Alimentation aliments Classification et typologie



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Thèmes associés

  • ALIMENTS ET ACTIVITÉS AGROALIMENTAIRES ASSOCIÉES

  • NUTRITION ET MÉTABOLISME, physiologie animale et humaine

  • NUTRITION ET MÉTABOLISME, physiologie humaine

Bibliographie

  • M. Apfelbaum, M. Romon & M. Dubus, Diététique et nutrition, Masson, 6e éd. Paris, 2004

  • J.-P. Corbeau & J.-P. Poulain, Penser l'alimentation. Entre imaginaire et rationalité, Privat, Paris, 2002

  • J.-C. Favier, J. Ireland-Ripert, C. Toque & M. Feinberg, Répertoire général des aliments. Table de composition CIQUAL, Tec & Doc Lavoisier, Paris, 1995

  • J.-L. Flandrin & M. Montanari, Histoire de l'alimentation, Fayard, Paris, 1996

  • A. Martin dir., Les Apports nutritionnels conseillés pour la population française,. Tec & Doc Lavoisier, 3e éd. 2001

  • J.-L. Volatier, J. Maffre & A. Couvreur, Enquête individuelle et nationale sur les consommations alimentaires (I.N.C.A.), ibid., 2000.

© Encyclopædia Universalis 2010, tous droits réservés

ALIMENTATION Économie et politique alimentaires - Sous-alimentation et malnutrition dans le monde

Article écrit par Laurence ROUDART

Prise de vue

En ce début de xxie siècle, la situation mondiale de l'alimentation est très contrastée : d'un côté, abondance – voire suralimentation – pour environ 1,3 milliard de personnes vivant surtout dans les pays développés ; d'un autre côté, faim continuelle pour près d'une personne sur cinq dans les pays en développement et pour une petite fraction de la population des pays développés, soit un peu moins d'un milliard de personnes. Certes, la proportion de la population humaine sous-alimentée a diminué au cours des dernières décennies, mais le nombre de personnes souffrant de ce mal n'a guère baissé. Plus de deux milliards de personnes sont carencées en minéraux ou en vitamines, et près de 30 % des enfants des pays en développement sont victimes de malnutrition. Les diverses formes d'action contre la faim et la malnutrition sont donc insuffisantes. Or, pour nourrir tout juste correctement l'humanité à l'horizon de 2050, c'est-à-dire pour assurer la sécurité alimentaire, il faudrait doubler la production végétale à l'échelle du monde par rapport à son niveau de 1995. Entreprendre des actions pour mettre en œuvre un développement agricole important et durable, en particulier dans les pays pauvres, est une nécessité absolue, qui implique de relever des défis techniques mais aussi, et surtout, des défis économiques et sociaux.


I - Alimentation, sous-alimentation et malnutrition au début du XXIe siècle
Besoins alimentaires

Contrairement aux végétaux – qui peuvent vivre en absorbant simplement de l'eau, du gaz carbonique, des éléments minéraux et de l'énergie solaire –, les humains, comme les animaux, doivent ingérer des matières organiques, ou macronutriments (glucides, lipides, protéines). Or l'industrie n'est toujours pas en mesure de synthétiser de manière rentable à grande échelle ces matières organiques, et ne le sera pas de si tôt. Pour nourrir des milliards d'hommes, il n'est donc pas d'autre voie que de continuer de pratiquer l'agriculture.

Les macronutriments fournissent notamment de l'énergie alimentaire, mesurée en kilocalories (kcal). Les besoins énergétiques alimentaires d'un individu dépendent de son âge, de sa taille, de son poids, de son activité, de son état physiologique (maladie, grossesse ou allaitement pour les femmes...) et d'autres facteurs (climat...). En conséquence, l'O.A.A. (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, communément désignée par son sigle anglais F.A.O., pour Food and Agriculture Organization) calcule les besoins énergétiques alimentaires d'une population donnée en fonction de sa structure par âges, de sa taille moyenne, du taux d'urbanisation (en général, les activités physiques des urbains sont moindres) et du taux de fécondité (les besoins des femmes enceintes sont plus importants, mais un taux de fécondité élevé entraîne à court terme une proportion plus grande de jeunes enfants, et donc une baisse des besoins moyens par individu). Ainsi, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, où les populations sont relativement jeunes, les besoins énergétiques alimentaires moyens sont de l'ordre de 2 150 kilocalories par personne et par jour (kcal/pers./j), alors qu'ils s'élèvent à 2 400 kcal/pers./j en Amérique du Nord, où les populations sont relativement âgées, et de plus grande taille (Collomb, 1999).

Les humains doivent aussi absorber des micronutriments (vitamines et minéraux) ainsi que de l'eau, à raison de 2,5 litres par personne et par jour en moyenne.


Régimes alimentaires

Les besoins alimentaires peuvent être couverts par une très grande variété de produits : quelque 50 000 végétaux sont comestibles par les humains. Cela étant, d'après les données de la F.A.O., les céréales fournissent à la population mondiale près de la moitié de l'apport énergétique alimentaire global ; ce faisant, elles procurent plus de 40 % des protéines. Les huiles végétales et graines oléagineuses constituent la deuxième source d'énergie alimentaire (un peu plus de 10 % des apports globaux) ; elles représentent la première source de lipides (45 %). Quant aux viandes et œufs, ils forment le troisième pourvoyeur d'énergie (près de 10 %) et le deuxième pour les protéines et pour les lipides (près de 25 % des apports dans chaque cas). Les poissons et autres produits aquatiques couvrent seulement 1 % des apports en énergie et en lipides, mais 6 % des apports en protéines (fig. 1  ). La hiérarchie des différents groupes d'aliments dans les apports en macronutriments est sensiblement la même pour l'ensemble des pays en développement que pour le monde, ces pays représentant environ 80 % de la population mondiale. En revanche, elle diffère dans les pays développés : les céréales restent la première source d'énergie alimentaire, mais pour un tiers seulement des apports, tandis que les viandes et œufs sont la première source de protéines (un tiers), juste devant les céréales (30 %). Les graisses animales couvrent près de 15 % des apports en lipides, de même que le lait et les produits laitiers, contre à peine 10 % pour l'ensemble de la population mondiale.





Alimentation : les apports alimentaires

Part des différents groupes de produits dans les disponibilités alimentaires (d'après : F.A.O.).






Ainsi, la consommation moyenne de viandes par individu est nettement plus élevée dans les pays développés (fig. 2  ). Toutefois, depuis les années 1980, elle y est en constante diminution tandis qu'elle est en forte croissance, depuis les années 1970, dans les pays en développement : là, elle a même quintuplé pour le porc et les volailles entre 1975 et 2000. À ce sujet, certains auteurs parlent d'une véritable « révolution de la viande » (Delgado et al., 1999), dont la consommation dans les pays en développement représente désormais plus de la moitié de la consommation mondiale. La viande de porc est la plus consommée au monde (40 %), suivie par celles de volailles (30 %) et de bovins (25 %).



Alimentation : consommation de viandes

Consommation de viandes par individu au début du XXIe siècle (d'après : F.A.O.).






Au-delà de ces données globales, on peut distinguer six grands types de régimes alimentaires dans le monde (fig. 3  ). Rappelons que la consommation alimentaire ne se limite pas à une simple couverture des besoins nutritionnels : en général, l'homme attend aussi de la nourriture des satisfactions qui relèvent du plaisir des sens, du partage, de la convivialité, de la découverte...



Alimentation: régimes alimentaires dans le monde

Les six grands types de régimes alimentaires dans le monde ont été établis à partir des données de la F.A.O. et portent sur 119 pays représentant 99,6 p. 100 de la population mondiale. Chaque type de régime porte le nom de l'aliment (ou des aliments) fournissant la plus grande partie de l'énergie de ce régime …





Quelques définitions

Selon la F.A.O. la sous-alimentation, ou insécurité alimentaire chronique, est une situation dans laquelle la ration alimentaire, mesurée en kilocalories (kcal), ne suffit pas, de manière continue, à couvrir les besoins énergétiques de base. Cette définition se concentre sur l'apport en énergie de la nourriture ingérée. Elle n'envisage donc ni la composition qualitative de l'alimentation, ni son utilisation par l'organisme, ni le statut nutritionnel qui en résulte. Notons que l'insécurité alimentaire peut aussi être temporaire.

Par différence, la malnutrition est un mauvais état physiologique provenant d'une alimentation inadéquate, ou d'une déficience de soins, ou de mauvaises conditions de santé ou d'hygiène. On distingue plusieurs formes de malnutrition :

– la sous-nutrition, provoquée par une sous-alimentation prolongée ou par une assimilation insuffisante de la nourriture ingérée pour cause de maladie ;

– les carences en divers nutriments, en particulier protéines, minéraux ou vitamines ;

– la surnutrition, qui résulte d'une suralimentation pouvant être liée à une maladie.

Selon la définition la plus récente (1996) de la F.A.O.,« la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».

Cette définition renvoie à quatre idées clés : la disponibilité des aliments, en quantité et en qualité, les aliments pouvant provenir de la production locale ou des importations (y compris de l'aide alimentaire) ; la stabilité dans le temps des disponibilités alimentaires ; l'accès de chaque individu aux aliments dont il a besoin, du fait qu'il appartient à une famille qui dispose d'un revenu suffisant pour acheter ces aliments, ou qui les produit elle-même et les autoconsomme (famille paysanne), ou encore qui bénéficie d'un système de sécurité sociale lui permettant d'obtenir des aliments ; la bonne utilisation physiologique des aliments, qui conduit chaque individu à un statut nutritionnel correct.
Disponibilités énergétiques alimentaires

La F.A.O. estime les disponibilités énergétiques alimentaires par personne et par jour (D.E.A./pers./j) avec la méthode des bilans alimentaires annuels par pays. Pour cela, elle évalue d'abord, par catégorie de produits alimentaires, la somme des ressources (production locale, importations, variations de stocks) puis, elle retranche la somme des utilisations qui ne sont pas directement destinées à l'alimentation humaine locale (exportations, alimentation animale, semences, utilisations industrielles non alimentaires, pertes entre la production et les marchés de détail, autres utilisations non alimentaires) pour en déduire un solde correspondant à la consommation humaine. Ces estimations sont toutefois très incertaines. De plus, elles ne tiennent pas compte des pertes qui interviennent lors du transport entre les marchés de détail et les foyers des ménages, lors du stockage dans ces foyers, lors de la préparation et de la prise des repas (déchets ménagers). Les D.E.A./pers./j tendent donc à être surestimées. D'après la F.A.O., elles sont d'environ 3 300 kcal dans les pays développés, d'un peu plus de 2 700 kcal dans les pays en développement et de quelque 2 800 kcal pour l'ensemble du monde.

Les disponibilités alimentaires sont très inégales entre les pays, cela d'autant plus que la part des kilocalories provenant des produits animaux varie beaucoup d'un régime à l'autre. On considère en général qu'il faut en moyenne 7 kcal végétales pour produire 1 kcal animale (ce ratio variant en fait beaucoup d'un produit animal à l'autre et d'un type d'élevage à l'autre). Ainsi, pour un régime moyen dans les pays développés à 3 300 kcal/pers./j, dont 870 kcal d'origine animale, il faut produire environ 8 530 kcal d'origine végétale (870 × 7 + 2 440), alors qu'un régime moyen dans les pays en développement à 2 670 kcal/pers./j, dont 360 kcal d'origine animale, nécessite quelque 4 830 kcal d'origine végétale, soit près de moitié moins. Cet écart est encore plus marqué si on compare les régimes moyens de certains pays : par exemple, le régime du Bangladesh, avec 2 205 kcal dont 70 kcal d'origine animale, demande près de quatre fois moins de kilocalories d'origine végétale que le régime des États-Unis, avec 3 375 kcal dont 1 050 kcal d'origine animale. En conséquence, la part des céréales destinée à l'alimentation des animaux est très variable : 60 % dans les pays développés contre 20 % dans les pays en développement, mais 60 % au Brésil contre 3 % dans les « Pays les moins avancés » ou P.M.A., au nombre de cinquante, d'après plusieurs critères établis par les Nations unies. À l'échelle mondiale, un bon tiers des céréales sert à l'alimentation animale.

De plus, dans chaque pays, les régimes alimentaires varient entre les groupes sociaux et entre les individus, en fonction de plusieurs facteurs : revenus (surtout dans les pays qui n'ont pas atteint un certain niveau de satiété), type d'activité, lieu d'habitation (ville ou campagne), niveau de formation...


Suralimentation pour une partie de l'humanité

La grande majorité des habitants des pays développés et de quelques pays en développement, ainsi qu'une minorité d'habitants des autres pays en développement, sont abondamment nourris. Selon l'Organisation mondiale de la santé (O.M.S.), plus d'un milliard d'adultes dans le monde sont même en surpoids (leur indice de masse corporelle, c'est-à-dire leur poids – en kilogrammes – divisé par le carré de leur taille – en mètres –, excède 25) et 300 millions d'entre eux sont obèses (indice de masse corporelle supérieur à 30). En France, par exemple, plus de 40 % des personnes de plus de quinze ans sont en surpoids et plus de 11 % sont obèses. Aux États-Unis, deux tiers des adultes sont en surpoids, 30 % sont obèses. Ces phénomènes se développent rapidement, y compris et même surtout dans les pays en développement, au point que depuis 1998, l'O.M.S. considère l'obésité comme une épidémie mondiale. Ils ont pour conséquence d'accroître les risques d'affections chroniques telles que les maladies cardio-vasculaires, le diabète et certains cancers. Les causes immédiates en sont la consommation accrue d'aliments riches en sucres et en graisses saturées, alliée à une activité physique réduite. Ainsi, dans un nombre croissant de pays en développement, le surpoids et l'obésité de certains coexistent avec la sous-alimentation des autres.


Sous-alimentation pour une autre partie de l'humanité

Dans les pays en développement, près d'une personne sur cinq est sous-alimentée ; en Afrique, c'est une personne sur trois (fig. 4  ). D'après le groupe de travail des Nations unies sur la faim, 80 % des personnes sous-alimentées vivent en milieu rural. Plus précisément, 50 % d'entre elles appartiennent à des foyers de petits agriculteurs, 10 % à des familles d'éleveurs nomades, de pêcheurs et d'exploitants de ressources forestières, et 20 % à des ménages d'ouvriers agricoles et d'autres ruraux sans terre. La majorité des gens qui ont faim dans le monde appartiennent donc à des familles paysannes. Les plus touchés sont des femmes, en particulier des femmes enceintes ou allaitant leurs enfants, et des enfants.





Alimentation : la sous-alimentation dans le monde

Sous-alimentation dans le monde. Dans 18 pays d'Afrique, soit près de la moitié des pays de ce continent, ainsi qu'en Afghanistan, au Bangladesh, en Corée du Nord, en Mongolie et en Haïti, la situation est particulièrement dramatique. À la fin du XXesiècle, la prévalence de la sous-alimentation était supérieure à 35 p. 100 et sa …






La faim est aussi présente dans les pays développés. Aux États-Unis, par exemple, en 2003, selon un rapport du ministère de l'Agriculture, 11 % des ménages, soit 12,6 millions de foyers, étaient en situation de précarité alimentaire et, dans 3,5 % d'entre eux, une personne au moins subissait la faim durant une partie de l'année. Dans 0,5 % des foyers avec enfants, ces derniers étaient aussi touchés par la faim, malgré tous les efforts des adultes pour leur épargner ce fléau. La précarité alimentaire et la faim sont plus répandues chez les ménages ayant des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, ou formés d'une femme seule avec des enfants, ou encore dans les foyers afro-américains ou hispaniques. La situation alimentaire est beaucoup moins bien connue en Europe, où il n'existe pas d'enquête systématique et de statistiques représentatives à ce sujet.

Chez les enfants, la sous-alimentation entraîne une insuffisance de la croissance, une vulnérabilité accrue aux maladies et à la mort, et, dans certains cas, un retard du développement mental. Chez les adultes, elle est également responsable d'une morbidité et d'une mortalité plus élevées, d'apathie, de mal-être et d'un amoindrissement de la capacité de travail.


Les carences en micronutriments et en eau potable

Les carences en micronutriments ont aussi de graves conséquences sur la santé. La plus répandue dans le monde est la carence en fer qui, selon l'O.M.S., affecterait 4 à 5 milliards de personnes, surtout des femmes et des enfants, et entraînerait même pour 2 milliards d'entre elles de l'anémie. Cette maladie se traduit par une réduction de la production d'hémoglobine, et donc de la capacité du sang à transporter de l'oxygène, ce qui provoque une fatigue intense, un essoufflement, des vertiges, des maux de tête et des palpitations. Les estimations du nombre de personnes touchées par le manque de fer ou par l'anémie sont très variables d'une source à l'autre.

La carence en iode affecterait, d'après l'O.M.S., un tiers de la population mondiale, et même plus de la moitié de la population de l'Europe et de l'est de la Méditerranée. À partir de certains seuils et selon les sujets, cette insuffisance cause la formation d'un goitre thyroïdien, une arriération mentale et des cas de surdité-mutité chez les nouveau-nés.

La carence en vitamine A concerne, selon le Comité de veille sur la nutrition des Nations unies, environ 140 millions d'enfants de moins de 5 ans, chez qui elle déclenche des troubles de la vue (pouvant aboutir à la cécité) et une baisse des défenses immunitaires.

Des manques en zinc, calcium, vitamine C et autres micronutriments sont également très répandus.

D'une manière générale, ces carences rendent les individus plus vulnérables aux maladies et à la mort. Inversement, et c'est un cercle vicieux, les maladies favorisent les carences. C'est particulièrement vrai pour les infections par des parasites intestinaux, qui empêchent l'assimilation d'une partie des nutriments ingérés : selon l'O.M.S., un quart de la population mondiale en souffre de manière chronique. La contamination par ces parasites et par d'autres agents pathogènes a lieu notamment lors de la consommation d'eau non potable. Celle-ci concerne en permanence environ un milliard de personnes dans le monde, dont 40 % de la population d'Afrique subsaharienne. Ce problème est entretenu notamment par l'absence d'installations sanitaires, qui touche la moitié de la population des pays en développement.


La malnutrition et ses conséquences

Sous-alimentation, carences, mauvaises conditions de soins, d'hygiène et de santé aboutissent à une malnutrition importante. D'après le Cinquième Rapport sur la situation de la nutrition dans le monde des Nations unies, en ce début de xxie siècle, dans les pays en développement, près d'un cinquième des bébés naissent avec un poids insuffisant (inférieur à 2,5 kg), un quart environ des enfants de moins de cinq ans ont une taille trop petite pour leur âge (retard de croissance, généralement interprété comme un signe de sous-nutrition à long terme), près de 10 % ont un poids trop faible pour leur taille (émaciation, ou maigreur, généralement interprétée comme un signe de sous-nutrition à court terme), et près d'un quart ont un poids trop faible pour leur âge (insuffisance pondérale, un indicateur qui résulte des deux précédents). En fin de compte, près de 30 % des enfants des pays en développement souffrent de malnutrition.

Les dommages physiques et mentaux issus de la malnutrition infantile ont généralement des répercussions tout au long de la vie, et même sur la génération suivante : soumise dans son enfance à la malnutrition, une femme enceinte présente une probabilité élevée de donner naissance à un bébé de faible poids, qui lui-même risque fort d'être plus tard plus sensible aux maladies, moins productif et plus pauvre. De manière plus surprenante peut-être, un nombre croissant d'études tendent à montrer que les individus ayant pâti d'un faible poids à la naissance et de malnutrition infantile ont des risques relativement importants de souffrir de surpoids, de diabète et de maladies cardio-vasculaires à l'âge adulte, dans certains modes de vie, en particulier citadins. Les femmes enceintes dans ce cas donnent alors naissance à des enfants qui ont eux-mêmes un risque accru d'être affligés de diabète à l'âge adulte.

Chaque année, dans son Rapport sur la santé dans le monde, l'O.M.S. présente les résultats de calculs des « années de vie corrigées de l'incapacité » (A.V.C.I.), à l'échelle de la population du monde et de différentes régions du monde. Il s'agit des années de vie en bonne santé perdues, soit du fait de décès prématurés, soit du fait d'incapacités liées à des maladies ou à des traumatismes. Pour 2002, l'O.M.S. a avancé le chiffre d'environ 1,5 milliard d'années perdues à l'échelle du monde, un tel calcul comportant bien sûr beaucoup d'incertitudes. Selon la F.A.O., l'insuffisance de poids est le principal facteur de risque d'A.V.C.I. dans le monde. Dans les soixante-dix pays à forte mortalité, qui totalisent 2,3 milliards de personnes, cinq des sept premiers facteurs de risque d'A.V.C.I. sont liés à la malnutrition. Il s'agit, par ordre d'importance décroissant, de l'insuffisance de poids, du manque d'eau potable (et aussi de sanitaires et d'hygiène), des carences en zinc, en fer et en vitamine A. Finalement, les facteurs de malnutrition sont responsables de la moitié des A.V.C.I. perdues chaque année dans le monde en développement.

Selon la F.A.O. toujours, la production et les revenus perdus du fait des morts prématurées, des handicaps liés aux maladies, de l'absentéisme, du faible niveau d'éducation et de qualification des emplois se chiffrent, à l'échelle mondiale, en centaines de milliards d'euros. Or les coûts de telle ou telle forme de malnutrition sont cinq à vingt fois supérieurs à ce qu'il en coûterait d'agir pour l'éliminer.
La reconnaissance internationale du problème de la faim

La reconnaissance internationale officielle du problème de la faim remonte aux années 1930 et fut suivie par la création de la F.A.O. (décidée en 1943, effective en 1945). L'un des buts de cet organisme est en effet de « libérer l'humanité de la faim ». Depuis lors, plusieurs déclarations internationales faisant référence à cette question ont été adoptées, dont la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) qui énonce que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation » (article 25). Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), ratifié par près de cent cinquante États, proclame « le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim » (article 11). La Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, signée par près de cent quatre-vingt-dix chefs d'État et de gouvernement lors du Sommet mondial de l'alimentation en 1996, réaffirme « le droit de chaque être humain d'avoir accès à une nourriture saine et nutritive, conformément au droit à une nourriture adéquate et au droit fondamental de chacun d'être à l'abri de la faim », et soutient : « Nous [...] proclamons notre volonté politique et notre engagement commun et national de parvenir à la sécurité alimentaire pour tous et de déployer un effort constant afin d'éradiquer la faim dans tous les pays et, dans l'immédiat, de réduire de moitié le nombre des personnes sous-alimentées [estimé à l'époque à 800 millions] d'ici à 2015 au plus tard. » Ce dernier but a été repris parmi les Objectifs du millénaire pour le développement, qui ont été signés par les chefs d'État et de gouvernement d'environ cent quatre-vingt-dix pays en 2000, sous l'égide des Nations unies. Mais, lors du deuxième Sommet mondial de l'alimentation en 2002, il a fallu admettre que les pays en développement compteraient sans doute encore environ 600 millions de personnes sous-alimentées en 2015.

En outre, lors de ces sommets, des résolutions demandèrent la clarification du concept de droit à l'alimentation et la création, sous l'égide de la F.A.O., d'un groupe de travail intergouvernemental pour l'élaboration de directives volontaires (c'est-à-dire non juridiquement contraignantes au niveau international) concernant le droit à une alimentation adéquate. Ces directives furent adoptées à la fin de l'année 2004 par le Conseil (organe exécutif) de la F.A.O. L'intérêt du concept de droit à l'alimentation est qu'il pose la question de la responsabilité, et donc des obligations, des États en vue de garantir l'accès de chacun à une nourriture adéquate ou aux moyens de se la procurer. Il pose aussi cette question pour les acteurs de la société civile, pour les autres États et acteurs, étrangers ou internationaux, notamment en matière de coopération, de commerce, d'aide au développement et d'aide alimentaire. Les directives volontaires sont fondées sur les droits de l'homme. Elles sont conçues comme des orientations pratiques destinées à guider les États, et les autres acteurs, pour respecter, protéger, promouvoir et assurer la sécurité alimentaire. Elles recommandent notamment la mise en place dans chaque pays, comme c'est le cas en Inde par exemple, de mécanismes de recours judiciaire en cas de violation du droit à l'alimentation. Actuellement, les Constitutions d'une vingtaine de pays mentionnent directement le droit à l'alimentation, et celles de nombreux autres font référence au droit à un niveau de vie suffisant, ou à la sécurité sociale, ou à vivre dans la dignité. L'application de ces directives et la réalisation du droit à l'alimentation sont des défis majeurs pour tous les États du monde et pour tous les autres acteurs sociaux concernés.

II - Agriculture, population, alimentation : les leçons du passé


Perspective historique

Depuis une dizaine de milliers d'années, la population humaine a fortement augmenté, cet accroissement ayant été rendu possible grâce à une gigantesque augmentation des capacités de production agricole mondiale (fig. 5  ), mais aussi grâce aux progrès de la médecine, de l'hygiène et des autres conditions de vie. Jusque vers 8000 avant J.-C., les humains se nourrissaient exclusivement des produits de la chasse, de la pêche et de la cueillette, ce qui, même dans les écosystèmes les plus favorables, ne permettait que de faibles densités de population. Au Néolithique, l'homme devint progressivement éleveur et agriculteur, et les produits de la culture et de l'élevage prirent une part croissante dans son alimentation. C'est ainsi que, entre 8000 et 3000 avant J.-C., la population mondiale passa d'environ 5 millions à 50 millions de personnes. Entre 3000 et 1000 avant J.-C., elle doubla, notamment en raison du développement des sociétés agraires hydrauliques des vallées de l'Indus, de la Mésopotamie et du Nil. Entre 1000 avant J.-C. et 1000 après J.-C., elle s'éleva de quelque 100 millions à 250 millions d'individus, du fait principalement de l'extension de la riziculture aquatique dans les vallées et les deltas de Chine, d'Inde, d'Asie du Sud-Est et, à un moindre degré, en raison de l'expansion d'agricultures hydrauliques en Amérique (Olmèques, Mayas, Aztèques, sociétés préincaïques...).




Agriculture: évolution de la population et systèmes agraires

Depuis une dizaine de milliers d'années, et surtout depuis cinquante ans, la population humaine a fortement augmenté. Cet accroissement a été rendu possible, quelles qu'en soient par ailleurs les raisons, par un gigantesque développement des capacités de production agricole mondiale (M. Mazoyer et L. Roudart, «Histoire des agricultures du monde», Seuil, 2eéd., 1998).






De l'an 1000 à 1950, la population humaine décupla, augmentant ainsi d'environ 250 millions à 2,5 milliards de personnes. Cet accroissement résulta de la progression des agricultures hydrorizicoles, particulièrement en Asie, et de deux grandes révolutions agricoles : celle du Moyen Âge (xie-xiiie siècle) en Europe du Nord-Ouest, et celle des xviie, xviiie et xixe siècles. Cette dernière s'étendit tout d'abord en Europe, puis dans les colonies de peuplements d'origine européenne des régions tempérées d'Amérique, d'Afrique du Sud, d'Australie et de Nouvelle-Zélande.

Enfin, au cours de la seconde moitié du xxe siècle, la population mondiale est passée de 2,5 à 6 milliards de personnes. La production agricole, quant à elle, a augmenté encore plus rapidement durant cette période, grâce surtout (à 70 %) à l'accroissement des rendements. Celui-ci a résulté du développement de la révolution agricole contemporaine dans les pays développés et dans quelques secteurs des pays en développement, de la mise en œuvre de la révolution verte dans certains pays en développement, de l'extension de l'irrigation, et du développement d'agricultures produisant de très grandes quantités de biomasse utile par unité de surface dans certaines régions densément peuplées du monde. L'accroissement des superficies cultivées explique dans une moindre mesure (à 30 %) l'augmentation de la production agricole mondiale au cours de cette période.


La transformation des régimes alimentaires dans les pays développés

Dans les pays où l'industrialisation a démarré à partir du xviiie siècle, la hausse très importante de la production agricole a permis, outre une augmentation de la population, une transformation des régimes alimentaires. Dans un premier temps, la ration énergétique moyenne (mesurée en kcal/pers./j) s'est élevée, en raison surtout d'un accroissement de la consommation de céréales et autres féculents. Dans un deuxième temps, à partir d'un certain seuil de revenu et de consommation, à compter du début du xxe siècle, la ration énergétique moyenne s'est stabilisée, tandis que des kilocalories d'origine animale se sont progressivement substituées à des kilocalories d'origine végétale : la consommation de céréales, tubercules et légumes secs a alors diminué au profit de celle de viandes, d'œufs et de produits laitiers. Parallèlement, la consommation de graisses, de sucre, de fruits et de légumes a aussi augmenté. Dans un troisième temps, la part des kilocalories d'origine animale dans la ration énergétique moyenne s'est stabilisée.

Pourtant, les dépenses alimentaires ont continué d'augmenter, les consommateurs choisissant plus souvent des produits plus chers parce qu'ils sont de meilleure qualité, ou permettent des gains de temps (préparations prêtes à l'emploi, en barquettes...), ou encore sont vecteurs d'une « meilleure santé ». Dans ces conditions, l'industrie et les services ont pris une part croissante dans l'élaboration des produits alimentaires, au point qu'aujourd'hui, selon Louis Malassis, quand un consommateur européen dépense 100 euros pour son alimentation, 80 reviennent à l'industrie et au commerce et 20 seulement à l'agriculture. Cependant, comme les revenus et les dépenses autres (santé, loisirs, logement...) ont augmenté plus vite que les dépenses alimentaires, la part de l'alimentation dans les dépenses totales des consommateurs des pays développés a baissé : elle est généralement comprise entre 10 et 15 % en ce début de xxie siècle.


Les évolutions contrastées de la sous-alimentation dans les pays en développement

Dans l'ensemble des pays en développement, de 1970 à 2000, la prévalence de la sous-alimentation, c'est-à-dire la proportion de personnes sous-alimentées, a diminué, passant de quelque 35 à 17 %, et ce malgré la très forte hausse de la population (fig. 6  ). La baisse a été particulièrement spectaculaire en Asie de l'Est et du Sud-Est, de plus de 40 % à moins de 15 %. En revanche, en Afrique subsaharienne, la sous-alimentation a fort peu diminué : elle reste supérieure à 30 %, et elle est depuis longtemps bien plus élevée dans cette région que dans les autres. Elle stagne aux alentours de 10 % au Proche-Orient et en Afrique du Nord, même si, dans cette région, elle a tendance à remonter depuis 1990.




Alimentation : évolution de la sous-alimentation dans les pays en développement

Depuis le début des années 1970, le nombre de personnes sous-alimentées (en a) dans l'ensemble des pays en développement n'a que très peu baissé. La prévalence de la sous-alimentation (en b), quant à elle, a diminué en particulier en Asie de l'Est et du Sud-Est, mais fort peu en Afrique subsaharienne (source : F.A.O.).






Si l'on considère le nombre de personnes sous-alimentées dans l'ensemble des pays en développement, on constate qu'il a fort peu baissé, en valeur absolue, depuis 1970, passant d'environ 900 à 800 millions. Compte tenu des incertitudes qui affectent ces estimations, il est même possible que ce nombre ait augmenté. Selon la F.A.O., il remonterait effectivement depuis le milieu des années 1990, du fait surtout de la croissance de la sous-alimentation en Inde et d'une moindre amélioration de la situation en Chine. Cela étant, l'Asie de l'Est et du Sud-Est a connu une baisse très importante, de l'ordre de 300 millions, du nombre de personnes sous-alimentées. À l'inverse, ce nombre augmente en Afrique subsaharienne depuis 1970, ainsi qu'au Proche-Orient et en Afrique du Nord depuis 1990.

Dans les pays en développement, la part de l'alimentation dans les dépenses d'une grande partie des ménages dépasse encore 50 %, et peut même atteindre 80 % chez les plus pauvres.


Les analyses des causes de la sous-alimentation

Étant donné la persistance du fléau de la faim dans l'histoire de l'humanité, de nombreux analystes ont tenté d'en cerner les causes.

La surpopulation

Dans sa quête des voies pour parvenir au meilleur bien-être possible de la société, le pasteur anglais Thomas Robert Malthus (1766-1834) a réfléchi sur les relations entre population et subsistance. Dans son Essai sur le principe de population (première édition en 1798, puis cinq éditions revues et augmentées, la dernière datant de 1826), il affirme que les humains n'échappent pas à « la tendance constante qui se manifeste dans tous les êtres vivants à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée ». Selon Malthus, « lorsque la population n'est arrêtée par aucun obstacle, [... elle] croît de période en période de façon géométrique », alors que « les moyens de subsistance, dans les conditions les plus favorables à l'industrie, ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon une progression arithmétique ». Cela signifie que la population humaine tend à s'accroître selon une loi mathématique où le niveau de la population à un moment donné se déduit du niveau précédent en le multipliant par un nombre constant, alors que les vivres augmentent selon une loi où leur niveau à un moment donné se déduit du précédent en lui additionnant un nombre constant. En conséquence, inévitablement, au bout d'un certain temps, les besoins dépassent les disponibilités alimentaires. Toutefois, Malthus envisage des freins à l'augmentation du nombre des hommes. Ainsi, l'éducation et la raison peuvent inciter les individus à pratiquer une certaine abstinence afin d'avoir peu d'enfants et d'être en mesure de les élever le mieux possible : c'est un frein préventif à l'accroissement de la population. Toujours selon Malthus, l'homosexualité, la contraception, l'avortement et l'infanticide (qu'il considère comme des vices) constituent d'autres freins préventifs. Mais « la passion réciproque entre les sexes » est la plus forte, la population et ses besoins croissent plus vite que ses moyens de subsistance et, inéluctablement, les maladies, les famines et les guerres frappent : pour Malthus, elles sont les freins actifs à l'accroissement de la population, freins qui abaissent durement le nombre des hommes à un niveau compatible avec celui des vivres.

Depuis leur publication, les thèses de Malthus ont inspiré de nombreuses analyses et alimenté de vives controverses. Dans plusieurs rapports célèbres (Halte à la croissance ?, Club de Rome, 1972 ; L'État de la planète, rapport quasi annuel du Worldwatch Institute, etc.), ce genre d'analyse a été étendu à l'utilisation des diverses ressources de la planète (terres, eaux douces, eaux marines, forêts, espèces animales et végétales...) : selon ces rapports, la croissance démographique, conjuguée à celle des activités humaines (agriculture, industrie), entraîne l'épuisement des ressources naturelles ainsi que des pollutions, au point d'aboutir à une dégradation catastrophique de l'environnement et à de lourdes menaces pour les générations futures.

Les analyses malthusiennes ont sans doute permis de rendre compte de situations agricoles et alimentaires graves en certains lieux et à certaines époques. Mais elles ont aussi été largement démenties par les faits, en particulier durant la seconde moitié du xxe siècle : dans de nombreuses régions du monde, la production agricole  a crû plus vite que les besoins de la population, et le rythme de la croissance démographique a fléchi car le taux de fécondité, c'est-à-dire le nombre d'enfants par femme en âge de procréer, a diminué suite à une baisse du taux de mortalité (phénomène dit de « transition démographique »).




Céréales: évolution du prix du blé

Évolution historique du prix réel du blé sur le marché des États-Unis. L'unité de mesure utilisée ici est le boisseau, qui correspond à environ 35 litres, soit quelque 27 kilogrammes de blé (d'après J.-M._Boussard, I.N.R.A.).





La pauvreté

Parmi les contradicteurs importants de Malthus figure Amartya Kumar Sen, Prix Nobel d'économie en 1998. Selon cet auteur, le ratio disponibilités alimentaires/population, cher à Malthus, ne suffit pas pour comprendre le problème de la faim. Ainsi, dans Poverty and Famines (1981), il montre que, lors de plusieurs grandes famines (Bengale, 1943 ; Bangladesh, 1974...), les disponibilités alimentaires par personne dans les régions touchées n'étaient pas en baisse, voire qu'elles étaient plus élevées que lors de certaines années qui ne connurent pas ce fléau. Pourtant, dans chaque cas, certains groupes sociaux bien particuliers furent frappés par la famine, parce que, par tout un enchaînement de causes et d'effets, leur capacité d'accès (entitlement) à la nourriture baissa de manière dramatique : autrement dit, la quantité totale d'aliments accessibles par un ménage – soit en produisant lui-même ces aliments, soit en les obtenant par des échanges ou par des dons – déclina dangereusement. Ainsi, au Bengale en 1943, les familles de pêcheurs, de transporteurs et d'ouvriers agricoles vivant en milieu rural subirent une réduction sévère de leur capacité d'accès au riz (denrée vivrière de base), car leurs revenus stagnaient voire baissaient alors même que le prix du riz augmentait énormément. Cela provenait notamment du fait que, en cette période de Seconde Guerre mondiale, une intense activité économique régnait à Calcutta et dans les environs, d'où un accroissement des revenus et une hausse du pouvoir d'achat des urbains. Il s'agissait donc, paradoxalement, d'une famine dans un contexte de boom économique. Au Bangladesh en 1974, les familles paysannes concernées par l'inondation perdirent une bonne partie de leur récolte et furent atteintes par la famine. En conséquence, les ouvriers agricoles et les autres travailleurs ruraux furent aussi frappés par ce fléau.

Les travaux d'A. K. Sen ont grandement contribué à répandre l'idée, aujourd'hui largement reconnue dans les instances internationales, que la cause majeure de la faim est la pauvreté.


Les politiques d'augmentation du ratio disponibilités alimentaires/population

Le processus d'élaboration d'une politique de lutte contre la faim dans tel ou tel pays à telle ou telle époque ne découle en général pas immédiatement d'un courant d'analyse donné. D'une part, parce qu'un tel processus est souvent le résultat, éventuellement évolutif, de l'équilibre qui s'établit entre les influences de groupes d'acteurs variés, dont les intérêts ainsi que les représentations des causes et des remèdes de la faim sont différents. D'autre part, parce que ces représentations peuvent n'être que très lointainement influencées par un courant d'analyse ou un autre. Il n'en reste pas moins que, par souci de clarification, on peut classer les grands types de politiques publiques conduites jusqu'à présent pour lutter contre la faim en fonction de leur parenté avec l'analyse de la surpopulation ou de la pauvreté en tant que cause principale du problème.

Dans certains pays où l'on craignait la surpopulation (Chine, Inde...), des politiques antinatalistes ont été mises en œuvre par divers moyens, incitatifs voire répressifs, pour obtenir une baisse du taux de fécondité. Dans ces pays et dans d'autres, on a aussi cherché à augmenter les disponibilités alimentaires. Pour ce faire, deux grandes stratégies (non exclusives l'une de l'autre) ont pu être adoptées : l'une cherche à accroître la production agricole locale jusqu'à atteindre éventuellement l'autosuffisance alimentaire ; l'autre vise à obtenir des recettes en devises suffisantes pour importer des denrées vivrières en complément de la production nationale, en ayant recours si nécessaire à l'aide alimentaire. Pour stimuler la croissance de la production agricole locale, les pouvoirs publics ont diversement combiné, avec plus ou moins de succès, tout un arsenal de mesures.


Les politiques de prix agricoles et d'investissements publics

En se fondant sur l'idée qu'une hausse de la profitabilité des activités agricoles stimulerait la production, de nombreux gouvernements ont subventionné des moyens de production (eau d'irrigation, engrais chimiques, pesticides, machines agricoles...) ou le crédit afin de réduire les coûts supportés par les agriculteurs. Ils ont aussi cherché à stabiliser les prix des produits agricoles et, surtout dans les pays développés, à maintenir ces prix à des niveaux relativement élevés. Ainsi, durant plus de trois décennies, la politique agricole de l'Europe communautaire a garanti aux producteurs des prix supérieurs aux prix internationaux pour de nombreuses denrées afin d'accroître la production et de parvenir à une large autosuffisance alimentaire. Mais cette politique a commencé à changer depuis 1992, sous l'influence notamment des négociations internationales sur l'agriculture entreprises dans le cadre du G.A.T.T. (General Agreement on Tariffs and Trade, ou Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et poursuivies dans le cadre de l'O.M.C. (Organisation mondiale de commerce).

Des politiques d'investissements publics dans des infrastructures rurales de transport, de communication, d'irrigation, de drainage..., dans des services de recherche et de vulgarisation agricoles ont aussi été menées.


La révolution verte

La révolution verte s'inscrit dans cette stratégie d'accroissement de la production agricole.

À partir des années 1960, dans le contexte de la guerre froide, à l'initiative de certaines fondations (Rockefeller, Ford, Kellogg) et avec l'appui technique et financier de l'aide internationale, des variétés de blé, de riz, de maïs et, le cas échéant, de quelques autres plantes ont été sélectionnées pour donner de très hauts rendements. Ces derniers sont obtenus à condition d'utiliser des engrais chimiques et des pesticides et, pour ce qui est du riz, de pratiquer une irrigation et un drainage parfaitement maîtrisés. Ces nouvelles variétés ont été adoptées assez rapidement par les paysans pouvant respecter ces contraintes de culture, en particulier dans les pays où les gouvernements ont pris des mesures incitatives (Inde, Indonésie, Philippines, Thaïlande...) : investissements publics dans les infrastructures agricoles et rurales, politique de stabilisation des prix aux producteurs, subventions publiques aux engrais, aux pesticides, à l'eau d'irrigation, au crédit... Ainsi, dans plusieurs pays dont l'Inde, la révolution verte a permis d'accroître la production agricole à un rythme plus rapide que celui de la population, et même d'atteindre une autosuffisance globale en denrées vivrières de base. Mais cette révolution a aussi entraîné des problèmes de pollution, de salinisation des sols et autres inconvénients écologiques. Et elle n'a pas empêché la persistance d'une sous-alimentation importante dans ces pays. Enfin, il faut souligner que de nombreuses régions du monde n'ont jamais été atteintes par la révolution verte car les conditions de culture y étaient défavorables, et que, même dans les régions concernées, beaucoup de producteurs n'y ont pas eu accès.


Les importations de denrées vivrières de base

Les importations de denrées vivrières de base, y compris au titre de l'aide alimentaire, ont été et sont encore pratiquées, par obligation ou par choix, par de nombreux pays. Les marchés internationaux de ces denrées sont caractérisés par une très forte instabilité des prix et des quantités, et par une baisse tendancielle des prix réels particulièrement marquée au cours de la seconde moitié du xxe siècle. Pour ce qui concerne les céréales, sur la période 2001-2003, une trentaine de pays seulement en ont exportées tandis que quelque 170 pays en ont importées. Plus précisément, sur cette même période, cinq territoires seulement ont fourni près de 60 % des exportations mondiales de céréales : il s'agit des États-Unis (30 %), de l'Argentine (7 %), de l'Union européenne (7 %), du Canada (6 %) et de l'Australie (6 %). Et presque tout le négoce international des céréales est assuré par moins d'une demi-douzaine de firmes multinationales. Instabilité des prix et structure oligopolistique de ces marchés font que la pratique des importations de denrées vivrières est d'autant plus risquée pour un pays que celles-ci représentent une part importante de la consommation intérieure ou des dépenses en devises.

L'aide alimentaire

L'aide alimentaire est une aide internationale en vivres. Ces derniers sont soit transférés directement aux populations vulnérables, soit vendus pour financer des initiatives de développement. Au début du xxie siècle, cette aide représente moins de 5 % du total de l'aide publique au développement, moins de 5 % du volume des échanges internationaux et moins de 5 millièmes de la production mondiale pour les céréales.

L'un des premiers grands programmes d'aide alimentaire fut engagé après la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre du plan Marshall d'aide des États-Unis à la reconstruction de l'Europe. En 1954, les États-Unis furent le premier pays à adopter une loi relative à l'aide alimentaire, la Public Law 480, ou Agricultural Trade Development and Assistance Act, toujours en vigueur aujourd'hui même si elle a connu de nombreuses modifications depuis lors. Cette loi prévoyait des dons, des ventes à prix préférentiels, ainsi que des prêts avantageux, de l'État américain aux États en difficulté. Les objectifs étaient certes de lutter contre la faim dans les pays démunis, mais aussi d'écouler les surplus agricoles américains, de conquérir de nouveaux marchés et d'asseoir une influence politique permettant en particulier de contenir l'expansion du communisme. Dès cette époque, il fut clair que l'aide alimentaire risquait fort de perturber le commerce agricole international, ce qui poussa les pays membres de la F.A.O. à adopter, en 1955, les « Principes d'écoulement des excédents », une sorte de code de conduite international visant à préserver les intérêts des entreprises exportatrices et ceux des producteurs locaux. En 1962, la fondation du Programme alimentaire mondial (P.A.M.) des Nations unies inaugura la livraison de volumes importants d'aide alimentaire multilatérale, les pays européens et le Japon figurant parmi les donateurs, à côté des États-Unis, et les pays receveurs ayant leur mot à dire sur ces opérations. En 1967 fut signée, dans le cadre du G.A.T.T., la première convention sur l'aide alimentaire, qui visait à garantir chaque année un volume minimum d'aide alimentaire en céréales, indépendamment des fluctuations de l'offre et des prix internationaux. À la fin des années 1960, l'ensemble des pays de la C.E.E. constituait le deuxième donateur d'aide alimentaire (derrière les États-Unis), ce qui leur permettait notamment d'écouler les excédents de produits laitiers.

On peut distinguer plusieurs types d'aide alimentaire suivant l'origine des denrées. L'aide dite directe est exportée depuis le pays donateur : elle représente près de 90 % de l'aide totale. Le plus souvent, une telle aide est liée, c'est-à-dire qu'elle est assortie de conditions quant à l'emballage, au transport, éventuellement à la transformation des denrées, qui doivent être effectués en grande partie par des entreprises du pays donateur. Les opérations triangulaires désignent des achats de denrées dans un pays en développement, à destination d'un autre pays en développement, financés par un pays donateur. Les achats locaux font référence à des achats par un donateur dans le pays bénéficiaire lui-même. Ces deux derniers genres d'aide alimentaire forment un peu plus de 10 % de l'aide totale. Les États-Unis et l'Union européenne sont les deux premiers fournisseurs, assurant, respectivement, environ la moitié et le tiers de l'aide alimentaire totale.

On peut aussi distinguer différents genres d'aide alimentaire selon l'utilisation qui en est faite. L'aide d'urgence, délivrée dans les situations de guerre ou de catastrophe naturelle, représente actuellement les deux tiers de l'aide totale. L'aide aux projets, distribuée aux personnes vulnérables dans le cadre de projets de développement, forme environ un quart de l'aide alimentaire. Quant à l'aide aux programmes, qui se substitue à des importations commerciales en cas de manque de devises, elle ne constitue plus que 10 % de l'aide (contre plus de 60 % à la fin des années 1980). Au début des années 2000, l'Éthiopie, le Soudan, l'Irak, la Corée du Nord et les pays du Sud de l'Afrique étaient les principaux bénéficiaires de ces aides. Le P.A.M. gère environ la moitié de l'aide alimentaire totale et les organisations non gouvernementales jouent un rôle de plus en plus important dans sa distribution. Un peu plus de 10 % de l'aide est monétisée, c'est-à-dire vendue dans les pays receveurs pour y couvrir les coûts de manutention et de répartition, ou pour financer des projets de développement. L'aide gérée par le P.A.M. et celle provenant des pays de l'Union européenne ne sont jamais monétisées.

L'aide alimentaire a fait l'objet de nombreuses critiques. En particulier, on lui reproche d'être délivrée de façon imprévisible et instable, non pas tant selon les besoins des pays receveurs que selon les intérêts géopolitiques, les stocks vivriers et les budgets publics des États donateurs. L'aide alimentaire varie aussi en fonction des prix sur les marchés internationaux : elle tend à être plus importante quand ces prix sont bas, et à se faire rare dans le cas contraire. Par ailleurs, lorsque cette aide est surabondante et délivrée gratuitement ou à bas prix, ou bien si elle arrive avec plusieurs mois de retard, elle peut venir concurrencer les denrées agricoles dans les pays receveurs et y décourager les producteurs. Elle peut aussi inciter la population à la passivité et la maintenir en état de dépendance. L'aide alimentaire peut encore être détournée au profit de groupes armés ou puissants, ou bien être constituée de denrées inadaptées aux habitudes alimentaires des populations receveuses, voire de mauvaise qualité. Enfin, cette aide peut correspondre à des subventions déloyales à l'exportation.

Les évaluations tendent à conclure que l'aide d'urgence est cruciale pour sauver des vies et atténuer les problèmes nutritionnels en cas de conflit ou de catastrophe naturelle. L'aide alimentaire distribuée dans le cadre de projets est souvent utile aussi pour les personnes vulnérables, mais toutes n'en bénéficient pas. Quant à l'aide aux programmes, il semble qu'elle soit peu efficace. D'une manière générale, on estime que l'aide alimentaire a très peu d'effets sur la réduction de la pauvreté et sur le développement à moyen et long terme. Cette inefficacité paraît largement due au fait que l'aide alimentaire est liée, instable, qu'elle est constituée de denrées alors même qu'une aide financière s'avère souvent plus utile, et qu'elle est gérée par des institutions fondées il y a plusieurs décennies, quand ce genre d'aide était assez important. Ces questions font débat aujourd'hui, de même que les critères discutés en particulier à l'O.M.C., qui pourraient permettre de distinguer aide alimentaire et subventions déloyales à l'exportation.


Les politiques d'accroissement des capacités d'accès à la nourriture


Les subventions à la consommation alimentaire

Dans la même perspective de pensée que celle de A. K. Sen, d'autres actions publiques ont été conduites (parallèlement ou non aux précédentes), visant à accroître, ou à maintenir au-dessus d'un certain seuil, les capacités d'accès de la population, en particulier des plus pauvres, à la nourriture. Outre les politiques salariales, de redistribution des richesses et de sécurité sociale destinées à garantir un niveau de vie minimum, des politiques alimentaires ont permis d'abaisser les prix de certaines denrées afin de les rendre plus accessibles. À cet égard, on peut distinguer deux grands types, non exclusifs l'un de l'autre, de politiques : celles qui sont fondées sur le paiement de bas prix aux producteurs agricoles et celles où le budget de l'État finance l'abaissement des prix aux consommateurs. De nombreux gouvernements des pays en développement ont pratiqué les premières, en fixant des prix plafonds, en important à bas prix, en taxant les exportations, et parfois même en imposant aux producteurs des livraisons à très bas prix. Dans ce cas, c'est la paysannerie qui a supporté le poids de la politique alimentaire (on parle alors de subventions implicites à la consommation alimentaire), un phénomène qui a été qualifié de « biais urbain » des politiques, dans la mesure où des prix agricoles bas sont défavorables aux producteurs mais peuvent profiter aux consommateurs urbains. Certains gouvernements de pays en développement – en particulier ceux des pays d'Afrique du Nord (Égypte, Maroc, Tunisie, dans les années 1960 et 1970), du Proche-Orient, de l'Asie du Sud (Inde, Sri Lanka..., à partir des années 1950) et du Sud-Est – ont utilisé des fonds publics pour subventionner la consommation de certains produits alimentaires (subventions dites explicites, qui ne sont pas incompatibles avec des subventions implicites). De telles subventions peuvent bénéficier à l'ensemble de la population (subventions au pain et à la farine de blé en Égypte par exemple), ou bien être ciblées sur certaines catégories vulnérables. Le ciblage des individus ou des ménages peut reposer sur une évaluation de leur niveau de vie, ou sur les recommandations de la communauté parmi laquelle ils vivent. Il peut aussi se produire de manière quasi automatique quand les subventions sont appliquées à des biens dits « inférieurs » (biens dont la consommation diminue quand le revenu augmente), ou à des vivres obtenus en échange d'une participation à des travaux d'intérêt général : on parle alors d'autociblage. Le ciblage peut encore être fondé sur des critères géographiques (quartiers, régions pauvres) ou démographiques (enfants, personnes âgées, femmes enceintes...).

A priori, des subventions ciblées coûtent moins cher à l'État que des subventions généralisées. Cependant, le ciblage en lui-même entraîne des frais financiers, d'études, de gestion des programmes, ces coûts étant généralement plus faibles dans les pays disposant déjà de systèmes de statistiques économiques et sociales, ou en cas d'autociblage. Il peut aussi avoir des répercussions politiques dans la mesure où ceux qui n'en bénéficient pas peuvent se sentir exclus. De plus, aucune méthode de ciblage n'est complètement fiable, chacune comportant des erreurs d'inclusion – des personnes qui n'en ont pas besoin bénéficient du programme – et des erreurs d'exclusion – des personnes qui en auraient besoin n'en bénéficient pas. En fin de compte, le ciblage est loin d'être toujours efficace.

Pour abaisser les prix aux consommateurs en période de soudure (semaines qui précèdent la future récolte, lorsque les stocks issus de la récolte précédente sont très bas), certains États (Inde, Indonésie...) ont financé des systèmes publics d'achat et de stockage de grains au moment de la récolte, et de revente à prix modérés plusieurs mois plus tard.

Les subventions alimentaires publiques ont beaucoup diminué dans les pays en développement avec les réductions de dépenses budgétaires qui ont suivi l'éclatement de la crise de la dette au début des années 1980.


La politique alimentaire aux États-Unis

Les États-Unis sont le seul pays développé à conduire une politique alimentaire proprement dite. Celle-ci est financée par des fonds publics provenant du budget fédéral (moins de 1 % de ce budget) et des budgets des États fédérés. Elle est composée de quinze programmes, ciblés pour la plupart sur les catégories vulnérables de la population, qui vont du financement d'une partie des achats alimentaires des pauvres et des déjeuners servis dans les écoles à l'éducation nutritionnelle, en passant par la distribution de compléments alimentaires aux personnes à risques et par des dons aux associations caritatives. Au début du xxie siècle, un Américain sur cinq bénéficie d'un programme au moins durant une période de l'année.

Le programme de coupons alimentaires (Food Stamp Program) représente à lui seul environ 60 % des dépenses fédérales relatives à la politique alimentaire. Son objectif est de permettre une alimentation correcte, en quantité et en qualité, des ménages pauvres. Les foyers bénéficiaires sont sélectionnés sur des critères de revenu, de patrimoine, de citoyenneté américaine pour les adultes (sauf cas particuliers tels que les vétérans de l'armée) et, pour les chômeurs valides, de recherche active d'emploi. Chaque mois, en fonction du revenu et de la taille du ménage, ils reçoivent un crédit sur une carte à puce électronique spécifique, qui leur permet d'acheter des aliments dans des magasins agréés. En 2003, 21 millions de personnes, c'est-à-dire un individu sur quatorze résidant aux États-Unis, participaient à ce programme, alors même que 37 millions de personnes y avaient droit. Le taux relativement faible de participation (57 %) s'explique par le manque d'information des populations concernées, par leur difficulté à mener à bien les démarches administratives d'inscription, et aussi par la honte que beaucoup éprouveraient à dépendre d'un programme d'assistance sociale.

Le programme de déjeuners dans les écoles (School Lunch Program) constitue près de 20 % des dépenses fédérales de politique alimentaire. L'État subventionne les déjeuners servis dans 99 % des écoles publiques, et dans 83 % de l'ensemble des écoles publiques et privées : les déjeuners y sont gratuits pour les élèves issus de ménages dont les revenus sont inférieurs à 130 % du seuil de pauvreté ; ils sont à prix réduits pour les élèves appartenant à des ménages dont les revenus se situent entre 130 et 185 % du seuil de pauvreté ; les déjeuners sont légèrement subventionnés dans les autres cas. Au début du xxie siècle, près de 30 millions d'enfants, c'est-à-dire environ 60 % des enfants inscrits dans les écoles participant à ce programme, en bénéficient.

Le programme pour les femmes, les nourrissons et les enfants (Women, Infants, Children Program) représente près de 10 % des dépenses fédérales de politique alimentaire. Il dispense des compléments alimentaires, de l'éducation nutritionnelle et des conseils de santé pour les femmes enceintes ou venant d'accoucher, pour les bébés et les enfants de moins de cinq ans appartenant à des ménages dont les revenus sont inférieurs à 185 % du seuil de pauvreté. Près de 10 millions de personnes en bénéficient.

Les effets des programmes alimentaires sur la nutrition et la santé des bénéficiaires ne sont en général pas bien établis d'un point de vue statistique. L'enquête annuelle sur la sécurité alimentaire des ménages aux États-Unis révèle que le taux de précarité alimentaire dépasse 50 % parmi les foyers ayant participé à l'un au moins des trois grands programmes alimentaires dans les trente jours précédant l'enquête (contre 11 % pour l'ensemble des ménages). Cela tend à montrer que ces programmes n'atteignent pas tous leurs objectifs, mais on peut aussi penser que la situation alimentaire de ces ménages serait pire encore en l'absence de programmes.

Les pouvoirs publics américains se sont fixés pour objectifs d'abaisser le taux de précarité alimentaire des ménages au-dessous de 6 % à l'horizon de 2010, et de favoriser une alimentation plus saine et plus équilibrée.


Autres politiques

Pour lutter contre les carences en nutriments, plusieurs voies sont possibles : promouvoir une alimentation saine et diversifiée, enrichir certains aliments de base, supplémenter l'alimentation des populations vulnérables.

Enrichir un aliment consiste à lui incorporer un ou plusieurs nutriments. Pour cela, l'aliment choisi doit être largement et régulièrement consommé par les populations carencées ou à risques, et ne pas changer de couleur, de goût ou de texture avec l'enrichissement. C'est pourquoi l'eau, le sel, les céréales, le pain, le sucre, le lait, certains condiments et sauces peuvent éventuellement être enrichis. Quant aux nutriments, ils doivent être faciles et économiques à incorporer, et sous une forme qui reste stable pendant le stockage de l'aliment. Tout cela exige une coopération étroite entre les institutions publiques compétentes et les industries agroalimentaires, avec la mise en place de normes et de procédures de contrôle de la qualité. Il y faut aussi un suivi des quantités de nutriments absorbées par la population. Dans les pays développés, l'enrichissement de certains aliments (sel iodé ou fluoré, lait enrichi en fer, en zinc ou en magnésium, etc.) a sans doute contribué à réduire des carences qui étaient encore fort répandues au début du xxe siècle.

Supplémenter l'alimentation d'un individu consiste à ce qu'il absorbe, par voie orale ou intraveineuse, des substances riches en nutriments. Les programmes de supplémentation nutritionnelle sont des actions à court terme, généralement ciblées sur les catégories de population carencées ou à risques avérés. Ils se heurtent assez souvent à des problèmes de coûts, de logistique, d'abandon du traitement à cause des effets secondaires, ou de refus des populations.

Certaines politiques non directement alimentaires peuvent avoir au moins autant d'effets sur l'alimentation que des politiques à visée proprement alimentaire. Ainsi, les réformes agraires, qui consistent à redistribuer l'usage des terres lorsque celui-ci est jugé trop inégalitaire, constituent un moyen d'augmenter la capacité d'accès à la nourriture des paysans les plus mal lotis et aussi, bien souvent, d'accroître le ratio disponibilités alimentaires/population, à condition toutefois que les familles paysannes bénéficiaires puissent aussi avoir accès au crédit, aux outils et aux intrants leur permettant d'exploiter leurs nouvelles terres. Des gouvernements assez nombreux ont entrepris, entre les années 1940 et 1960, des réformes agraires, mais celles-ci se sont heurtées à l'opposition des propriétaires fonciers, notamment en Amérique latine. En fin de compte, les redistributions de terre n'ont été significatives que dans quelques pays (Chine, Vietnam, Corée du Nord, Corée du Sud, Taïwan, Japon, certains États de l'Inde...). Aujourd'hui, la question de la réforme agraire pour contribuer à résoudre les problèmes de sous-alimentation et de malnutrition constitue un problème politique de premier plan en Amérique latine et en Afrique australe.

Par ailleurs, les politiques de santé publique et d'éducation peuvent grandement accroître l'efficacité des politiques alimentaires. C'est vrai pour la multiplication de centres de soins de santé primaire, où l'on prévient (vaccinations, déparasitages, éducation nutritionnelle, à l'hygiène et à la santé...), dépiste et soigne les maladies les plus courantes (Sri Lanka, État du Kerala en Inde). C'est vrai pour la promotion de l'accès à l'eau potable et pour l'éducation des femmes.

Toutes ces mesures publiques, ainsi que les actions privées, ont sans nul doute contribué à la baisse de la prévalence de la sous-alimentation au cours des dernières décennies du xxe siècle (fig. 5  ).


III - Révolution agricole contemporaine et perspectives à l'horizon de 2050


Projections de la population et des besoins alimentaires

Selon les projections démographiques des Nations unies établies en 2004, la planète comptera en 2050 entre 7,6 et 10,6 milliards d'humains, avec une variante moyenne à 9,1 milliards. Les chiffres avancés dépendent fondamentalement de l'hypothèse retenue quant au taux de fécondité moyen (nombre d'enfants par femme en âge de procréer) qui sera atteint en 2050 : 1,6 ou 2,1 ou 2,6. Selon le scénario moyen des projections à plus long terme, la population mondiale pourrait atteindre un maximum de 9,2 milliards en 2075, puis évoluer vers 9 milliards (Nations unies, 2004).

Sur la base de projections démographiques, P. Collomb, agronome et démographe français, a calculé pour chaque pays les disponibilités en kilocalories d'origine végétale qui seront nécessaires en 2050 pour que la population puisse manger tout juste correctement, y compris un peu d'aliments d'origine animale pour assurer une diversité minimale du régime alimentaire (P. Collomb, 1999). Pour cela, il a effectué des projections concernant les structures démographiques (classe d'âges, taille moyenne, taux de fécondité, taux d'urbanisation) et les besoins alimentaires correspondants, tout en prenant en compte les inégalités d'accès à la nourriture et les pertes. D'après ses calculs, les besoins humains en kilocalories d'origine végétale auront, à l'échelle du monde, à peu près doublé en 2050 par rapport à leur niveau de 1995. Ils seront multipliés par quelque 1,8 en Amérique latine/Caraïbes, 2,2 en Asie et 4,9 en Afrique. Dans plusieurs pays de ce continent, ils feront même plus que décupler. En revanche, dans les pays développés, ces besoins pourraient légèrement diminuer.


révolution verte : des possibilités d'extension très limitées

Pour relever ces immenses défis, certains pensent à de nouvelles extensions de la révolution agricole contemporaine (motorisation, grande mécanisation, recours à la chimie, sélection génétique, spécialisation...) telle qu'elle s'est déployée au cours de la seconde moitié du xxe siècle dans les pays développés et dans quelques secteurs des pays en développement. Certes, ce type d'agriculture permet d'atteindre des niveaux de production par travailleur très élevés, mais la production annuelle de biomasse utile par unité de surface est relativement faible. De plus, la possibilité d'étendre cette révolution sera limitée car elle nécessite peu de main-d'œuvre, les coûts de ses matériels de culture et d'élevage sont très élevés, et elle présente des inconvénients écologiques notoires (pollutions...). D'aucuns envisagent d'étendre la révolution verte à de nouvelles régions, ou de la renforcer en diffusant des variétés végétales à très haut rendement, ainsi que des techniques sophistiquées d'épandage de grandes quantités d'engrais avec une grande précision de lieu et de temps. Mais les inconvénients de la révolution verte (coûts relativement élevés, pollutions, salinisation...) et les coûts plus élevés encore de la révolution verte renforcée freineront forcément de tels développements.

Et certains fondent beaucoup d'espoir sur le dernier avatar technique de ces deux révolutions agricoles, à savoir les organismes génétiquement modifiés (O.G.M.).


Les O.G.M. : espoirs et dangers

Il est vraisemblable que le développement d'organismes génétiquement modifiés à rendements élevés, résistants aux maladies et aux ravageurs, tolérants vis-à-vis de conditions climatiques extrêmes (sécheresse, inondations...) ou de sols ingrats (salure, déficiences en minéraux...), ou enrichis en micronutriments, pourrait permettre, dans certains cas, de lutter contre la malnutrition. Mais, jusqu'à présent, l'essentiel du financement des recherches sur les O.G.M. concerne des cultures destinées aux agriculteurs solvables, et non aux paysans pauvres des régions déficitaires. Ainsi, en 2004, 70 % de la superficie cultivée en O.G.M. dans le monde étaient consacrés à des cultures de soja et de maïs servant surtout à l'alimentation animale dans les pays développés. Et quelque 70 % des O.G.M. cultivés dans le monde avaient pour caractère spécifique d'être tolérants aux herbicides, alors même que ces produits ne sont que peu ou pas utilisés par la majorité des paysans pauvres. Dans l'hypothèse où ces paysans auraient accès à des O.G.M. performants et inoffensifs, encore faudrait-il qu'ils puissent accéder durablement au surcroît de fertilité et d'eau nécessaire pour exploiter le potentiel de ces semences, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Ajoutons que la prévision et le suivi des risques liés à la dissémination d'O.G.M. sont particulièrement difficiles dans les régions tropicales, car les écosystèmes cultivés y sont en général plus complexes que ceux des régions tempérées, et parce que la plupart des plantes cultivées dans le monde descendent de plantes tropicales, dont les variétés sauvages existent toujours et sont donc susceptibles de se croiser avec des plantes cultivées génétiquement modifiées. Rappelons enfin que les O.G.M. ne constituent qu'un volet des biotechnologies : la multiplication de plants in vitro (manioc, taro, patate douce, banane plantain, palmier...) ainsi que les fermentations (fabrication de fromages, de pâtes de soja, de bière, de vin...) jouent depuis longtemps un grand rôle dans l'agriculture et l'alimentation de nombreux pays en développement.

Vers un développement agricole durable

En se fondant sur l'analyse approfondie des réussites, des inconvénients et des limites de la révolution verte, certains prônent une révolution dite doublement verte, qui vise à augmenter fortement la production agricole dans de nombreuses régions du monde, non pas tant en usant de produits chimiques, mais en utilisant intensément les fonctionnalités écologiques des écosystèmes : par exemple, la fixation de l'azote de l'air par certaines plantes constitue un apport d'engrais gratuit ; la décomposition de la biomasse produit de la fertilité d'origine organique ; les rapports entre prédateurs et proies peuvent permettre de contrôler les ravageurs des cultures ; etc. Des agricultures de ce genre se sont déjà développées dans plusieurs régions agricoles très peuplées du monde (certains deltas d'Asie du Sud-Est, Rwanda, Burundi, Yucatan, sud de l'Inde...) : elles associent étroitement sur une même parcelle des cultures annuelles, l'arboriculture, l'élevage et même la pisciculture ; elles produisent de très fortes quantités de biomasse utile par unité de surface, en utilisant beaucoup de main-d'œuvre mais fort peu de ressources non renouvelables et coûteuses.

Plus d'un demi-siècle après la Déclaration universelle des droits de l'homme, il faut bien constater que le droit à une alimentation adéquate n'est pas effectif pour une bonne partie des êtres humains, en particulier pour les populations paysannes des pays en développement. Pour nourrir l'humanité de manière adéquate et durable, il faudra trouver les moyens d'accroître la production agricole tout en assurant la viabilité écologique des écosystèmes cultivés, ainsi que leur viabilité économique et sociale. Cela signifie qu'il faudra agir pour éliminer la pauvreté et accroître équitablement le bien-être en milieu rural. En parallèle, il sera nécessaire de promouvoir une alimentation saine, en particulier pour lutter contre le développement de l'obésité et des maladies cardio-vasculaires.

Laurence ROUDART


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