Montaigne les Essais livre III



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Cette peinture est conduitte, non tant par dexterité de la main, comme pour avoir l'object plus vifvement empreint en l'ame. Gallus parle simplement, par ce qu'il conçoit simplement : Horace ne se contente point d'une superficielle expression, elle le trahiroit : il voit plus clair et plus outre dans les choses : son esprit crochette et furette tout le magasin des mots et des figures, pour se representer : et les luy faut outre l'ordinaire, comme sa conception est outre l'ordinaire. Plutarque dit, qu'il veid le langage Latin par les choses. Icy de mesme : le sens esclaire et produit les parolles : non plus de vent, ains de chair et d'os. Elles signifient, plus qu'elles ne disent. Les imbecilles sentent encores quelque image de cecy. Car en Italie je disois ce qu'il me plaisoit en devis communs : mais aux propos roides, je n'eusse osé me fier à un Idiome, que je ne pouvois plier ny contourner, outre son alleure commune. J'y veux pouvoir quelque chose du mien.

Le maniement et employte des beaux esprits, donne prix à la langue : Non pas l'innovant, tant comme la remplissant de plus vigoreux et divers services, l'estirant et ployant. Ils n'y apportent point de mots : mais ils enrichissent les leurs, appesantissent et enfoncent leur signification et leur usage : luy apprenent des mouvements inaccoustumés : mais prudemment et ingenieusement. Et combien peu cela soit donné à tous, il se voit par tant d'escrivains François de ce siecle. Ils sont assez hardis et dédaigneux, pour ne suyvre la route commune : mais faute d'invention et de discretion les pert. Il ne s'y voit qu'une miserable affectation d'estrangeté : des desguisements froids et absurdes, qui au lieu d'eslever, abbattent la matiere. Pourveu qu'ils se gorgiasent en la nouvelleté, il ne leur chaut de l'efficace : Pour saisir un nouveau mot, ils quittent l'ordinaire, souvent plus fort et plus nerveux.

En nostre langage je trouve assez d'estoffe, mais un peu faute de façon. Car il n'est rien, qu'on ne fist du jargon de nos chasses, et de nostre guerre, qui est un genereux terrein à emprunter. Et les formes de parler, comme les herbes, s'amendent et fortifient en les transplantant. Je le trouve suffisamment abondant, mais non pas maniant et vigoureux suffisamment : Il succombe ordinairement à une puissante conception. Si vous allez tendu, vous sentez souvent qu'il languit soubs vous, et fleschit : et qu'à son deffaut le Latin se presentea au secours, et le Grec à d'autres. D'aucuns de ces mots que je viens de trier, nous en apperçevons plus mal-aysement l'energie, d'autant que l'usage et la frequence, nous en ont aucunement avily et rendu vulgaire la grace. Comme en nostre commun, il s'y rencontre des frases excellentes, et des metaphores, desquelles la beauté flestrit de vieillesse, et la couleur s'est ternie par maniement trop ordinaire. Mais cela n'oste rien du goust, à ceux qui ont bon nez : ny ne desroge à la gloire de ces anciens autheurs, qui, comme il est vray-semblable, mirent premierement ces mots en ce lustre.

Les sciences traictent les choses trop finement, d'une mode artificielle, et differente à la commune et naturelle. Mon page fait l'amour, et l'entend : lisez luy Leon Hebreu, et Ficin : on parle de luy, de ses pensees, et de ses actions, et si n'y entend rien. Je ne recognois chez Aristote, la plus part de mes mouvemens ordinaires. On les a couverts et revestus d'une autre robbe, pour l'usage de l'eschole. Dieu leur doint bien faire : si j'estois du mestier, je naturaliserois l'art, autant comme ils artialisent la nature. Laissons là Bembo et Equicola.

Quand j'escris, je me passe bien de la compagnie, et souvenance des livres : de peur qu'ils n'interrompent ma forme. Aussi qu'à la verité, les bons autheurs m'abbattent par trop, et rompent le courage. Je fais volontiers le tour de ce peintre, lequel ayant miserablement representé des coqs, deffendoit à ses garçons, qu'ils ne laissassent venir en sa boutique aucun coq naturel.

Et auroy plustost besoing, pour me donner un peu de lustre, de l'invention du musicien Antinonydes, qui, quand il avoit à faire la musique, mettoit ordre que devant ou apres luy, son auditoire fust abbreuvé de quelques autres mauvais chantres.

Mais je me puis plus malaisément deffaire de Plutarque : il est si universel et si plain, qu'à toutes occasions, et quelque suject extravagant que vous ayez pris, il s'ingere à vostre besongne, et vous tend une main liberale et inespuisable de richesses, et d'embellissemens. Il m'en fait despit, d'estre si fort exposé au pillage de ceux qui le hantent. Je ne le puis si peu racointer, que je n'en tire cuisse ou aile.

Pour ce mien dessein, il me vient aussi à propos, d'escrire chez moy, en pays sauvage, où personne ne m'aide, ny me releve : où je ne hante communément homme, qui entende le Latin de son patenostre ; et de François un peu moins. Je l'eusse faict meilleur ailleurs, mais l'ouvrage eust esté moins mien : Et sa fin principale et perfection, c'est d'estre exactement mien. Je corrigerois bien une erreur accidentale, dequoy je suis plein, ainsi que je cours inadvertemment : mais les imperfections qui sont en moy ordinaires et constantes, ce seroit trahison de les oster. Quand on m'a dict ou que moy-mesme me suis dict : Tu es trop espais en figures, voyla un mot du cru de Gascongne : voyla une phrase dangereuse : (je n'en refuis aucune de celles qui s'usent emmy les rues Françoises : ceux qui veulent combatre l'usage par la grammaire se moquent) voylà un discours ignorant : voylà un discours paradoxe, en voylà un trop fol : Tu te joues souvent, on estimera que tu dies à droit, ce que tu dis à feinte. Oüy, fais-je, mais je corrige les fautes d'inadvertence, non celles de coustume. Est-ce pas ainsi que je parle par tout ? me represente-je pas vivement ? suffit. J'ay faict ce que j'ay voulu : tout le monde me recognoist en mon livre, et mon livre en moy.

Or j'ay une condition singeresse et imitatrice : Quand je me meslois de faire des vers (et n'en fis jamais que des Latins) ils accusoient evidemment le poëte que je venois dernierement de lire : Et de mes premiers Essays, aucuns puent un peu l'estranger. A Paris je parle un langage aucunement autre qu'à Montaigne. Qui que je regarde avec attention, m'imprime facilement quelque chose du sien. Ce que je considere, je l'usurpe : une sotte contenance, une desplaisante grimace, une forme de parler ridicule. Les vices plus : D'autant qu'ils me poingnent, ils s'acrochent à moy, et ne s'en vont pas sans secouer. On m'a veu plus souvent jurer par similitude, que par complexion.

Imitation meurtriere, comme celle des singes horribles en grandeur et en force, que le Roy Alexandre rencontra en certaine contree des Indes. Desquels il eust esté autrement difficile de venir à bout. Mais ils en presterent le moyen par cette leur inclination à contrefaire tout ce qu'ils voyent faire. Car par là les chasseurs apprindrent de se chausser des souliers à leur veuë, avec force noeuds de liens : de s'affubler d'accoustremens de teste à tout des lacs courants, et oindre par semblant, leurs yeux de glux. Ainsi mettoyent imprudemment à mal, ces pauvres bestes, leur complexion singeresse. Ils s'engluoient, s'enchevestroyent et garrotoyent eux mesmes. Cette autre faculté, de representer ingenieusement les gestes et parolles d'un autre, par dessein qui apporte souvent plaisir et admiration, n'est en moy, non plus qu'en une souche. Quand je jure selon moy, c'est seulement, par Dieu, qui est le plus droit de touts les serments. Ils disent, que Socrates juroit le chien : Zenon cette mesme interjection, qui sert à cette heure aux Italiens, Cappari : Pythagoras, l'eau et l'air.

Je suis si aisé à reçevoir sans y penser ces impressions superficielles, que si j'ay eu en la bouche, Sire ou Altesse, trois jours de suite, huict jours apres ils m'eschappent, pour excellence, ou pour seigneurie. Et ce que j'auray pris en battelant et en me moquant, je le diray lendemain serieusement. Parquoy, a escrire, j'accepte plus envis les argumens battus, de peur que je les traicte aux despens d'autruy. Tout argument m'est egallement fertile. Je les prens sur une mouche. Et Dieu vueille que celuy que j'ay icy en main, n'ait pas esté pris, par le commandement d'une volonté autant volage. Que je commence par celle qu'il me plaira, car les matieres se tiennent toutes enchesnees les unes aux autres.

Mais mon ame me desplaist, de ce qu'elle produit ordinairement ses plus profondes resveries, plus folles, et qui me plaisent le mieux, à l'improuveu, et lors que je les cherche moins : lesquelles s'esvanouissent soudain, n'ayant sur le champ où les attacher : A cheval, à la table, au lict : Mais plus à cheval, où sont mes plus larges entretiens. J'ay le parler un peu delicatement jaloux d'attention et de silence, si je parle de force. Qui m'interrompt, m'arreste. En voyage, la necessité mesme des chemins couppe les propos : Outre ce, que je voyage plus souvent sans compagnie, propre à ces entretiens de fuite : par où je prens tout loisir de m'entretenir moy-mesme. Il m'en advient comme de mes songes : en songeant, je les recommande à ma memoire, (car je songe volontiers que je songe) mais le lendemain, je me represente bien leur couleur, comme elle estoit, ou gaye, ou triste, ou estrange, mais quels ils estoient au reste, plus j'ahane à le trouver, plus je l'enfonce en l'oubliance. Aussi des discours fortuites qui me tombent en fantasie, il ne m'en reste en memoire qu'une vaine image : autant seulement qu'il m'en faut pour me faire ronger, et despiter apres leur queste, inutilement.

Or donc, laissant les livres à part, et parlant plus materiellement et simplement : je trouve apres tout, que l'amour n'est autre chose, que la soif de cette jouyssance en un subject desiré : Ny Venus autre chose, que le plaisir à descharger ses vases : comme le plaisir que nature nous donne à descharger d'autres parties : qui devient vicieux ou par immoderation, ou par indiscretion. Pour Socrates, l'amour est appetit de generation par l'entremise de la beauté. Et considerant maintefois la ridicule titillation de ce plaisir, les absurdes mouvemens escervelez et estourdis, dequoy il agite Zenon et Cratippus : cette rage indiscrette, ce visage enflammé de fureur et de cruauté, au plus doux effect de l'amour : et puis cette morgue grave, severe, et ecstatique, en une action si folle, qu'on ayt logé pesle-mesle nos delices et nos ordures ensemble : et que la supreme volupté aye du transy et du plaintif, comme la douleur : je crois qu'il est vray, ce que dit Platon, que l'homme a esté faict par les Dieux pour leur jouët.

quænam ista jocandi
Sævitia ?

Et que c'est par moquerie, que nature nous a laissé la plus trouble de nos actions, la plus commune : pour nous esgaller par là, et apparier les fols et les sages, et nous et les bestes. Le plus contemplatif, et prudent homme, quand je l'imagine en cette assiette, je le tiens pour affronteur, de faire le prudent, et le contemplatif : Ce sont les pieds du paon, qui abbatent son orgueil ;



ridentem dicere verum,
Quid vetat ?

Ceux qui parmi les jeux, refusent les opinions serieuses, font, dit quelqu'un, comme celuy qui craint d'adorer la statuë d'un sainct, si elle est sans devantiere.

Nous mangeons bien et beuvons comme les bestes : mais ce ne sont pas actions qui empeschent les offices de nostre ame. En celles-là, nous gardons nostre avantage sur elles : cette-cy met toute autre pensee soubs le joug : abrutit et abestit par son imperieuse authorité, toute la theologie et philosophie qui est en Platon : et si ne s'en plaint pas. Par tout ailleurs vous pouvez garder quelque decence : toutes autres operations souffrent des reigles d'honnesteté : cette-cy ne se peut pas seulement imaginer, que vicieuse ou ridicule. Trouvez y pour voir un proceder sage et discret. Alexandre disoit qu'il se connoissoit principallement mortel, par cette action, et par le dormir : le sommeil suffoque et supprime les facultez de nostre ame, la besongne les absorbe et dissipe de mesme. Certes c'est une marque non seulement de nostre corruption originele : mais aussi de nostre vanité et deformité.

D'un costé nature nous y pousse, ayant attaché à ce desir, la plus noble, utile, et plaisante de toutes ses functions : et la nous laisse d'autre part accuser et fuyr, comme insolente et deshonneste, en rougir et recommander l'abstinence.

Sommes nous pas bien bruttes, de nommer brutale l'operation qui nous faict ?

Les peuples, és religions, se sont rencontrez en plusieurs convenances : comme sacrifices, luminaires, encensements, jeusnes, offrandes : et entre autres, en la condemnation de cette action. Toutes les opinions y viennent, outre l'usage si estendu des circoncisions. Nous avons à l'avanture raison, de nous blasmer, de faire une si sotte production que l'homme : d'appeller l'action honteuse, et honteuses les parties qui y servent (à cette heure sont les miennes proprement honteuses) les Esseniens, dequoy parle Pline, se maintenoient sans nourrice, sans maillot, plusieurs siecles : de l'abbord des estrangers, qui, suivants cette belle humeur, se rengeoient continuellement à eux : Ayant toute une nation, hazardé de s'exterminer plustost, que s'engager à un embrassement feminin, et de perdre la suitte des hommes plustost, que d'en forger un. Ils disent que Zenon n'eut affaire à femme, qu'une fois en sa vie : Et que ce fut par civilité, pour ne sembler dedaigner trop obstinement le sexe. Chacun fuit à le voir naistre, chacun court à le voir mourir. Pour le destruire, on cerche un champ spacieux en pleine lumiere : pour le construire, on se musse dans un creux tenebreux, et le plus contraint qu'il se peut. C'est le devoir, de se cacher pour le faire, et c'est gloire, et naissent plusieurs vertus, de le sçavoir deffaire. L'un est injure, l'autre est faveur : car Aristote dit, que bonifier quelqu'un, c'est le tuer, en certaine phrase de son païs.

Les Atheniens, pour apparier la deffaveur de ces deux actions, ayants à mundifier l'isle de Delos, et se justifier envers Apollo, defendirent au pourpris d'icelle, tout enterrement, et tout enfantement ensemble. Nostri nosmet poenitet.

Il y a des nations qui se couvrent en mangeant. Je sçay une dame, et des plus grandes, qui a cette mesme opinion, que c'est une contenance desagreable, de mascher : qui rabat beaucoup de leur grace, et de leur beauté : et ne se presente pas volontiers en public avec appetit. Et sçay un homme, qui ne peut souffrir de voir manger, ny qu'on le voye : et fuyt toute assistance, plus quand il s'emplit, que s'il se vuide.

En l'Empire du Turc, il se void grand nombre d'hommes, qui, pour exceller les autres, ne se laissent jamais veoir, quand ils font leur repas ; qui n'en font qu'un la sepmaine : qui se deschiquettent et decoupent la face et les membres : qui ne parlent jamais à personne. Gens fanatiques, qui pensent honnorer leur nature en se desnaturant : qui se prisent de leur mespris, et s'amendent de leur empirement.

Quel monstrueux animal, qui se fait horreur à soy-mesme à qui ses plaisirs poisent : qui se tient à mal-heur ?

Il y en a qui cachent leur vie,

Exilióque domos et dulcia limina mutant,

et la desrobent de la veuë des autres hommes : Qui evitent la santé et l'allegresse, comme qualitez ennemies et dommageables. Non seulement plusieurs sectes, mais plusieurs peuples maudissent leur naissance, et benissent leur mort. Il en est où le soleil est abominé, les tenebres adorees.

Nous ne sommes ingenieux qu'à nous mal mener : c'est le vray gibbier de la force de nostre esprit : dangereux util en desreglement.

O miseri quorum gaudia crimen habent !

Hé pauvre homme, tu as assez d'incommoditez necessaires, sans les augmenter par ton invention : et és assez miserable de condition, sans l'estre par art : tu as des laideurs reelles et essentielles à suffisance, sans en forger d'imaginaires. Trouves tu que tu sois trop à l'aise si la moitié de ton aise ne te fasche ? Trouves tu que tu ayes remply tous les offices necessaires, à quoy nature t'engage, et qu'elle soit oysive chez toy, si tu ne t'obliges à nouveaux offices ? Tu ne crains point d'offencer ses loix universelles et indubitables, et te piques aux tiennes partisanes et fantastiques : Et d'autant plus qu'elles sont particulieres, incertaines, et plus contredictes, d'autant plus tu fais là ton effort. Les ordonnances positives de ta paroisse t'attachent : celles du monde ne te touchent point. Cours un peu par les exemples de cette consideration : ta vie en est toute.

Les vers de ces deux Poëtes, traictans ainsi reservément et discrettement de la lasciveté, comme ils font, me semblent la descouvrir et esclairer de plus pres. Les dames couvrent leur sein d'un reseul, les prestres plusieurs choses sacrees, les peintres ombragent leur ouvrage, pour luy donner plus de lustre. Et dict-on que le coup du Soleil et du vent, est plus poisant par reflexion qu'à droit fil. L'Ægyptien respondit sagement à celuy qui luy demandoit, Que portes-tu là, caché soubs ton manteau ? Il est caché soubs mon manteau, affin que tu ne sçaches pas que c'est : Mais il y a certaines autres choses qu'on cache pour les montrer. Oyez cetuy-là plus ouvert,

Et nudam pressi corpus adusque meum.

Il me semble qu'il me chapone. Que Martial retrousse Venus à sa poste, il n'arrive pas à la faire paroistre si entiere. Celuy qui dit tout, il nous saoule et nous desgouste. Celuy qui craint à s'exprimer, nous achemine à en penser plus qu'il n'en y a. Il y a de la trahison en cette sorte de modestie : et notamment nous entr'ouvrant comme font ceux cy, une si belle route à l'imagination : Et l'action et la peinture doivent sentir leur larrecin.

L'amour des Espagnols, et des Italiens, plus respectueuse et craintifve, plus mineuse et couverte, me plaist. Je ne sçay qui, anciennement, desiroit le gosier allongé comme le col d'une gruë, pour savourer plus long temps ce qu'il avalloit. Ce souhait est mieux à propos en cette volupté, viste et precipiteuse : Mesmes à telles natures comme est la mienne, qui suis vicieux en soudaineté. Pour arrester sa fuitte, et l'estendre en preambules ; entre-eux, tout sert de faveur et de recompense : une oeillade, une inclination, une parolle, un signe. Qui se pourroit disner de la fumee du rost, feroit-il pas une belle espargne ? C'est une passion qui mesle à bien peu d'essence solide, beaucoup plus de vanité et resverie fievreuse : il la faut payer et servir de mesme. Apprenons aux dames à se faire valoir, à s'estimer, à nous amuser, et à nous piper. Nous faisons nostre charge extreme la premiere : il y a tousjours de l'impetuosité Françoise : Faisant filer leurs faveurs, et les estallant en detail : chacun, jusques à la vieillesse miserable, y trouve quelque bout de lisiere, selon son vaillant et son merite. Qui n'a jouyssance, qu'en la jouyssance : qui ne gaigne que du haut poinct : qui n'ayme la chasse qu'en la prise : il ne luy appartient pas de se mesler à nostre escole. Plus il y a de marches et degrez, plus il y a de hauteur et d'honneur au dernier siege. Nous nous devrions plaire d'y estre conduicts, comme il se faict aux palais magnifiques, par divers portiques, et passages, longues et plaisantes galleries, et plusieurs destours. Cette dispensation reviendroit à nostre commodité : nous y arresterions, et nous y aymerions plus long temps : Sans esperance, et sans desir, nous n'allons plus rien qui vaille : Nostre maistrise et entiere possession, leur est infiniément à craindre : Depuis qu'elles sont du tout rendues à la mercy de nostre foy, et constance, elles sont un peu bien hasardees : Ce sont vertus rares et difficiles : soudain qu'elles sont à nous, nous ne sommes plus à elles.

postquam cupidæ mentis satiata libido est,
Verba nihil metuere, nihil perjuria curant
.

Et Thrasonidez jeune homme Grec, fut si amoureux de son amour, qu'il refusa, ayant gaigné le coeur d'une maistresse, d'en jouyr : pour n'amortir, rassasier et allanguir par la jouyssance cette ardeur inquiete, de laquelle il se glorifioit et se paissoit.

La cherté donne goust à la viande. Voyez combien la forme des salutations, qui est particuliere à nostre nation, abastardit par sa facilité, la grace des baisers, lesquels Socrates dit estre si puissans et dangereux à voler nos coeurs. C'est une desplaisante coustume, et injurieuse aux dames, d'avoir à prester leurs levres, à quiconque a trois valets à sa suitte, pour mal plaisant qu'il soit,

Cujus livida naribus caninis,
Dependet glacies, rigétque barba :
Centum occurrere malo culilingis
.

Et nous mesme n'y gaignons guere : car comme le monde se voit party, pour trois belles, il nous en faut baiser cinquante laides : Et à un estomach tendre, comme sont ceux de mon aage, un mauvais baiser en surpaie un bon.

Ils font les poursuyvans en Italie, et les transis, de celles mesmes qui sont à vendre : et se defendent ainsi : Qu'il y a des degrez en la jouyssance : et que par services ils veulent obtenir pour eux, celle qui est la plus entiere. Elles ne vendent que le corps : La volonté ne peut estre mise en vente, elle est trop libre et trop sienne : Ainsi ceux cy disent, que c'est la volonté qu'ils entreprennent, et ont raison. C'est la volonté qu'il faut servir et practiquer. J'ay horreur d'imaginer mien, un corps privé d'affection. Et me semble, que cette forcenerie est voisine à celle de ce garçon, qui alla saillir par amour, la belle image de Venus que Praxiteles avoit faicte : Ou de ce furieux Ægyptien, eschauffé apres la charongne d'une morte qu'il embaumoit et ensueroit : Lequel donna occasion à la loy, qui fut faicte depuis en Ægypte, que les corps des belles et jeunes femmes, et de celles de bonne maison, seroient gardez trois jours, avant qu'on les mist entre les mains de ceux qui avoient charge de prouvoir à leur enterrement. Periander fit plus merveilleusement : qui estendit l'affection conjugale (plus reiglee et legitime) à la jouyssance de Melissa sa femme trespassee.

Ne semble ce pas estre une humeur lunatique de la Lune, ne pouvant autrement jouyr d'Endymion son mignon, l'aller endormir pour plusieurs mois : et se paistre de la jouyssance d'un garçon, qui ne se remuoit qu'en songe ?

Je dis pareillement, qu'on ayme un corps sans ame, quand on ayme un corps sans son consentement, et sans son desir. Toutes jouyssances ne sont pas unes : Il y a des jouyssances ethiques et languissantes : Mille autres causes que la bien-vueillance, nous peuvent acquerir cet octroy des dames : Ce n'est suffisant tesmoignage d'affection : Il y peut eschoir de la trahison, comme ailleurs : elles n'y vont par fois que d'une fesse ;

tanquam thura merumque parent :
absentem marmoreámve putes
.

J'en sçay, qui ayment mieux prester cela, que leur coche : et qui ne se communiquent, que par là : Il faut regarder si vostre compagnie leur plaist pour quelque autre fin encores, ou pour celle là seulement, comme d'un gros garson d'estable : en quel rang et à quel prix vous y estes logé,



tibi si datur uni
Quo lapide illa diem candidiore note
t.

Quoy, si elle mange vostre pain, à la sauce d'une plus agreable imagination ?



Te tenet, absentes alios suspirat amores.

Comment ? avons nous pas veu quelqu'un en nos jours, s'estre servy de cette action, à l'usage d'une horrible vengeance : pour tuer par là, et empoisonner, comme il fit, une honneste femme ?

Ceux qui cognoissent l'Italie, ne trouveront jamais estrange, si pour ce subject, je ne cherche ailleurs des exemples. Car cette nation se peut dire regente du reste du monde en celà. Ils ont plus communément des belles femmes, et moins de laydes que nous : mais des rares et excellentes beautez, j'estime que nous allons à pair. Et en juge autant des esprits : de ceux de la commune façon, ils en ont beaucoup plus, et evidemment. La brutalité y est sans comparaison plus rare : d'ames singulieres et du plus haut estage, nous ne leur en devons rien. Si j'avois à estendre cette similitude, il me sembleroit pouvoir dire de la vaillance, qu'au rebours, elle est au prix d'eux, populaire chez nous, et naturelle : mais on lavoit par fois, en leurs mains, si pleine et si vigoreuse, qu'elle surpasse tous les plus roides exemples que nous en ayons. Les mariages de ce pays là, clochent en cecy. Leur coustume donne communement la loy si rude aux femmes, et si serve, que la plus esloignee accointance avec l'estranger, leur est autant capitalle que la plus voisine. Cette loy fait, que toutes les approches se rendent necessairement substantieles : Et puis que tout leur revient à mesme compte, elles ont le choix bien aysé. Et ont elles brisé ces cloisons ? Croyez qu'elles font feu : Luxuria ipsis vinculis, sicut fera bestia, irritata, deinde emissa. Il leur faut un peu lascher les resnes.

Vidi ego nuper equum contra sua frena tenacem
Ore reluctanti fulminis ire modo
.

On alanguit le desir de la compagnie, en luy donnant quelque liberté.

C'est un bel usage de nostre nation, qu'aux bonnes maisons, nos enfans soyent receuz, pour y estre nourris et eslevez pages comme en une escole de noblesse. Et est discourtoisie, dit-on, et injure, d'en refuser un gentil-homme. J'ay apperçeu (car autant de maisons autant de divers stiles et formes) que les dames qui ont voulu donner aux filles de leur suite, les reigles plus austeres, n'y ont pas eu meilleure advanture. Il y faut de la moderation : Il faut laisser bonne partie de leur conduitte, à leur propre discretion : car ainsi comme ainsi n'y a il discipline qui les sçeut brider de toutes parts. Mais il est bien vray, que celle qui est eschappee bagues sauves, d'un escolage libre, apporte bien plus de fiance de soy, que celle qui sort saine, d'une escole severe et prisonniere.

Nos peres dressoient la contenance de leurs filles à la honte et à la crainte (les courages et les desirs tousjours pareils) nous à l'asseurance : nous n'y entendons rien. C'est à faire aux Sarmates, qui n'ont loy de coucher avec homme, que de leurs mains elles n'en ayent tué un autre en guerre. A moy qui n'y ay droit que par les oreilles, suffit, si elles me retiennent pour le conseil, suyvant le privilege de mon aage. Je leur conseille donc, et à nous aussi, l'abstinence : mais si ce siecle en est trop ennemy, aumoins la discretion et la modestie. Car, comme dit le compte d'Aristippus, parlant à des jeunes hommes, qui rougissoient de le veoir entrer chez une courtisane : Le vice est, de n'en pas sortir, non pas d'y entrer. Qui ne veut exempter sa conscience, qu'elle exempte son nom : si le fons n'en vaut guere, que l'apparence tienne bon.

Je loüe la gradation et la longueur, en la dispensation de leurs faveurs. Platon montre, qu'en toute espece d'amour, la facilité et promptitude est interdicte aux tenants. C'est un traict de gourmandise, laquelle il faut qu'elles couvrent de tout leur art, de se rendre ainsi temerairement en gros, et tumultuairement. Se conduisant en leur dispensation, ordonnement et mesurement, elles pipent bien mieux nostre desir, et cachent le leur. Qu'elles fuyent tousjours devant nous : je dis celles mesmes qui ont à se laisser attraper. Elles nous battent mieux en fuyant, comme les Scythes. De vray, selon la loy que nature leur donne, ce n'est pas proprement à elles de vouloir et desirer : leur rolle est souffrir, obeyr, consentir : C'est pourquoy nature leur a donné une perpetnelle capacité ; à nous, rare et incertaine : Elles ont tousjours leur heure ; afin qu'elles soyent tousjours prestes à la nostre Patinatæ. Et où elle a voulu que nos appetis eussent montre et declaration prominante, ell'a faict que les leurs fussent occultes et intestins : Et les a fournies de pieces impropres à l'ostentation : et simplement pour la defensive.

Il faut laisser à la licence Amazoniene pareils traits à cettuy cy. Alexandre passant par l'Hyrcanie, Thalestris Royne des Amazones le vint trouver avec trois cents gens-darmes de son sexe : bien montez et bien armez : ayant laissé le demeurant d'une grosse armee, qui la suyvoit, au delà des voisines montaignes. Et luy dit tout haut, et en publiq, que le bruit de ses victoires et de sa valeur, l'avoit menee là, pour le veoir, luy offrir ses moyens et sa puissance au secours de ses entreprinses : Et que le trouvant si beau, jeune, et vigoureux, elle, qui estoit parfaite en toutes ses qualitez, luy conseilloit, qu'ils couchassent ensemble : afin qu'il nasquist de la plus vaillante femme du monde, et du plus vaillant homme, qui fust lors vivant, quelque chose de grand et de rare, pour l'advenir. Alexandre la remercia du reste : mais pour donner temps à l'accomplissement de sa derniere demande, il arresta treize jours en ce lieu, lesquels il festoya le plus alaigrement qu'il peut, en faveur d'une si courageuse princesse.

Nous sommes quasi par tout iniques juges de leurs actions, comme elles sont des nostres. J'advoüe la verité lors qu'elle me nuit, de mesme que si elle me sert. C'est un vilain desreiglement, qui les pousse si souvent au change, et les empesche de fermir leur affection en quelque subject que ce soit : comme on voit de cette Deesse, à qui lon donne tant de changemens et d'amis. Mais si est-il vray, que c'est contre la nature de l'amour, s'il n'est violant, et contre la nature de la violance, s'il est constant. Et ceux qui s'en estonnent, s'en escrient, et cherchent les causes de cette maladie en elles, comme desnaturee et incroyable : que ne voyent ils, combien souvent ils la reçoyvent en eux, sans espouvantement et sans miracle ? Il seroit à l'adventure plus estrange d'y voir de l'arrest. Ce n'est pas une passion simplement corporelle. Si on ne trouve point de bout en l'avarice, et en l'ambition, il n'y en a non plus en la paillardise. Elle vit encore apres la satieté : et ne luy peut on prescrire ny satisfaction constante, ny fin : elle va tousjours outre sa possession. Et si l'inconstance leur est à l'adventure aucunement plus pardonnable qu'à nous.

Elles peuvent alleguer comme nous, l'inclination qui nous est commune à la varieté et à la nouvelleté : Et alleguer secondement sans nous, qu'elles achetent chat en sac. Jeanne Royne de Naples, feit estrangler Andreosse son premier mary, aux grilles de sa fenestre, avec un laz d'or et de soye, tissu de sa main propre : sur ce qu'aux courvees matrimoniales, elle ne luy trouvoit ny les parties, ny les efforts, assez respondants à l'esperance qu'elle en avoit conçeuë, à veoir sa taille, sa beauté, sa jeunesse et disposition : par où elle avoit esté prinse et abusee. Que l'action a plus d'effort que n'a la souffrance : Ainsi que de leur part tousjours aumoins il est pourveu à la necessité : de nostre part il peut avenir autrement. Platon à cette cause establit sagement par ses loix, avant tout mariage, pour decider de son opportunité, que les juges voyent les garçons, qui y pretendent, touts fins nuds : et les filles nuës jusqu'à la ceinture seulement. En nous essayant, elles ne nous trouvent à l'adventure pas dignes de leur choix :



experta latus madidoque simillima loro
Inguina, nec lassa stare coacta manu,
Deserit imbelles thalamos
.

Ce n'est pas tout, que la volonté charrie droict : La foiblesse et l'incapacité, rompent legitimement un mariage :



Et quærendum aliunde foret nervosius illud,
Quod posset Zonam solvere virgineam
.

Pourquoy non, et selon sa mesure, une intelligence amoureuse, plus licentieuse et plus active ?



si blando nequeat superesse labori.

Mais n'est-ce pas grande impudence, d'apporter nos imperfections et foiblesses, en lieu où nous desirons plaire, et y laisser bonne estime de nous et recommandation ? Pour ce peu qu'il m'en faut à cette heure,



ad unum
Mollis opus
.

je ne voudrois importuner une personne, que j'ay à reverer et craindre.



fuge suspicari,
Cujus undenum trepidavit ætas
Claudere lustrum
.

Nature se devoit contenter d'avoir rendu cet aage miserable, sans le rendre encore ridicule. Je hay de le voir, pour un pouce de chetive vigueur, qui l'eschaufe trois fois la sepmaine, s'empresser et se gendarmer, de pareille aspreté, comme s'il avoit quelque grande et legitime journee dans le ventre : un vray feu d'estoupe : Et admire sa cuisson, si vive et fretillante, en un moment si lourdement congelee et esteinte. Cet appetit ne devroit appartenir qu'à la flenr d'une belle jeunesse. Fiez vous y, pour voir, à seconder cett'ardeur indefatigable, pleine, constante, et magnanime, qui est en vous : il vous la lairra vrayment en beau chemin. Renvoyez le hardimet plustost vers quelqueenfance molle, estonnee, et ignorante, qui tremble encore soubs la verge, et en rougisse,



Indum sanguineo veluti violaverit ostro
Si quis ebur, vel mista rubent ubi lilia, multa
Alba rosa
.

Qui peut attendre le lendemain, sans mourir de honte, le desdain de ces beaux yeux, consens de sa lascheté et impertinençe :



Et taciti fecere tamen convitia vultus,

il n'a jamais senty le contentement et la fierté, de les leur avoir battus et ternis, par le vigoureux exercice d'une nuict officieuse et active. Quand j'en ay veu quelqu'une s'ennuyer de moy, je n'en ay point incontinent accusé sa legereté : j'ay mis en doubte, si je n'avois pas raison de m'en prendre à nature plustost. Certes elle m'a traitté illegitimement et incivilement,



Si non longa satis, si non benè mentula crassa :
Nimirum sapiunt vidéntque parvam
Matronæ quoque mentulam illibenter
.

et d'une lesion enormissime.

Chacune de mes pieces est esgalement mienne, que toute autre : Et nulle autre ne me fait plus proprement homme que cette cy. Je doy au publiq universellement mon pourtrait. La sagesse de ma leçon est en verité, en liberté, en essence, toute : Dedeignant au rolle de ses vrays devoirs, ces petites regles, feintes, usuelles, provinciales. Naturelle toute, constante, generale. De laquelle sont filles, mais bastardes, la civilité, la ceremonie. Nous aurons bien les vices de l'apparence, quand nous aurons eu ceux de l'essence. Quand nous avons faict à ceux icy, nous courrons sus aux autres, si nons trouvons qu'il y faille courir. Car il y a danger, que nous fantasions des offices nouveaux, pour excuser nostre negligence envers les naturels offices, et pour les confondre. Qu'il soit ainsi, il se void, qu'és lieux, où les fautes sont malefices, les malefices ne sont que fautes. Qu'és nations, où les loix de la bienseance sont plus rares et lasches, les loix primitives de la raison commune sont mieux observees : L'innumerable multitude de tant de devoirs, suffoquant nostre soing, l'allanguissant et dissipant. L'application aux legeres choses nous retire des justes. O que ces hommes superficiels, prennent une routte facile et plausible, au prix de la nostre ! Ce sont ombrages, dequoy nous nous plastrons et entrepayons. Mais nous n'en payons pas, ainçois en rechargeons nostre debte, envers ce grand juge, qui trousse nos panneaus et haillons, d'autour noz parties honteuses : et ne se feint point à nous veoir par tout, jusques à noz intimes et plus secrettes ordures : utile decence de nostre virginale pudeur, si elle luy pouvoit interdire cette descouverte.

En fin, qui desniaiseroit l'homme, d'une si scrupuleuse superstition verbale, n'apporteroit pas grande perte au monde. Nostre vie est partie en folie, partie en prudence. Qui n'en escrit que reveremment et regulierement, il en laisse en arriere plus de la moitié. Je ne m'excuse pas envers moy : et si je le faisoy, ce seroit plustost de mes excuses, que je m'excuseroy, que d'autre mienne faute. Je m'excuse à certaines humeurs, que j'estime plus fortes en nombre que celles, qui sont de mon costé : En leur consideration, je diray encore cecy (car je desire de contenter chacun ; chose pourtant difficile, esse unum hominem accommodatum ad tantam morum ac sermonum et voluntatum varietatem) qu'ils n'ont à se prendre à moy, de ce que je fay dire aux auctoritez receuës et approuvees de plusieurs siecles : Et que ce n'est pas raison, qu'à faute de rythme ils me refusent la dispense, que mesme des hommes ecclesiastiques, des nostres, jouyssent en ce siecle. En voicy deux, et des plus crestez :



Rimula, dispeream, ni monogramma tua est.

Un vit d'amy la contente et bien traitte.

Quoy tant d'autres ? J'ayme la modestie : et n'est par jugement, que j'ay choisi cette sorte de parler scandaleux : c'est nature, qui l'a choisi pour moy : Je ne le louë, non plus que toutes formes contraires à l'usage receu : mais je l'excuse : et par circonstances tant generales que particulieres, en allege l'accusation.

Suivons. Pareillement d'où peut venir cette usurpation d'authorité souveraine, que vous prenez sur celles, qui vous favorisent à leurs despens,

Si furtiva dedit nigra munuscula nocte,

que vous en investissez incontinent l'interest, la froideur, et une auctorité maritale ? C'est une convention libre, que ne vous y prenez vous, comme vous les y voulez tenir ? Il n'y a point de prescription sur les choses volontaires.

C'est contre la forme, mais il est vray pourtant, que j'ay en mon temps conduict ce marché, selon que sa nature peut souffrir, aussi conscientieusement qu'autre marché, et avec quelque air de justice : et que je ne leur ay tesmoigné de mon affection, que ce que j'en sentois ; et leur en ay representé naifvement, la decadence, la vigueur, et la naissance : les accez et les remises : On n'y va pas tousjours un train. J'ay esté si espargnant à promettre, que je pense avoir plus tenu que promis, ny deu. Elles y ont trouvé de la fidelité, jusques au service de leur inconstance : Je dis inconstance advouee, et par fois multipliee. Je n'ay jamais rompu avec elles, tant que j'y tenois, ne fust que par le bout d'un filet : Et quelques occasions qu'elles m'en ayent donné, n'ay jamais rompu, jusques au mespris et à la hayne. Car telles privautez, lors mesme qu'on les acquiert par les plus honteuses conventions, encores m'obligent elles à quelque bien-vueillance. De cholere et d'impatience un peu indiscrette, sur le poinct de leurs ruses et desfuites, et de nos contestations, je leur en ay faict voir par fois : Car je suis de ma complexion, subject à des emotions brusques, qui nuisent souvent à mes marchez, quoy qu'elles soyent legeres et courtes.

Si elles ont voulu essayer la liberté de mon jugement, je ne me suis pas feint, à leur donner des advis paternels et mordans, et à les pinser où il leur cuysoit. Si je leur ay laissé à se plaindre de moy, c'est plustost d'y avoir trouvé un amour, au prix de l'usage moderne, sottement consciencieux. J'ay observé ma parolle, és choses dequoy on m'eust aysement dispensé : Elles se rendoient lors par fois avec reputation, et soubs des capitulations, qu'elles souffroient aysement estre faussees par le vaincueur. J'ay faict caler soubs l'interest de leur honneur, le plaisir, en son plus grand effort, plus d'une fois : Et où la raison me pressoit, les ay armees contre moy : si qu'elles se conduisoient plus seurement et severement, par mes regles, quand elles s'y estoyent franchement remises, qu'elles n'eussent faict par les leurs propres.

J'ay autant que j'ay peu chargé sur moy seul, le hazard de nos assignations, pour les en descharger : et ay dressé nos parties tousjours par le plus aspre, et inopiné, pour estre moins en souspçon, et en outre par mon advis plus accessible. Ils sont ouverts, principalement par les endroits qu'ils tiennent de soy couverts. Les choses moins craintes sont moins defendues et observees. On peut oser plus aysement, ce que personne ne pense que vous oserez, qui devient facile par sa difficulté.

Jamais homme n'eut ses approches plus impertinemment genitales. Cette voye d'aymer, est plus selon la discipline. Mais combien elle est ridicule à nos gens, et peu effectuelle, qui le sçait mieux que moy ? Si ne m'en viendra point le repentir : Je n'y ay plus que perdre,



me tabula sacer
Votiva paries, indicat uvida,
Suspendisse potenti
Vestimenta maris Deo
.

Il est à cette heure temps d'en parler ouvertement. Mais tout ainsi comme à un autre, je dirois à l'avanture, Mon amy tu resves, l'amour de ton temps a peu de commerce avec la foy et la preud'hommie ;



hæc si tu postules
Ratione certa facere, nihilo plus agas,
Quam si des operam, ut cum ratione insanias 
:

Aussi au rebours, si c'estoit à moy de recommencer, ce seroit certes le mesme train, et par mesme progrez, pour infructueux qu'il me peust estre. L'insuffisance et la sottise est loüable en une action meslouable. Autant que je m'eslongne de leur humeur en celà, je m'approche de la mienne.

Au demeurant, en ce marché, je ne me laissois pas tout aller : je m'y plaisois, mais je ne m'y oubliois pas : je reservois en son entier, ce peu de sens et de discretion, que nature m'a donné, pour leur service, et pour le mien : un peu d'esmotion, mais point de resverie. Ma conscience s'y engageoit aussi, jusques à la desbauche et dissolution, mais jusques à l'ingratitude, trahison, malignité, et cruauté, non. Je n'achetois pas le plaisir de ce vice à tout prix : et me contentois de son propre et simple coust. Nullum intra se vitium est. Je hay quasi à pareille mesure une oysiveté croupie et endormie, comme un embesongnement espineux et penible. L'un me pince, l'autre m'assoupit. J'ayme autant les blesseures, comme les meurtrisseures, et les coups trenchans, comme les coups orbes. J'ay trouvé en ce marché, quand j'y estois plus propre, une juste moderation entre ces deux extremitez. L'amour est une agitation esveillee, vive, et gaye : Je n'en estois ny troublé, ny affligé, mais j'en estois eschauffé, et encores alteré : il s'en faut arrester là : Elle n'est nuisible qu'aux fols.

Un jeune homme demandoit au Philosophe Panetius, s'il sieroit bien au sage d'estre amoureux : Laissons là le sage, respondit-il, mais toy et moy, qui ne le sommes pas, ne nous engageons en chose si esmeuë et violente, qui nous esclave à autruy, et nous rende contemptibles à nous. Il disoit vray : qu'il ne faut pas fier chose de soy si precipiteuse, à une ame qui n'aye dequoy en soustenir les venues, et dequoy rabatre par effect la parole d'Agesilaus, que la prudence et l'amour ne peuvent ensemble. C'est une vaine occupation, il est vray, messeante, honteuse, et illegitime : Mais à la conduire en cette façon, je l'estime salubre, propre à desgourdir un esprit, et un corps poisant : Et comme medecin, l'ordonnerois à un homme de ma forme et condition, autant volontiers qu'aucune autre recepte : pour l'esveiller et tenir en force bien avant dans les ans, et le dilaier des prises de la vieillesse. Pendant que nous n'en sommes qu'aux fauxbourgs, que le pouls bat encores,



Dum nova canities, dum prima et recta senectus,
Dum superest Lachesi quod torqueat, Et pedibus me
Porto meis, nullo dextram subeunte bacillo
,

nous avons besoing d'estre sollicitez et chatouillez, par quelque agitation mordicante, comme est cette-cy. Voyez combien elle a rendu de jeunesse, de vigueur et de gayeté, au sage Anacreon. Et Socrates, plus vieil que je ne suis, parlant d'un object amoureux : M'estant dit-il, appuyé contre son espaule, de la mienne, et approché ma teste à la sienne, ainsi que nous regardions ensemble dans un livre, je senty sans mentir, soudain une piqueure dans l'espaule, comme de quelque morsure de beste ; et fus plus de cinq jours depuis, qu'elle me fourmilloit : et m'escoula dans le coeur une demangeaison continuelle : Un attouchement, et fortuite, et par une espaule, aller eschauffer, et alterer une ame refroidie, et esnervee par l'aage, et la premiere de toutes les humaines, en reformation. Pourquoy non dea ? Socrates estoit homme, et ne vouloit ny estre ny sembler autre chose.

La philosophie n'estrive point contre les voluptez naturelles, pourveu que la mesure y soit joincte : et en presche la moderation, non la fuitte. L'effort de sa resistance s'employe contre les estrangeres et bastardes. Elle dit que les appetits du coprs ne doivent pas estre augmentez par l'esprit. Et nous advertit ingenieusement, de ne vouloir point esveiller nostre faim par la saturité : de ne vouloir farcir, au lieu de remplir le ventre : d'eviter toute jouyssance, qui nous met en disette : et toute viande et breuvage, qui nous altere, et affame. Comme au service de l'amour elle nous ordonne, de prendre un object qui satisface simplement au besoing du corps, qui n'esmeuve point l'ame : laquelle n'en doit pas faire son faict, ains suyvre nüement et assister le corps. Mais ay-je pas raison d'estimer, que ces preceptes, qui ont pourtant d'ailleurs, selon moy, un peu de rigueur, regardent un corps qui face son office : et qu'à un corps abbattu, comme un estomach prosterné, il est excusable de le rechauffer et soustenir par art : et par l'entremise de la fantasie, luy faire revenir l'appetit et l'allegresse, puis que de soy il l'a perdue ?

Pouvons nous pas dire, qu'il n'y a rien en nous, pendant cette prison terrestre, purement, ny corporel, ny spirituel : et qu'injurieusement nous desmembrons un homme tout vif : et qu'il semble y avoir raison, que nous nous portions envers l'usage du plaisir, aussi favorablement aumoins, que nous faisons envers la douleur ? Elle estoit (pour exemple) vehemente, jusques à la perfection, en l'ame des Saincts par la poenitence : Le corps y avoit naturellement part, par le droict de leur colligance, et si pouvoit avoir peu de part à la cause : si ne se sont ils pas contentez qu'il suyvist nuement, et assistast l'ame affligee. Ils l'ont affligé luymesme, de peines atroces et propres : affin qu'à l'envy l'un de l'autre, l'ame et le corps plongeassent l'homme dans la douleur, d'autant plus salutaire, que plus aspre.

En pareil cas, aux plaisirs corporels, est-ce pas injustice d'en refroidir l'ame, et dire, qu'il l'y faille entrainer, comme à quelque obligation et necessité contreinte et servile ? C'est à elle plustost de les couver et fomenter : de s'y presenter et convier : la charge de regir luy appartenant. Comme c'est aussi à mon advis à elle, aux plaisirs, qui luy sont propres, d'en inspirer et infondre au corps tout le ressentiment que porte sa condition, et de s'estudier qu'ils luy soient doux et salutaires. Car c'est bien raison, comme ils disent, que le corps ne suyve point ses appetits au dommage de l'esprit. Mais pourquoy n'est-ce pas aussi raison, que l'esprit ne suive pas les siens, au dommage du corps ?

Je n'ay point autre passion qui me tienne en haleine. Ce que l'avarice, l'ambition, les querelles, les procés, font à l'endroit des autres, qui comme moy, n'ont point de vacation assignee, l'amour le feroit plus commodément : Il me rendroit la vigilance, la sobrieté, la grace, le soing de ma personne : R'asseureroit ma contenance, à ce que les grimaces de la vieillesse, ces grimaces difformes et pitoyables, ne vinssent à la corrompre : Me remettroit aux estudes sains et sages, par où je me peusse rendre plus estimé et plus aymé : ostant à mon esprit le desespoir de soy, et de son usage, et le raccointant à soy : Me divertiroit de mille pensees ennuyeuses, de mille chagrinsmelancholiques, que l'oysiveté nous charge en tel aage, et le mauvais estat de nostre santé : reschaufferoit aumoins en songe, ce sang que nature abandonne : soustiendroit le menton, et allongeroit un peu les nerfs, et la vigueur et allegresse de la vie, à ce pauvre homme, qui s'en va le grand train vers sa ruine.

Mais j'entens bien que c'est une commodité fort mal-aisée à recouvrer : Par foiblesse, et longue experience, nostre goust est devenu plus tendre et plus exquis : Nous demandons plus, lors que nous apportons moins : Nous voulons le plus choisir, lors que nous meritons le moins d'estre acceptez : Nous cognoissans tels, nous sommes moins hardis, et plus deffians : rien ne nous peut asseurer d'estre aymez, veu nostre condition, et la leur. J'ay honte de me trouver parmycette verte et boüillante jeunesse,

Cujus in indomito constantior inguine nervus,
Quam nova collibus arbor inhæret 
:

Qu'irions nous presenter nostre misere parmy cette allegresse ?



Possint ut juvenes visere fervidi
Multo non sine risu,
Dilapsam in cineres facem
.

Ils ont la force et la raison pour eux : faisons leur place : nous n'avons plus que tenir.

Et ce germe de beauté naissante, ne se laisse manier à mains si gourdes, et prattiquer à moyens purs materiels. Car, comme respondit ce philosophe ancien, à celuy qui se moquoit, dequoy il n'avoit sçeu gaigner la bonne grace d'un tendron qu'il pourchassoit : Mon amy, le hameçon ne mord pas à du fromage si frais.

Or c'est un commerce qui a besoin de relation et de correspondance : Les autres plaisirs que nous recevons, se peuvent recognoistre par recompenses de nature diverse : mais cettuy-cy ne se paye que de mesme espece de monnoye. En verité en ce desduit, le plaisir que je fay, chatouille plus doucement mon imagination, que celuy qu'on me fait. Or cil n'a rien de genereux, qui peut recevoir plaisir où il n'en donne point : c'est une vile ame, qui veut tout devoir, et qui se plaist de nourrir de la conference, avec les personnes ausquels il est en charge. Il n'y a beauté, ny grace, ny privauté si exquise, qu'un galant homme deust desirer à ce prix. Si elles ne nous peuvent faire du bien que par pitié : j'ayme bien plus cher ne vivre point, que de vivre d'aumosne. Je voudrois avoir droit de le leur demander, au stile auquel j'ay veu quester en Italie : Fate ben per voi : ou à la guise que Cyrus exhortoit ses soldats, Qui m'aymera, si me suive.

R'alliez vous, me dira lon, à celles de vostre condition, que la compagnie de mesme fortune vous rendra plus aysees. O la sotte composition et insipide !

nolo
Barbam vellere mortuo leoni
.

Xenophon employe pour objection et accusation, contre Menon, qu'en son amour il embesongna des objects passants fleur. Je trouve plus de volupté à seulement veoir le juste et doux meslange de deux jeunes beautés : ou à le seulement considerer par fantasie, qu'à faire moy mesme le second, d'un meslange triste et informe. Je resigne cet appetit fantastique, à l'Empereur Galba, qui ne s'addonnoit qu'aux chairs dures et vieilles : Et à ce pauvre miserable,



O ego di faciant talem te cernere possim,
Charáque mutatis oscula ferre comis,
Amplectique meis corpus non pingue lacertis !

Et entre les premieres laideurs, je compte les beautez artificielles et forcees. Emonez jeune gars de Chio, pensant par des beaux attours, acquerir la beauté que nature luy ostoit, se presenta au philosophe Arcesilaus : et luy demanda, si un sage se pourroit veoir amoureux : Ouy dea, respondit l'autre, pourveu que ce ne fust pas d'une beauté paree et sophistiquee comme la tienne. La laideur d'une vieillesse advouee, est moins vieille, et moins laide à mon gré, qu'une autre peinte et lissee.

Le diray-je, pourveu qu'on ne m'en prenne à la gorge ? L'amour ne me semble proprement et naturellement en sa saison, qu'en l'aage voisin de l'enfance :

Quem si puellarum insereres choro,
Mille sagaces falleret hospites,
Discrimen obscurum, solutis
Crinibus, ambiguóque vultu
.

Et la beauté non plus.

Car ce qu'Homere l'estend jusqu'à ce que le menton commence à s'ombrager, Platon mesme l'a remarqué pour rare. Et est notoire la cause pour laquelle le sophiste Dion appelloit les poils folets de l'adolescence, Aristogitons et Harmodiens. En la virilité, je le trouve desja aucunement hors de son siege, non qu'en la vieillesse.

Importunus enim transvolat aridas
Quercus
.

Et Marguerite royne de Navarre, alonge en femme, bien loing, l'avantage des femmes : ordonnant qu'il est saison à trente ans, qu'elles changent le titre de belles en bonnes.

Plus courte possession nous luy donnons sur nostre vie, mieux nous en valons. Voyez son port. C'est un menton puerile, qui ne sçait en son eschole, combien on procede au rebours de tout ordre : L'estude, l'exercitation, l'usage, sont voyes à l'insuffisance : les novices y regentent. Amor ordinem nescit. Certes sa conduicte a plus de galbe, quand elle est meslee d'inadvertance, et de trouble : les fautes, les succez contraires, y donnent poincte et grace : Pourveu qu'elle soit aspre et affamee, il chaut peu, qu'elle soit prudente. Voyez comme il va chancelant, chopant, et folastrant : On le met aux ceps, quand on le guide par art, et sagesse : Et contraint on sa divine liberté, quand on le submet à ces mains barbues et calleuses.

Au demeurant, je leur oy souvent peindre cette intelligence toute spirituelle, et desdaigner de mettre en consideration l'interest que les sens y ont. Tout y sert : Mais je puis dire avoir veu souvent, que nous avons excusé la foiblesse de leurs esprits, en faveur de leurs beautez corporelles, mais que je n'ay point encore veu, qu'en faveur de la beauté de l'esprit, tant rassis, et meur soit-il, elles vueillent prester la main à un corps, qui tombe tant soit peu en decadence. Que ne prend il envie à quelqu'une, de faire cette noble harde Socratique, du corps à l'esprit, achetant au prix de ses cuisses, une intelligence et generation philosophique et spirituelle : le plus haut prix où elle les puisse monter ? Platon ordonne en ses loix, que celuy qui aura faict quelque signalé et utile exploit en la guerre, ne puisse estre refusé durant l'expedition d'icelle, sans respect de sa laideur ou de son aage, du baiser, ou autre faveur amoureuse, de qui il la vueille. Ce qu'il trouve si juste en recommandation de la valeur militaire, ne le peut il pas estre aussi, en recommandation de quelque autre valeur ? Et que ne prend il envie à une de preoccuper sur ses compagnes la gloire de cet amour chaste ? chaste dis-je bien,



nam si quando ad prælia ventum est,
Ut quondam in stipulis magnus sine viribus ignis
Incassum furit
.

Les vices qui s'estouffent en la pensee, ne sont pas des pires.

Pour finir ce notable commentaire, qui m'est eschappé d'un flux de caquet : flux impetueux par fois et nuisible,

Ut missum sponsi furtivo munere malum,
Procurrit casto virginis è gremio :
Quod miseræ oblitæ molli sub veste locatum,
Dum adventu matris prosilit, excutitur,
Atque illud prono præceps agitur decursu,
Huic manat tristi conscius ore rubor
.

Je dis, que les masles et femelles, sont jettez en mesme moule, sauf l'institution et l'usage, la difference n'y est pas grande : Platon appelle indifferemment les uns et les autres, à la societé de tous estudes, exercices, charges et vacations guerrieres et paisibles, en sa republique. Et le philosophe Antisthenes, ostoit toute distinction entre leur vertu et la nostre.

Il est bien plus aisé d'accuser l'un sexe, que d'excuser l'autre. C'est ce qu'on dit, Le fourgon se moque de la paile.

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