Monsieur le Recteur



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Minimalistes


L’expression ‘minimaliste’ vient sous la plume de Pierre Toubert et d’Adriaan Verhulst pour désigner l’opinion nouvelle, fondée à partir des années 1960 sur les travaux de Georges Duby, selon laquelle la période carolingienne aurait été caractérisée, comme tout le reste du Haut Moyen Âge, par une profonde dépression agricole. Un des caractères essentiels du monde carolingien aurait été le taux de rentabilité extrêmement faible du système de production domanial5. Les arguments à l’appui de cette thèse sont supportés avant tout par des conjectures démographiques sur la densité très faible du peuplement, à l’exception de quelques régions privilégiées situées dans le cœur de l’Empire franc, et sur l’absence d’incitation démographique au décollage. Le système agraire paraît bloqué par des forces économiques et des contraintes techniques qui ont nom : manque d’intensification, techniques et pratiques de culture primitives, rendements céréaliers et récoltes misérables. Dévorée par les prélèvements destinés à maintenir tant bien que mal le capital humain, à reconstituer le capital d’exploitation et à assurer la consommation de l’armée, de la cour royale et des seigneurs, la production agricole ne laisse guère de marge pour approvisionner le marché. L’autoconsommation était la règle et consumait toute opportunité de développement non-agricole.

Cette vision pessimiste de l’économie des temps carolingiens contraste fortement avec le ton général de l’historiographie française jusqu’à la fin des années ‘50. Parce qu’ils considéraient le règne de Charlemagne comme une époque de renaissance, ces historiens « étaient inconsciemment portés à y supposer dans tous les domaines un progrès identique »6. Vue comme un tout, la civilisation carolingienne est le lieu d’une brillante ‘renaissance’ agraire marquée par l’initiative royale. « Avant d’être un grand conquérant, un grand homme d’État, Charlemagne était un grand propriétaire foncier et un grand agronome ; c’est le caractère primordial de son personnage »7. Analysée à la lumière du capitulaire de villis, la seigneurie carolingienne apparaissait comme une « vaste entreprise, ferme et manufacture tout à la fois »8. Le caractère brillant de la civilisation carolingienne, les succès militaires de Charlemagne seraient « difficiles à expliquer sans les ressources d’une économie exclusivement agricole »9. L’agriculture devait avoir été prospère (dans la sphère au moins de la grande propriété publique et aristocratique) pour justifier l’essor militaire et culturel de l’empire carolingien. Parmi les historiens d’expression française, Henri Pirenne fait bien-sûr exception. « Ce qui est vrai de la culture littéraire, de l’état religieux, des mœurs, des institutions et de la politique ne l’est pas de la circulation et du commerce (…). L’histoire est forcée de reconnaître que, si brillant qu’il apparaisse par ailleurs, le siècle de Charlemagne, à le considérer du point de vue économique, est un siècle de régression » 10.

L’histoire politique domine, même dans des synthèses consacrées exclusivement à l’économie rurale comme L’agriculture au Moyen Âge publiée par Roger Grand et Raymond Delatouche en 1950. L’inversion de la conjoncture politique après l’avènement de Louis le Pieux entraîne l’économie dans une phase profonde de régression. « Tout compte fait », conclut Grand, « cet effort se soldera, en définitive, par un déficit car, dès le cours du IXe siècle, les inventaires mentionnent de nombreuses terres vacantes, mansi absi, non vestiti. C’est que, apaisé le feu de paille de la renaissance caroline, après la disparition de Charlemagne viennent les incursions normandes et c’est alors une nouvelle et profonde régression »11. Il faut attendre la « renaissance du XIe au XIVe siècle » pour que la société européenne, « épuisée par la décomposition de l’empire carolingien sous l’action des nationalismes régionaux (…), reprenne alors vigoureusement de ses forces »12.

Avec son contemporain, Jacques Le Goff qui publie en 1965 La civilisation de l’Occident médiéval, Duby présente la ruralisation, « fait économique, fait démographique (…), fait social » comme l’élément déterminant qui modèle le visage de la société médiévale13. Ces idées constituent un tournant épistémologique. Elles permettent de comprendre pourquoi et comment Georges Duby a renoncé à la vision holistique d’une renaissance carolingienne délivrant ses effets bénéfiques dans tous les secteurs de la vie culturelle, sociale et économique, pour défendre l’hypothèse d’une longue et profonde stase de la vie des campagnes jusqu’à la révolution agricole du IIe millénaire.


Naissance de l’histoire rurale française


Avant d’examiner la thèse défendue par Georges Duby, nous devons remonter trente ans plus tôt, à la publication des Caractères originaux de l’histoire rurale française. Comme l’écrit Lucien Febvre dans sa préface de 1952, le livre de Marc Bloch signe la naissance de l’histoire rurale en France. Auparavant, il s’était trouvé des hommes connaissant « la technique des champs » pour décrire la vie des campagnes, mais parmi les historiens français de profession, « la technique agricole était lettre close (…), leurs paysans ne labouraient que des cartulaires, avec des chartes en guise d'araires ». Dans son bilan critique de 1952, Febvre souligne trois carences principales : le désintérêt pour les techniques, l’absence de problématique économique et celle du comparatisme. Les questions agraires se posent « à tout le moins, sur le plan européen. » Les Caractères originaux marquent « l’avènement d’une histoire rurale, qui, mitoyenne entre l’histoire de la technique agricole, du régime domanial et de l’évolution comparée des peuples européens, va devenir pour longtemps un des champs d’études les plus féconds du domaine historique – un de ces lieux de choix où pourront le plus aisément s’entendre pour collaborer les historiens soucieux de réalités et les géographes curieux d’origines ». Dix ans plus tard, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval s’inscrit dans la postérité de l’œuvre de Bloch. Celui-ci avait su esquisser les grandes lignes d’une géographie historique de la campagne française « en dominant les histoires provinciales ». Georges Duby regardera « plus loin encore » (France, Angleterre, Empire) en construisant sur l’historiographie européenne, spécialement anglaise et allemande, son Essai de synthèse et perspectives de recherche.

Le cadre chronologique purement médiéval choisi par Duby est fortement décalé par rapport à l’architecture générale des Caractères originaux qui englobent toute l’histoire de la France rurale jusqu’au XVIIIe siècle. Marc Bloch construit son livre sur le contraste entre agriculture traditionnelle et révolution agricole moderne. Avant le XVIIIe siècle, la diversité des régimes agraires s’inscrivait dans l’espace plutôt que dans la durée. Au-delà des temps historiques, « c’est bien plus haut, jusqu’aux populations anonymes de la préhistoire, créatrice de nos terroirs, qu’il faudrait remonter » pour comprendre l’histoire des campagnes françaises14. Marc Bloch s’est expliqué longuement sur la place importante qu’il a donné aux transformations intervenues dans la vie agraire à partir du XVIIIe siècle. L’histoire est avant tout la science d’un changement. Cependant, l’état lacunaire de la documentation impose aux études agraires de pratiquer la méthode régressive : « Pour interpréter le passé, c’est vers le présent ou, du moins, un passé tout voisin du présent qu’il sied, d’abord, de regarder ». S’il sait jouer du contraste entre tradition et modernité, Bloch prend ses distances par rapport au concept de révolution agricole forgé par Karl Marx sur la base du programme de modernisation des campagnes défendu par les Agronomes et les Classiques à la fin du XVIIIe siècle : la disparition des paysages d’openfield par l’abolition des servitudes collectives et la promotion de l’individualisme agraire15. Pour Marc Bloch, c’est toutefois l’européanisation, puis la mondialisation des échanges au cours du XIXe siècle qui ont imposé « la condition impérative et parfois gênante de toute amélioration agricole (…) : la spécialisation rationnelle des sols ». Si l’idée de révolution agricole peut avoir droit de cité à ses yeux, c’est pour créer un parallèle terminologique avec la « révolution industrielle » durant laquelle les bouleversements des techniques et des usages agraires « sont intimement liés dans leur chronologie et dans leur nature ». « Révolution, sans doute, si l’on entend par ce mot une mutation profonde. Mais secousse inouïe succédant à des siècles d’immobilité ? Non certes. Mutation brusque ? Pas d’avantage. Elle s’est étendue sur de longues années, voire plusieurs siècles ».



Révolution économique ou révolution agricole ?

Pour Marc Bloch qui utilise l’expression en 1939 dans le 1er tome de la Société féodale, s’il y eut bien une « révolution économique médiévale », ce bouleversement coïncide avec l’intense mouvement de peuplement de 1050 à 1250 qui a « transformé la face de l’Europe ». Ce qui manque avant tout en Occident avant l’an Mil, ce sont les hommes !



  • Peuplement clairsemé ;

  • Agglomérations séparées par de multiples vides ;

  • Agriculture extensive ;

  • Manque de relations culturelles, commerciales…16.

Bloch fait ici figure de précurseur de théories actuelles du développement économique en insistant sur l’intensification de la « vie des relations sous toutes ses formes » comme facteur de développement de l’activité économique. La croissance démographique est un facteur d’intensification dans tous les domaines : agricole, avec l’accent mis sur les défrichements ; artisanal, avec les moyens nouveaux que procure l’intégration de techniques éprouvées, comme le moulin à foulon. « Cette révolution (…), seuls les phénomènes démographiques l’avaient rendue possible. Si la population n’avait pas été plus qu’auparavant abondante et la surface cultivée plus étendue, si, mieux mis en valeur par des bras plus nombreux, soumis, notamment, à des labours plus souvent répétés, les champs n’étaient devenus capables de plus épaisses et plus fréquentes moissons, comment eût-on pu rassembler, dans les villes, tant de tisserands, de teinturiers ou de tondeurs d’étoffe et les nourrir »17. L’intense mouvement de peuplement de 1050 à 1250 a rapproché les uns des autres les groupes humains, favorisant, dans leur ascension de nouveaux pouvoirs, bourgeoisies urbaines, royautés et principautés. L’urbanisation rendue possible par la croissance démographique a entraîné une véritable révision des valeurs sociales : l’économie médiévale n’a plus été dominée par le producteur, mais par le commerçant. L’explication défendue par Marc Bloch est demeurée inachevée avec sa mort tragique : au-delà du rôle causal attribué au progrès démographique, à rebours du malthusianisme, il manque la description de cet « intense mouvement du peuplement » qu’il se proposait en 1939 d’aborder « dans un autre livre ».

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