs ne présentait d'autre intérêt sérieux que son apport agronomique et une productivité exceptionnelle dans des terres impropres à la culture du blé, la céréale noble.

Ce dernier point n'était cependant pas négligeable et il explique peut-être pourquoi on ne tarda pas à introduire le « blé turc » dans des régions parfois dévalorisées culturellement. Il échappa de la sorte aux épreuves que subissent habituellement les plantes « exotiques » : d'abord considérées comme objets de curiosité botanique plus ou moins maléfiques, elles sont bientôt réputées porteuses d'appétits vénériens, puis s'insèrent dans la pharmacopée avant de compter parmi les plantes nourricières. À l'instar du piment (épice américaine d'exploitation facile), le maïs répondait si parfaitement aux besoins immédiats de certains systèmes alimentaires qu'il ne parut pas devoir faire l'objet de précaution exagérée. En se fondant sur les documents disponibles, les historiens affirment que des solanées américaines comme la tomate et la pomme de terre subirent au contraire toutes les étapes de l'acceptation ; l'ethnologue peut avancer l'hypothèse qu'elles furent cultivées facilement dans les petits jardins paysans pendant des décennies avant d'être mentionnées au cours du xviiie siècle dans les cahiers de recettes des maisons bourgeoises ayant recruté des cuisinières à la campagne.

On note ainsi que les difficultés engendrées par le contrôle technologique en matière de risque alimentaire nous rapprochent de l'usage des interdits. Les nourritures illicites, les tabous, les prescriptions alimentaires et le comportement des ascètes ont depuis longtemps inspiré aux anthropologues des théories séduisantes. Vaste question en effet que celle de la pureté qui semble n'avoir jamais cessé d'agiter les pensées des hommes soucieux de rapports harmonieux avec les forces de la transcendance ! Plus on prétend communiquer intimement avec elles, plus on doit s'imposer un comportement d'exception en matière alimentaire et sexuelle.
Interdits alimentaires

Toutes les cultures n'imposent pas leurs interdits ou prescriptions alimentaires avec la même rigueur. S'il ne manque pas de pouvoirs idéologiques pour proposer un idéal commun, beaucoup concèdent la possibilité d'une adaptation circonstanciée ou, pour le moins, d'une distinction entre les ascètes ou les saints, d'un côté, et le commun des mortels, de l'autre. Les religions juive et musulmane ont pourtant édicté des interdits absolus dont le principal concerne la viande de porc, et des obligations portant sur le mode d'obtention de la nourriture, comme pour la viande, qui doit provenir d'un égorgement rituel. Le Coran précise par ailleurs que toutes les choses bonnes sont permises dans la mesure où elles ne sont consommées qu'après qu'on a invoqué sur elles le nom de Dieu, une manière de se décharger de la faute qu'implique la mise à mort d'un être vivant.

La détermination des critères retenus en matière d'interdits a fait l'objet de nombreuses discussions. Là où certains évoquent des raisons écologiques et sanitaires (difficultés de conservation de la viande par exemple), d'autres reconnaissent des facteurs économiques (la vache est beaucoup plus rentable pour les hindous de son vivant, à commencer par ses cinq produits bénéfiques et purificateurs : l'urine, le lait, le yaourt, le beurre clarifié et la bouse), ou des motifs techniques (la fonction d'éboueur du cochon le situe du côté de l'impur). Les arguments fondés sur le symbolisme renvoient souvent à des formes de classification : Mary Douglas évoque à ce sujet les animaux difficiles à classer qui passent ainsi dans la catégorie des chairs dangereuses et illicites. Les tabous s'apparentent à ce principe, mais comme ils semblent provenir d'un rapprochement entre classification des humains et classification des animaux ou des végétaux, ils ordonnent par exemple que les membres du clan de l'ours renoncent à consommer la chair de cet animal. Sachons aussi que les propriétés attribuées à certaines nourritures se transforment souvent en symboles ; en Amérique latine, cette conception a entraîné les cuisinières à rechercher dans un même repas un équilibre entre les aliments qualifiés de chauds et ceux qui sont perçus comme froids. Sur cette base idéologique, des denrées sont momentanément prohibées en fonction de l'âge (par exemple sous l'influence du confucianisme qui institue en Asie du Sud-Est une séparation marquée entre homme et femme, adulte et enfant), et de l'état physique ou familial : femmes enceintes, allaitantes, veuves... Les enquêtes de terrain montrent toutefois que la pauvreté entraîne fréquemment les familles à adopter des comportements hétérodoxes.

Une autre conception des interdits ferait de ceux-ci d'authentiques éléments de distinction. Un groupe, une religion ou un peuple se démarquerait de rivaux potentiels en s'imposant des interdits hautement valorisés. C'est ainsi que les prescriptions de l'hindouisme, beaucoup plus rigoureuses que celles de l'Inde védique ancienne faisant de la vache un animal honoré et pour cela même digne d'être sacrifié, ont servi le système des castes. Dans ce contexte, les brahmanes justifient leur position privilégiée par un strict régime végétarien alors que les kshatryia, nobles et guerriers, s'affirment par la consommation de viande. Il n'en est que plus intéressant de voir les représentants de la caste des commerçants et des industriels pencher vers l'un ou l'autre camp en fonction de leur stratégie d'ascension sociale.

Mais il arrive que ce choix de la distinction se retourne contre ses tenants. On a ainsi vu plusieurs pays européens opter pour l'interdiction administrative de la viande hallal au motif que le procédé d'abattage leur semblait trop cruel. Les musulmans le justifient au contraire comme une réponse aux injonctions du Prophète réclamant pour l'animal sacrifié la mort la moins douloureuse possible. Par contraste, les chrétiens se sont déterminés très tôt à se démarquer des deux autres religions du Livre en refusant tout interdit alimentaire absolu. En Espagne, et en particulier en Andalousie, où ces trois religions cohabitaient au Moyen Âge, la communauté chrétienne qui l'a finalement emporté affiche aujourd'hui encore avec ostentation son goût pour la viande du porc et ses fameux jambons, en même temps qu'une certaine répugnance pour le mouton. S'appuyant sur des conceptions diététiques propres à son imaginaire, le christianisme assortit d'exceptions ses prescriptions alimentaires. Il était ainsi précisé que le jeûne ne devait jamais mettre en danger la santé des fidèles : tant que la viande fut considérée comme le seul aliment propre à restaurer les énergies, on évita donc de contraindre les travailleurs de force ou les défenseurs de la patrie à respecter l'abstinence systématique du carême et des vendredis.

En fait, l'expérience de terrain rappelle qu'il serait vain de vouloir imposer à tous un comportement normé. L'exemplarité des saints ou des ascètes suffit à la diffusion de règles idéales qui risqueraient d'affaiblir les processus de la reproduction humaine si elles étaient strictement appliquées. Pour ceux qui aspirent à une communication intime avec la divinité, il n'est pas d'extase alimentaire, voire sexuelle, qui ne provienne du renoncement et d'une projection spirituelle finissant par bénéficier à l'ensemble des hommes. Ils établissent un rapport avec les choses de la nature qui les pousse à en fuir tout plaisir. Les saints de l'Église rejoignent en cela l'idéal de pureté des ascètes jaina de l'Inde, convaincus de devoir consommer en solitaire une nourriture que des familles dévotes leur auront préparée sans même savoir si elle sera acceptée. Décidé à s'abstraire des aspects crûment naturalistes de l'existence, le sage recherche l'adéquation entre le mets qui lui est proposé et ce que lui dicte son inspiration. Le donateur tire de l'opération un bénéfice social qui résulte de ce partage inégal de la pureté professée.

Le comportement de l'ascète l'éloigne de l'espèce de communion avec la nature que de nombreux consommateurs recherchent dans l'acte alimentaire, au point qu'ils restent accrochés aux notions de goût et d'odeur, même en situation de pénurie. Cette recherche d'une nature presque idéelle explique pourquoi les communautés traditionnelles tendent à identifier leur cuisine avec la part d'herbes sylvestres, d'épices et de produits spécifiquement locaux qu'elle comporte. Ils en tirent un plaisir qu'ils tiennent pour une forme de reconnaissance envers cette nature proche avec laquelle ils souhaitent entretenir une relation fertile. Une telle préoccupation implique qu'ils s'inventent des rites destinés à préserver une distinction entre le domestique et le « sauvage » culturellement défini. Que ce soit dans les modalités de sacrifice requérant une victime réputée « sauvage » ou dans les pratiques de chasse, les opérateurs s'imposent des interdits qui portent sur une certaine conception de la pureté religieuse ou sexuelle. Ils réaffirment de la sorte tout à la fois le pouvoir fécondant du groupe et leur attachement métaphysique à un territoire complexe transcendant ce qu'ils peuvent attendre d'une domestication mal maîtrisée.

Alors que l'histoire a su mettre en évidence le rôle éternel des aliments dans un mouvement bénéfique de mondialisation soutenu par une recherche de la complémentarité et d'une plus grande sécurité nutritionnelle, l'anthropologie aura sans doute à se pencher désormais sur les effets d'une forme de globalisation non contrôlée où le domestique devient trop lointain, et où la perte du contact avec une nature perturbée accentue le caractère de dangerosité du trop proche.

Dominique FOURNIER


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