Montaigne les Essais livre III



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Un bon mariage, s'il en est, refuse la compagnie et conditions de l'amour : il tasche à representer celles de l'amitié. C'est une douce societé de vie, pleine de constance, de fiance, et d'un nombre infiny d'utiles et solides offices, et obligations mutuelles : Aucune femme qui en savoure le goust,

optato quam junxit lumine tæda,

ne voudroit tenir lieu de maistresse à son mary. Si elle est logee en son affection, comme femme, elle y est bien plus honorablement et seurement logee. Quand il fera l'esmeu ailleurs, et l'empressé, qu'on luy demande pourtant lors, à qui il aymeroit mieux arriver une honte, ou à sa femme ou à sa maistresse, de qui la desfortune l'affligeroit le plus, à qui il desire plus de grandeur : ces demandes n'ont aucun doubte en un mariage sain. Ce qu'il s'en voit si peu de bons, est signe de son prix et de sa valeur. A le bien façonner et à le bien prendre, il n'est point de plus belle piece en nostre societé. Nous ne nous en pouvons passer, et l'allons avilissant. Il en advient ce qui se voit aux cages, les oyseaux qui en sont dehors, desesperent d'y entrer ; et d'un pareil soing en sortir, ceux qui sont au dedans. Socrates, enquis, qui estoit plus commode, prendre, ou ne prendre point de femme : Lequel des deux, dit-il, on face, on s'en repentira. C'est une convention à laquelle se rapporte bien à point ce qu'on dit, homo homini, ou Deus, ou lupus. Il faut le rencontre de beaucoup de qualitez à le bastir. Il se trouve en ce temps plus commode aux ames simples et populaires, ou les delices, la curiosité, et l'oysiveté, ne le troublent pas tant. Les humeurs desbauchees, comme est la mienne, qui hay toute sorte de liaison et d'obligation, n'y sont pas si propres.



Et mihi dulce magis resoluto vivere collo.

De mon dessein, j'eusse fuy d'espouser la sagesse mesme, si elle m'eust voulu : Mais nous avons beau dire : la coustume et l'usage de la vie commune, nous emporte. La plus part de mes actions se conduisent par exemple, non par choix. Toutesfois je ne m'y conviay pas proprement : On m'y mena, et y fus porté par des occasions estrangeres. Car non seulement les choses incommodes, mais il n'en est aucune si laide et vitieuse et evitable, qui ne puisse devenir acceptable par quelque condition et accident : Tant l'humaine posture est vaine. Et y fus porté, certes plus mal preparé lors, et plus rebours, que je ne suis à present, apres l'avoir essayé. Et tout licencieux qu'on me tient, j'ay en verité plus severement observé les loix de mariage, que je n'avois ny promis ny esperé. Il n'est plus temps de regimber quand on s'est laissé entraver. Il faut prudemment mesnager sa liberté : mais dépuis qu'on s'est submis à l'obligation, il s'y faut tenir soubs les loix du debvoir commun, aumoins s'en efforcer. Ceux qui entreprennent ce marché pour s'y porter avec hayne et mespris, font injustement et incommodément : Et cette belle reigle que je voy passer de main en main entre elles, comme un sainct oracle,



Sers ton mary comme ton maistre,
Et t'en garde comme d'un traistre 
:

Qui est à dire : Porte toy envers luy, d'une reverence contrainte, ennemye, et deffiante (cry de guerre et de deffi) est pareillement injurieuse et difficile. Je suis trop mol pour desseins si espineux. A dire vray, je ne suis pas encore arrivé à cette perfection d'habileté et galantise d'esprit, que de confondre la raison avec l'injustice, et mettre en risee tout ordre et reigle qui n'accorde à mon appetit : Pour hayr la superstition, je ne me jette pas incontinent à l'irreligion. Si on ne fait tousjours son debvoir, au moins le faut il tousjours aymer et recognoistre : c'esttrahison, se marier sans s'espouser. Passons outre.

Nostre poëte represente un mariage plein d'accord et de bonne convenance, auquel pourtant il n'y a pas beaucoup de loyauté. A il voulu dire, qu'il ne soit pas impossible de se rendre aux efforts de l'amour, et ce neantmoins reserver quelque devoir envers le mariage : et qu'on le peut blesser, sans le rompre tout à faict ? Tel valet ferre la mule au maistre qu'il ne hayt pas pourtant. La beauté, l'oportunité, la destinee (car la destinee y met aussi la main)

fatum est in partibus illis
Quas sinus abscondit : nam si tibi sidera cessent,
Nil faciet longi mensura incognita nervi
,

l'ont attachée à un estranger : non pas si entiere peut estre, qu'il ne luy puisse rester quelque liaison par où elle tient encore à son mary. Ce sont deux desseins, qui ont des routes distinguees, et non confondues : Une femme se peut rendre à tel personnage, que nullement elle ne voudroit avoir espouse : je ne dy pas pour les conditions de la fortune, mais pour celles mesmes de la personne. Peu de gens ont espousé des amies qui ne s'en soyent repentis. Et jusques en l'autre monde, quel mauvais mesnage fait Jupiter avec sa femme, qu'il avoit premierement pratiquee et jouyë par amourettes ? C'est ce qu'on dit, chier dans le panier, pour apres le mettre sur sa teste.

J'ay veu de mon temps en quelque bon lieu, guerir honteusement et deshonnestement, l'amour, par le mariage : les considerations sont trop autres. Nous aymons, sans nous empescher, deux choses diverses, et qui se contrarient. Isocrates disoit, que la ville d'Athenes plaisoit à la mode que font les dames qu'on sert par amour ; chacun aymoit à s'y venir promener, et y passer son temps : nul ne l'aymoit pour l'espouser : c'est à dire, pour s'y habituer et domicilier J'ay avec despit, veu des maris hayr leurs femmes, de ce seulement, qu'ils leur font tort : Aumoins ne les faut il pas moins aymer, de nostre faute : par repentance et compassion aumoins, elles nous en devroient estre plus cheres.

Ce sont fins differentes, et pourtant compatibles, dit-il, en quelque façon. Le mariage a pour sa part, l'utilité, la justice, l'honneur, et la constance : un plaisir plat, mais plus universel. L'amour se fonde au seul plaisir : et l'a de vray plus chatouilleux, plus vif, et plus aigu : un plaisir attizé par la difficulté : il y faut de la piqueure et de la cuison : Ce n'est plus amour, s'il est sans fleches et sans feu. La liberalité des dames est trop profuse au mariage, et esmousse la poincte de l'affection et du desir. Pour fuïr à cet inconvenient, voyez la peine qu'y prennent en leurs loix Lycurgus et Platon.

Les femmes n'ont pas tort du tout, quand elles refusent les reigles de vie, qui sont introduites au monde : d'autant que ce sont les hommes qui les ont faictes sans elles. Il y a naturellement de la brigue et riotte entre elles et nous. Le plus estroit consentement que nous ayons avec elles, encores est-il tumultuaire et tempestueux. A l'advis de nostre autheur, nous les traictons inconsiderément en cecy. Apres que nous avons cogneu, qu'elles sont sans comparaison plus capables et ardentes aux effects de l'amour que nous, et que ce prestre ancien l'a ainsi tesmoigné, qui avoit esté tantost homme, tantost femme :

Venus huic erat utraque nota :

Et en outre, que nous avons appris de leur propre bouche, la preuve qu'en firent autrefois, en divers siecles, un Empereur et une Emperiere de Rome, maistres ouvriers et fameux en cette besongne : luy despucela bien en une nuict dix vierges Sarmates ses captives : mais elle fournit reelement en une nuict, à vingt et cinq entreprinses, changeant de compagnie selon son besoing et son goust,



adhuc ardens rigidæ tentigine vulvæ :
Et lassata viris, nondum satiata recessit
.

Et que sur le different advenu à Cateloigne, entre une femme, se plaignant des efforts trop assiduelz de son mary (Non tant à mon advis qu'elle en fust incommodee, car je ne crois les miracles qu'en foy, comme pour retrancher soubs ce pretexte, et brider en ce mesme, qui est l'action fondamentale du mariage, l'authorité des maris envers leurs femmes : Et pour montrer que leurs hergnes, et leur malignité passent outre la couche nuptiale, et foulent aux pieds les graces et douceurs mesmes de Venus) à laquelle plainte, le mary respondoit, homme vrayement brutal et desnaturé, qu'aux jours mesme de jeusne il ne s'en sçauroit passer à moins de dix : Intervint ce notable arrest de la Royne d'Aragon : par lequel, apres meure deliberation de conseil, cette bonne Royne, pour donner reigle et exemple à tout temps, de la moderation et modestie requise en un juste mariage : ordonna pour bornes legitimes et necessaires, le nombre de six par jour : Relaschant et quitant beaucoup du besoing et desir de son sexe, pour establir, disoit elle, une forme aysee, et par consequent permanante et immuable. En quoy s'escrient les docteurs, quel doit estre l'appetit et la concupiscence feminine, puisque leur raison, leur reformation, et leur vertu, se taille à ce prix ? considerans le divers jugement de nos appetits : Car Solon patron de l'eschole legiste ne taxe qu'à trois fois par mois, pour ne faillir point, cette hantise conjugale. Apres avoir creu (dis-je) et presché cela, nous sommes allez, leur donner la continence peculierement en partage : et sur peines dernieres et extremes.

Il n'est passion plus pressante, que cette cy, à laquelle nous voulons qu'elles resistent seules : Non simplement, comme à un vice de sa mesure : mais comme à l'abomination et execration, plus qu'à l'irreligion et au parricide : et nous nous y rendons ce pendant sans coulpe et reproche. Ceux mesme d'entre nous, qui ont essayé d'en venir à bout, ont assez avoué, quelle difficulté, ou plustost impossibilité il y avoit, usant de remedes materiels, à mater, affoiblir et refroidir le corps. Nous au contraire, les voulons saines, vigoreuses, en bon point, bien nourries, et chastes ensemble : c'est à dire, et chaudes et froides. Car le mariage, que nous disons avoir charge de les empescher de bruler, leur aporte peu de refraichissement, selon nos moeurs. Si elles en prennent un, à qui la vigueur de l'aage boult encores, il fera gloire de l'espandre ailleurs :

Sit tandem pudor, aut eamus in jus,
Multis mentula millibus redempta,
Non est hæc tua, Basse, vendidisti
.

Le Philosophe Polemon fut justement appellé en justice par sa femme, de ce qu'il alloit semant en un champ sterile le fruict deu au champ genital. Si c'est de ces autres cassez, les voyla en plein mariage, de pire condition que vierges et vefves. Nous les tenons pour bien fournies, par ce qu'elles ont un homme aupres : Comme les Romains tindrent pour viollee Clodia Læta, Vestale, que Caligula avoit approchée, encore qu'il fust averé, qu'il ne l'avoit qu'approchee : Mais au rebours ; on recharge par là, leur necessité : d'autant que l'attouchement et la compagnie de quelque masle que ce soit, esveille leur chaleur, qui demeureroit plus quiete en la solitude. Et à cette fin, comme il est vray-semblable, de rendre par cette circonstance et consideration, leur chasteté plus meritoire : Boleslaus et Kinge sa femme, Roys de Poulongne, la voüerent d'un commun accord, couchez ensemble, le jour mesme de leurs nopces : et la maintindrent à la barbe des commoditez maritales.

Nous les dressons dés l'enfance, aux entremises de l'amour : leur grace, leur attiffeure, leur science, leur parole, toute leur instruction, ne regarde qu'à ce but. Leurs gouvernantes ne leur impriment autre chose que le visage de l'amour, ne fust qu'en le leur representant continuellement pour les en desgouster. Ma fille (c'est tout ce que j'ay d'enfans) est en l'aage auquel les loix excusent les plus eschauffees de se marier : Elle est d'une complexion tardive, mince et molle, et a esté par sa mere eslevee de mesme, d'une forme retiree et particuliere : si qu'elle ne commence encore qu'à se desniaiser de la naifveté de l'enfance. Elle lisoit un livre François devant moy : le mot de, fouteau, s'y rencontra, nom d'un arbre cogneu : la femme qu'ell'a pour sa conduitte, l'arresta tout court, un peu rudement, et la fit passer par dessus ce mauvais pas : Je la laissay faire, pour ne troubler leurs reigles : car je ne m'empesche aucunement de ce gouvernement. La police feminine à un train mysterieux, il faut le leur quitter : Mais si je ne me trompe, le commerce de vingt laquays, n'eust sçeu imprimer en sa fantasie, de six moys, l'intelligence et usage, et toutes les consequences du son de ces syllabes scelerees, comme fit cette bonne vieille, par sa reprimende et son interdiction.

Motus doceri gaudet Ionicos
Natura virgo, et frangitur artubus
Jam nunc, et incestos amores
De tenero meditatur ungui
.

Qu'elles se dispensent un peu de la ceremonie, qu'elles entrent en liberté de discours, nous ne sommes qu'enfans au prix d'elles, en cette science. Oyez leur representer nos poursuittes et nos entretiens : elles vous font bien cognoistre que nous ne leur apportons rien, qu'elles n'ayent sçeu et digeré sans nous. Seroit-ce ce que dit Platon, qu'elles ayent esté garçons desbauchez autresfois ? Mon oreille se rencontra un jour en lieu, où elle pouvoit desrober aucun des discours faicts entre elles sans souspçon : que ne puis-je le dire ? Nostredame (fis-je,) allons à cette heure estudier des frases d'Amadis, et des registres de Boccace et de l'Aretin, pour faire les habiles : nous employons vrayement bien nostre temps : il n'est ny parole, ny exemple, ny démarche, qu'elles ne sçachent mieux que nos livres : C'est une discipline qui naist dans leurs veines,



Et mentem Venus ipsa dedit.

que ces bons maistres d'escole, nature, jeunesse, et santé, leur soufflent continuellement dans l'ame : Elles n'ont que faire de l'apprendre, elles l'engendrent.



Nec tantum niveo gavisa est ulla columbo,
Compar, vel si quid dicitur improbius,
Oscula mordenti semper decerpere rostro :
Quantum præcipuè multivola est mulier
.

Qui n'eust tenu un peu en bride cette naturelle violence de leur desir, par la crainte et honneur, dequoy on les a pourveuës, nous estions diffamez. Tout le mouvement du monde se resoult et rend à cet accouplage : c'est une matiere infuse par tout : c'est un centre où toutes choses regardent. On void encore des ordonnances de la vieille et sage Rome, faictes pour le service de l'amour : et les preceptes de Socrates, à instruire les courtisanes.



Necnon libelli Stoici inter sericos,
Jacere pulvillos amant
.

Zenon parmy les loix, regloit aussi les escarquillemens, et les secousses du depucelage. De quel sens estoit le livre du Philosophe Strato, De la conjonction charnelle ? Et dequoy traittoit Theophraste, en ceux qu'il intitula, l'un L'Amoureux, l'autre, De l'Amour ? Dequoy Aristippus au sien, Des anciennes delices ? Que veulent pretendre les descriptions si estendues et vives en Platon, des amours de son temps ? Et le livre De l'Amoureux, de Demetrius Phalereus ? Et Clinias, ou L'Amoureux forcé de Heraclides Ponticus ? Et d'Antisthenes, celuy De faire les enfants, ou Des nopces : et l'autre, Du Maistre ou De l'Amant ? Et d'Aristo, celuy, Des exercices amoureux ? De Cleanthes, un De l'Amour, l'autre De l'art d'aymer ? Les Dialogues amoureux de Spherus ? Et la fable de Jupiter et Juno de Chrysippus, eshontee au delà de toute souffrance ? Et les cinquante Epistres si lascives ? Je veux laisser à part les escrits des Philosophes, qui ont suivy la secte d'Epicurus protectrice de la volupté. Cinquante deitez estoient au temps passé asservies à cet office : Et s'est trouvé nation, où pour endormir la concupiscence de ceux qui venoient à la devotion, on tenoit aux temples des garses à jouyr, et estoit acte de ceremonie de s'en servir avant venir à l'office.



Nimirum propter continentiam incontinentia necessaria est, incendium ignibus extinguitur.

En la plus part du monde, cette partie de nostre corps estoit deifiee. En mesme province, les uns se l'escorchoient pour en offrir et consacrer un lopin : les autres offroient et consacroient leur semence. En une autre, les jeunes hommes se le perçoient publiquement, et ouvroient en divers lieux entre chair et cuir, et traversoient par ces ouvertures, des brochettes, les plus longues et grosses qu'ils pouvoient souffrir : et de ces brochettes faisoient apres du feu, pour offrande à leurs Dieux : estimez peu vigoureux et peu chastes, s'ils venoient à s'estonner par la force de cette cruelle douleur. Ailleurs, le plus sacré magistrat, estoit reveré et recogneu par ces parties là : Et en plusieurs ceremonies l'effigie en estoit portee en pompe, à l'honneur de diverses divinitez.

Les dames Ægyptiennes en la feste des Bacchanales, en portoient au col un de bois, exquisement formé, grand et pesant, chacune selon sa force : outre ce que la statue de leur Dieu, en representoit, qui surpassoit en mesure le reste du corps.

Les femmes mariées icy pres, en forgent de leur couvrechef une figure sur leur front, pour se glorifier de la jouyssance qu'elles en ont : et venans à estre vefves, le couchent en arriere, et ensevelissent soubs leur coiffure.

Les plus sages matrones à Rome, estoient honnorees d'offrir des fleurs et des couronnes au Dieu Priapus : Et sur ses parties moins honnestes, faisoit-on soir les vierges, au temps de leurs nopces. Encore ne sçay-je si j'ay veu en mes jours quelque air de pareille devotion. Que vouloit dire cette ridicule piece de la chaussure de nos peres, qui se voit encore en nos Suysses ? A quoy faire, la montre que nous faisons à cette heure de nos pieces en forme, soubs nos grecgues : et souvent, qui pis est, outre leur grandeur naturelle, par fauceté et imposture ?

Il me prend envie de croire, que cette sorte de vestement fut inventee aux meilleurs et plus conscientieux siecles, pour ne piper le monde : pour que chacun rendist en publiq compte de son faict. Les nations plus simples, l'ont encore aucunement rapportant au vray. Lors on instruisoit la science de l'ouvrier, comme il se faict, de la mesure du bras ou du pied.

Ce bon homme qui en ma jeunesse, chastra tant de belles et antiques statues en sa grande ville, pour ne corrompre la veuë, suyvant l'advis de cet autre antien bon homme,

Flagitiii principium est nudare inter cives corpora :

se devoit adviser, comme aux mysteres de la bonne Deesse, toute apparence masculine en estoit forclose, que ce n'estoit rien avancer, s'il ne faisoit encore chastrer, et chevaux, et asnes, et nature en fin.



Omne adeo genus in terris, hominúmque ferarúmque,
Et genus æquoreum, pecudes pictæque volucres,
In furias ignémque ruunt
.

Les Dieux, dit Platon, nous ont fourni d'un membre inobedient et tyrannique : qui, comme un animal furieux, entreprend par la violence de son appetit, sousmettre tout à soy. De mesmes aux femmes le leur, comme un animal glouton et avide, auquel si on refuse aliments en sa saison, il forcene impatient de delay ; et soufflant sa rage en leurs corps, empesche les conduits, arreste la respiration, causant mille sortes de maux : jusques à ce qu'ayant humé le fruit de la soif commune, il en ayt largement arrousé et ensemencé le fond de leur matrice.

Or se devoit adviser aussi mon legislateur, qu'à l'avanture est-ce un plus chaste et fructueux usage, de leur faire de bonne heure congnoistre le vif, que de le leur laisser deviner, selon la liberté, et chaleur de leur fantasie : Au lieu des parties vrayes, elles en substituent par desir et par esperance, d'autres extravagantes au triple. Et tel de ma cognoissance s'est perdu pour avoir faict la descouverte des siennes, en lieu où il n'estoit encore au propre de les mettre en possession de leur plus serieux usage.

Quel dommage ne font ces enormes pourtraicts, que les enfants vont semant aux passages et escalliers des maisons Royalles ? De là leur vient un cruel mespris de nostre portee naturelle. Que sçait-on, si Platon ordonnant apres d'autres republiques bien instituees que les hommes, femmes, vieux, jeunes, se presentent nuds à la veue les uns des autres, en ses gymnastiques, n'a pas regardé à celà ? Les Indiennes qui voyent les hommes à crud, ont aumoins refroidy le sens de la veuë. Et quoy que dient les femmes de ce grand royaume du Pegu, qui au dessous de la ceinture, n'ont à se couvrir qu'un drap fendu par le devant : et si estroit, que quelque cerimonieuse decence qu'elles y cerchent, à chasque pas on les void toutes ; que c'est une invention trouvee aux fins d'attirer les hommes à elles, et les retirer des masles, à quoy cette nation est du tout abandonnee : il se pourroit dire, qu'elles y perdent plus qu'elles n'avancent : et qu'une faim entiere, est plus aspre, que celle qu'on a rassasiee, au moins par les yeux. Aussi disoit Livia, qu'à une femme de bien, un homme nud, n'est non plus qu'une image. Les Lacedemoniennes, plus vierges femmes, que ne sont noz filles, voyoyent tous les jours les jeunes hommes de leur ville, despouillez en leurs exercices : peu exactes elles mesmes à couvrir leur cuisses en marchant : s'estimants, comme dit Platon, assez couvertes de leur vertu sans vertugade. Mais ceux là, desquels parle Sainct Augustin, ont donné un merveilleux effort de tentation à la nudité, qui ont mis en doubte, si les femmes au jugement universel, resusciteront en leur sexe, et non plustost au nostre, pour ne nous tenter encore en ce sainct estat.

On les leurre en somme, et acharne, par tous moyens : Nous eschauffons et incitons leur imagination sans cesse, et puis nous crions au ventre. Confessons le vray, il n'en est guere d'entre nous, qui ne craigne plus la honte, qui luy vient des vices de sa femme, que des siens : qui ne se soigne plus (esmerveillable charité) de la conscience de sa bonne espouse, que de la sienne propre : qui n'aymast mieux estre voleur et sacrilege, et que sa femme fust meurtriere et heretique, que si elle n'estoit plus chaste que son mary. Inique estimation de vices. Nous et elles sommes capables de mille corruptions plus dommageables et desnaturees, que n'est la lasciveté. Mais nous faisons et poisons les vices, non selon nature, mais selon nostre interest. Par où ils prennent tant de formes inegales. L'aspreté de noz decrets, rend l'application des femmes à ce vice, plus aspre et vicieuse, que ne porte sa condition : et l'engage à des suittes pires que n'est leur cause.

Elles offriront volontiers d'aller au palais querir du gain, et à la guerre de la reputation, plustost que d'avoir au milieu de l'oisiveté, et des delices, à faire une si difficile garde. Voyent-elles pas, qu'il n'est ny marchant ny procureur, ny soldat, qui ne quitte sa besongne pour courre à cette autre : et le crocheteur, et le savetier, tous harassez et hallebrenez qu'ils sont de travail et de faim.



Num tu quæ tenuit dives Achæmenes,
Aut pinguis Phrygiæ Mygdonias opes,
Permutare velis crine Licinniæ,
Plenas aut Arabum domos
,

Dum fragrantia detorquet ad oscula
Cervicem, aut facili sævitia negat,
Quæ poscente magis gaudeat eripi,
Interdum rapere occupet ?

Je ne sçay si les exploicts de Cæsar et d'Alexandre surpassent en rudesse la resolution d'une belle jeune femme, nourrie à nostre façon, à la lumiere et commerce du monde, battue de tant d'exemples contraires, se maintenant entiere, au milieu de mille continuelles et fortes poursuittes. Il n'y a point de faire, plus espineux, qu'est ce non faire, ny plus actif. Je trouve plus aysé, de porter une cuirasse toute sa vie, qu'un pucelage. Et est le voeu de la virginité, le plus noble de tous les voeux, comme estant le plus aspre, Diaboli virtus in lumbis est : dict Sainct Jerosme.

Certes le plus ardu et le plus vigoureux des humains devoirs, nous l'avons resigné aux dames, et leur en quittons la gloire. Cela leur doit servir d'un singulier esguillon à s'y opiniastrer : C'est une belle matiere à nous braver, et à fouler aux pieds, cette vaine preeminence de valeur et de vertu, que nous pretendons sur elles. Elles trouveront, si elles s'en prennent garde, qu'elles en seront non seulement tres-estimees, mais aussi plus aymees : Un galant homme n'abandonne point sa poursuitte, pour estre refusé, pourveu que ce soit un refus de chasteté, non de choix. Nous avons beau jurer et menasser, et nous plaindre : nous mentons, nous les en aymons mieux : Il n'est point de pareil leurre, que la sagesse, non rude, et renfrongnee. C'est stupidité et lascheté, de s'opiniastrer contre la hayne et le mespris : Mais contre une resolution vertueuse et constante, meslee d'une volonté recognoissante, c'est l'exercice d'une ame noble et genereuse. Elles peuvent recognoistre nos services, jusques à certaine mesure, et nous faire sentir honnestement qu'elles ne nous desdaignent pas.


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