Montaigne les Essais livre III


CHAPITRE V Sur des vers de Virgile



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CHAPITRE V
Sur des vers de Virgile


A MESURE que les pensemens utiles sont plus pleins, et solides, ils sont aussi plus empeschans, et plus onereux. Le vice, la mort, la pauvreté, les maladies, sont subjets graves, et qui grevent. Il faut avoir l'ame instruitte des moyens de soustenir et combatre les maux, et instruite des regles de bien vivre, et de bien croire : et souvent l'esveiller et exercer en cette belle estude. Mais à une ame de commune sorte, il faut que ce soit avec relasche et moderation : elle s'affolle, d'estre trop continuellement bandee.

J'avoy besoing en jeunesse, de m'advertir et solliciter pour me tenir en office : L'alegresse et la santé ne conviennent pas tant bien, dit-on, avec ces discours serieux et sages : Je suis à present en un autre estat. Les conditions de la vieillesse, ne m'advertissent que trop, m'assagissent et me preschent. De l'excez de la gayeté, je suis tombé en celuy de la severité : plus fascheux. Parquoy, je me laisse à cette heure aller un peu à la desbauche, par dessein : et employe quelque fois l'ame, à des pensemens folastres et jeunes, où elle se sejourne : Je ne suis meshuy que trop rassis, trop poisant, et trop meur. Les ans me font leçon tous les jours, de froideur, et de temperance. Ce corps fuyt le desreiglement, et le craint : il est à son tour de guider l'esprit vers la reformation : il regente à son tour : et plus rudement et imperieusement : Il ne me laisse pas une heure, ny dormant ny veillant, chaumer d'instruction, de mort, de patience, et de poenitence. Je me deffens de la temperance, comme j'ay faict autresfois de la volupté : elle me tire trop arriere, et jusques à la stupidité. Or je veux estre maistre de moy, à tout sens. La sagesse a ses excez, et n'a pas moins besoing de moderation que la folie. Ainsi, de peur que je ne seche, tarisse, et m'aggrave de prudence, aux intervalles que mes maux me donnent,



Mens intenta suis ne siet usque malis.

je gauchis tout doucement, et desrobe ma veuë de ce ciel orageux et nubileux que j'ay devant moy. Lequel, Dieu mercy, je considere bien sans effroy, mais non pas sans contention, et sans estude. Et me vay amusant en la recordation des jeunesses passees :



animus quod perdidit, optat,
Atque in præterita se totus imagine versat
.

Que l'enfance regarde devant elle, la vieillesse derriere : estoit ce pas ce que signifioit le double visage de Janus ? Les ans m'entrainnent s'ils veulent, mais à reculons : Autant que mes yeux peuvent recognoistre cette belle saison expiree, je les y destourne à secousses. Si elle eschappe de mon sang et de mes veines, aumoins n'en veux-je déraciner l'image de la memoire.



hoc est,
Vivere bis, vita posse priore frui
.

Platon ordonne aux vieillards d'assister aux exercices, danses, et jeux de la jeunesse, pour se resjouyr en autruy, de la soupplesse et beauté du corps, qui n'est plus en eux : et rappeller en leur souvenance, la grace et faveur de cet aage verdissant. Et veut qu'en ces esbats, ils attribuent l'honneur de la victoire, au jeune homme, qui aura le plus esbaudi et resjoui, et plus grand nombre d'entre eux.

Je merquois autresfois les jours poisans et tenebreux, comme extraordinaires : Ceux-là sont tantost les miens ordinaires : les extraordinaires sont les beaux et serains. Je m'en vay au train de tressaillir, comme d'une nouvelle faveur, quand aucune chose ne me deult. Que je me chatouille, je ne puis tantost plus arracher un pauvre rire de ce meschant corps. Je ne m'esgaye qu'en fantasie et en songe : pour destourner par ruse, le chagrin de la vieillesse : Mais certes il faudroit autre remede, qu'en songe. Foible lucte, de l'art contre la nature. C'est grand simplesse, d'alonger et anticiper, comme chacun fait, les incommoditez humaines : J'ayme mieux estre moins long temps vieil, que d'estre vieil, avant que de l'estre. Jusques aux moindres occasions de plaisir que je puis rencontrer, je les empoigne : Je congnois bien par ouyr dire, plusieurs especes de voluptez prudentes, fortes et glorieuses : mais l'opinion ne peut pas assez sur moy pour m'en mettre en appetit. Je ne les veux pas tant magnanimes, magnifiques et fastueuses, comme je les veux doucereuses, faciles et prestes. A natura discedimus : populo nos damus, nullius rei bono auctori.

Ma philosophie est en action, en usage naturel et present : peu en fantasie. Prinssé-je plaisir à jouer aux noisettes et à la toupie !



Non ponebat enim rumores ante salutem.

La volupté est qualité peu ambitieuse ; elle s'estime assez riche de soy, sans y mesler le prix de la reputation : et s'ayme mieux à l'ombre. Il faudroit donner le foüet à un jeune homme, qui s'amuseroit à choisir le goust du vin, et des sauces. Il n'est rien que j'aye moins sçeu, et moins prisé : à cette heure je l'apprens. J'en ay grand honte, mais qu'y feroy-je ? J'ay encor plus de honte et de despit, des occasions qui m'y poussent. C'est à nous, à resver et baguenauder, et à la jeunesse à se tenir sur la reputation et sur le bon bout. Elle va vers le monde, vers le credit : nous en venons. Sibi arma, sibi equos, sibi hastas, sibi clavam, sibi pilam, sibi natationes et cursus habeant : nobis senibus, ex lusionibus multis, talos relinquant et tesseras. Les loix mesme nous envoyent au logis. Je ne puis moins en faveur de cette chetive condition, où mon aage me pousse, que de luy fournir de joüets et d'amusoires, comme à l'enfance : aussi y retombons nous. Et la sagesse et la folie, auront prou à faire, à m'estayer et secourir par offices alternatifs, en cette calamité d'aage.



Misce stultitiam consiliis brevem.

Je fuis de mesme les plus legeres pointures : et celles qui ne m'eussent pas autresfois esgratigné, me transperçent à cette heure. Mon habitude commence de s'appliquer si volontiers au mal : in fragili corpore odiosa omnis offensio est.



Ménsque pati durum sustinet ægra nihil.

J'ay esté tousjours chatouilleux et delicat aux offences, je suis plus tendre à cette heure, et ouvert par tout.



Et minimæ vires frangere quassa valent.

Mon jugement m'empesche bien de regimber et gronder contre les inconvenients que nature m'ordonne à souffrir, mais non pas de les sentir. Je courrois d'un bout du monde à l'autre, chercher un bon an de tranquillité plaisante et enjouee, moy, qui n'ay autre fin que vivre et me resjouyr. La tranquillité sombre et stupide, se trouve assez pour moy, mais elle m'endort et enteste : je ne m'en contente pas. S'il y a quelque personne, quelque bonne compagnie, aux champs, en la ville, en France, ou ailleurs, resseante, ou voyagere, à qui mes humeurs soient bonnes, de qui les humeurs me soyent bonnes, il n'est que de siffler en paume, je leur iray fournir des Essays, en chair et en os.

Puisque c'est le privilege de l'esprit, de se r'avoir de la vieillesse, je luy conseille autant que je puis, de le faire : qu'il verdisse, qu'il fleurisse ce pendant, s'il peut, comme le guy sur un arbre mort. Je crains que c'est un traistre : il s'est si estroittement affreté au corps, qu'il m'abandonne à tous coups, pour le suivre en sa necessité : Je le flatte à part, je le practique pour neant : j'ay beau essayer de le destourner de cette colligence, et luy presenter et Seneque et Catulle, et les dames et les dances royalles : si son compagnon a la cholique, il semble qu'il l'ayt aussi. Les puissances mesmes qui luy sont particulieres et propres, ne se peuvent lors souslever : elles sentent evidemment le morfondu : il n'y a poinct d'allegresse en ses productions, s'il n'en y a quand et quand au corps.

Noz maistres ont tort, dequoy cherchants les causes des eslancements extraordinaires de nostre esprit, outre ce qu'ils en attribuent à un ravissement divin, à l'amour, à l'aspreté guerriere, à la poësie, au vin : ils n'en ont donné sa part à la santé. Une santé bouillante, vigoureuse, pleine, oysive, telle qu'autrefois la verdeur des ans et la securité, me la fournissoient par venuës : Ce feu de gayeté suscite en l'esprit des cloises vives et claires outre nostre clairté naturelle : et entre les enthousiasmes, les plus gaillards, sinon les plus esperdus. Or bien, ce n'est pas merveille, si un contraire estat affesse mon esprit, le clouë, et en tire un effect contraire.



Ad nullum consurgit opus cum corpore languet.

Et veut encores que je luy sois tenu, dequoy il preste, comme il dit, beaucoup moins à ce consentement, que ne porte l'usage ordinaire des hommes. Aumoins pendant que nous avons trefve, chassons les maux et difficultez de nostre commerce,



Dum licet obducta solvatur fronte senectus :

tetrica sunt amænanda jocularibus. J'ayme une sagesse gaye et civile, et fuis l'aspreté des moeurs, et l'austerité : ayant pour suspecte toute mine rebarbative.

Tristemque vultus tetrici arrogantiam.

Et habet tr stis quoque turba cynædos.

Je croy Platon de bon coeur, qui dit les humeurs faciles ou difficiles, estre un grand prejudice à la bonté ou mauvaistié de l'ame. Socrates eut un visage constant, mais serein et riant : Non fascheusement constant, comme le vieil Crassus, qu'on ne veit jamais rire.

La vertu est qualité plaisante et gaye.

Je sçay bien que fort peu de gens rechigneront à la licence de mes escrits, qui n'ayent plus à rechigner à la licence de leur pensee : Je me conforme bien à leur courage : mais j'offence leurs yeux.

C'est une humeur bien ordonnee, de pinser les escrits de Platon, et couler ses negociations pretendues avec Phedon, Dion, Stella, Archeanassa. Non pudeat dicere, quod non pudeat sentire.

Je hay un esprit hargneux et triste, qui glisse par dessus les plaisirs de sa vie, et s'empoigne et paist aux malheurs. Comme les mouches, qui ne peuvent tenir contre un corps bien poly, et bien lisse, et s'attachent et reposent aux lieux scabreux et raboteux : Et comme les vantouses, qui ne hument et appetent que le mauvais sang.

Au reste, je me suis ordonné d'oser dire tout ce que j'ose faire : et me desplaist des pensees mesmes impubliables. La pire de mes actions et conditions, ne me semble pas si laide, comme je trouve laid et lasche, de ne l'oser advouer. Chacun est discret en la confession, on le devroit estre en l'action La hardiesse de faillir, est aucunement compensee et bridee, par la hardiesse de le confesser. Qui s'obligeroit à tout dire, s'obligeroit à ne rien faire de ce qu'on est contraint de taire. Dieu vueille que cet excés de ma licence, attire nos hommes jusques à la liberté : par dessus ces vertus couardes et mineuses, nees de nos imperfections : qu'aux despens de mon immoderation, je les attire jusques au point de la raison. Il faut voir son vice, et l'estudier, pour le redire : ceux qui le celent à autruy, le celent ordinairement à eux mesmes : et ne le tiennent pas pour assés couvert, s'ils le voyent. Ils le soustrayent et desguisent à leur propre conscience. Quare vitia sua nemo consitetur ? Quia etiam nunc in illis est, somnium narrare, vigilantis est. Les maux du corps s'esclaircissent en augmentant. Nous trouvons que c'est goutte, ce que nous nommions rheume ou foulleure. Les maux de l'ame s'obscurcissent en leurs forces : le plus malade les sent le moins. Voyla pourquoy il les faut souvent remanier au jour, d'une main impiteuse : les ouvrir et arracher du creus de nostre poitrine : Comme en matiere de biens faicts, de mesme en matiere de mesfaicts, c'est par fois satisfaction que la seule confession. Est-il quelque laideur au faillir, qui nous dispense de nous en confesser ?

Je souffre peine à me feindre : si que j'evite de prendre les secrets d'autruy en garde, n'ayant pas bien le coeur de desadvouer ma science : Je puis la taire, mais la nyer, je ne puis sans effort et desplaisir. Pour estre bien secret, il le faut estre par nature, non par obligation. C'est peu, au service des princes, d'estre secret, si on n'est menteur encore. Celuy qui s'enquestoit à Thales Milesius, s'il devoit solemnellement nyer d'avoir paillardé, s'il se fust addressé à moy, je luy eusse respondu, qu'il ne le devoit pas faire, car le mentir me semble encore pire que la paillardise. Thales luy conseilla tout autrement, et qu'il jurast, pour garentir le plus, par le moins : Toutesfois ce conseil n'estoit pas tant election de vice, que multiplication.

Sur quoy disons ce mot en passant, qu'on fait bon marché à un homme de conscience, quand on luy propose quelque difficulté au contrepoids du vice : mais quand on l'enferme entre deux vices, on le met à un rude choix. Comme on fit Origene : ou qu'il idolatrast, ou qu'il se souffrist jouyr charnellement, à un grand vilain Æthiopien qu'on luy presenta : Il subit la premiere condition : et vitieusement, dit-on. Pourtant ne seroient pas sans goust, selon leur erreur, celles qui nous protestent en ce temps, qu'elles aymeroient mieux charger leur conscience de dix hommes, que d'une messe.

Si c'est indiscretion de publier ainsi ses erreurs, il n'y a pas grand danger qu'elle passe en exemple et usage. Car Ariston disoit, que les vens que les hommes craignent le plus, sont ceux qui les descouvrent : Il faut rebrasser ce sot haillon qui cache nos moeurs : Ils envoyent leur conscience au bordel, et tiennent leur contenance en regle : Jusques aux traistres et assassins ; ils espousent les loix de la ceremonie, et attachent là leur devoir. Si n'est-ce, ny à l'injustice de se plaindre de l'incivilité, ny à la malice de l'indiscretion. C'est dommage qu'un meschant homme ne soit encore un sot, et que la decence pallie son vice. Ces incrustations n'appartiennent qu'à une bonne et saine paroy, qui merite d'estre conservee, d'estre blanchie.

En faveur des Huguenots, qui accusent nostre confession auriculaire et privee, je me confesse en publiq, religieusement et purement. Sainct Augustin, Origene, et Hippocrates, ont publié les erreurs de leurs opinions : moy encore de mes moeurs. Je suis affamé de me faire congnoistre : et ne me chaut à combien, pourveu que ce soit veritablement : Ou pour dire mieux, je n'ay faim de rien : mais je fuis mortellement, d'estre pris en eschange, par ceux à qui il arrive de congnoistre mon nom.

Celuy qui fait tout pour l'honneur et pour la gloire, que pense-il gaigner, en se produisant au monde en masque, desrobant son vray estre à la congnoissance du peuple ? Louez un bossu de sa belle taille, il le doit recevoir à injure : si vous estes couard, et qu'on vous honnore pour un vaillant homme, est-ce de vous qu'on parle ? On vous prend pour un autre : J'aymeroy aussi cher, que celuy-là se gratifiast des bonnetades qu'on luy faict, pensant qu'il soit maistre de la trouppe, luy qui est des moindres de la suitte. Archelaus Roy de Macedoine, passant par la ruë, quelqu'un versa de l'eau sur luy : les assistans disoient qu'il devoit le punir. Voyre mais, fit-il, il n'a pas versé l'eau sur moy, mais sur celuy qu'il pensoit que je fusse. Socrates à celuy, qui l'advertissoit : qu'on mesdisoit de luy. Point, dit-il : Il n'y a rien en moy de ce qu'ils disent. Pour moy, qui me loüeroit d'estre bon pilote, d'estre bien modeste, ou d'estre bien chaste, je ne luy en devrois nul grammercy. Et pareillement, qui m'appelleroit traistre, voleur, ou yvrongne, je me tiendroy aussi peu offencé. Ceux qui se mescognoissent, se peuvent paistre de fauces approbations : non pas moy, qui me voy, et qui me recherche jusques aux entrailles, qui sçay bien ce qu'il m'appartient. Il me plaist d'estre moins loué, pourveu que je soy mieux congneu. On me pourroit tenir pour sage en telle condition de sagesse, que je tien pour sottise.

Je m'ennuye que mes Essais servent les dames de meuble commun seulement, et de meuble de sale : ce chapitre me fera du cabinet : J'ayme leur commerce un peu privé : le publique est sans faveur et saveur. Aux adieux, nous eschauffons outre l'ordinaire l'affection envers les choses que nous abandonnons. Je prens l'extreme congé des jeux du monde : voicy nos dernieres accolades. Mais venons à mon theme.

Qu'a faict l'action genitale aux hommes, si naturelle, si necessaire, et si juste, pour n'en oser parler sans vergongne, et pour l'exclurre des propos serieux et reglez ? Nous prononçons hardiment, tuer, desrober, trahir : et cela, nous n'oserions qu'entre les dents. Est-ce à dire, que moins nous en exhalons en parole, d'autant nous avons loy d'en grossir la pensee ?

Car il est bon, que les mots qui sont le moins en usage, moins escrits, et mieux teuz, sont les mieux sceus, et plus generalement cognus. Nul aage, nulles moeurs l'ignorent non plus que le pain. Ils s'impriment en chascun, sans estre exprimez, et sans voix et sans figure. Et le sexe qui le fait le plus, a charge de le taire le plus. C'est une action, que nous avons mis en la franchise du silence, d'où c'est crime de l'arracher. Non pas pour l'accuser et juger : Ny n'osons la fouëtter, qu'en periphrase et peinture. Grand faveur à un criminel, d'estre si execrable, que la justice estime injuste, de le toucher et de le veoir : libre et sauvé par le benefice de l'aigreur de sa condamnation. N'en va-il pas comme en matiere de livres, qui se rendent d'autant plus venaux et publiques, de ce qu'ils sont supprimez ? Je m'en vay pour moy, prendre au mot l'advis d'Aristote, qui dit, L'estre honteux, servir d'ornement à la jeunesse, mais de reproche à la vieillesse.

Ces vers se preschent en l'escole ancienne : escole à laquelle je me tien bien plus qu'à la moderne : ses vertus me semblent plus grandes, ses vices moindres.



Ceux qui par trop fuyant Venus estrivent,
Faillent autant que ceux qui trop la suivent
.

Tu Dea, tu rerum naturam sola gubernas,
Nec sine te quicquam dias in luminis oras
Exoritur, neque fit lætum, nec amabile quicquam
.

Je ne sçay qui a peu mal mesler Pallas et les Muses, avec Venus, et les refroidir envers l'amour : mais je ne voy aucunes deitez qui s'aviennent mieux, ny qui s'entredoivent plus. Qui ostera aux muses les imaginations amoureuses, leur desrobera le plus bel entretien qu'elles ayent, et la plus noble matiere de leur ouvrage : et qui fera perdre à l'amour la communication et service de la poësie, l'affoiblira de ses meilleures armes. Par ainsin on charge le Dieu d'accointance, et de bien vueillance, et les deesses protectrices d'humanité et de justice, du vice d'ingratitude et de mescognoissance.

Je ne suis pas de si long temps cassé de l'estat et suitte de ce Dieu, que je n'aye la memoire informee de ses forces et valeurs :

agnosco veteris vestigia flammæ.

Il y a encore quelque demeurant d'emotion et chaleur apres la fiévre :



Nec mihi deficiat calor hic, hyemantibus annis.

Tout asseché que je suis, et appesanty, je sens encore quelques tiedes restes de cette ardeur passee ;



Qual l'alto Ægeo per che Aquilone o Noto
Cessi, che tutto prima il vuolse et scosse,
Non s'accheta ei pero, ma'l sono e'l moto,
Ritien de l'onde anco agitate è grosse
.

Mais de ce que je m'y entends, les forces et valeur de ce Dieu, se trouvent plus vifves et plus animees, en la peinture de la poësie, qu'en leur propre essence.



Et versus digitos habet.

Elle represente je ne sçay quel air, plus amoureux qne l'amour mesme. Venus n'est pas si belle toute nüe, et vive, et haletante, comme elle est icy chez Virgile.



Dixerat, Et niveis hinc atque hinc diva lacertis
Cunctantem amplexu molli fovet : Ille repente
Accepit solitam flammam, notusque medullas
Intravit calor, et labefacta per ossa cucurrit.
Non secus atque olim tonitru cum rupta corusco
Ignea rima micans percurrit lumine nimbos.
... ea verba loquutus,
Optatos dedit amplexus, placidumque petivit
Conjugis infusus gremio per membra soporem
.

Ce que j'y trouve à considerer, c'est qu'il la peinct un peu bien esmeüe pour une Venus maritale. En ce sage marché, les appetits ne se trouvent pas si follastres : ils sont sombres et plus mousses. L'amour hait qu'on se tienne par ailleurs que par luy, et se mesle laschement aux accointances qui sont dressees et entretenues soubs autre titre : comme est le mariage. L'alliance, les moyens, y poisent par raison, autant ou plus, que les graces et la beauté. On ne se marie pas pour soy, quoy qu'on die : on se marie autant ou plus, pour sa posterité, pour sa famille : L'usage et l'interest du mariage touche nostre race, bien loing pardelà nous. Pourtant me plaist cette façon, qu'on le conduise plustost par main tierce, que par les propres : et par le sens d'autruy, que par le sien : Tout cecy, combien à l'opposite des conventions amoureuses ? Aussi est-ce une espece d'inceste, d'aller employer à ce parentage venerable et sacré, les efforts et les extravagances de la licence amoureuse, comme il me semble avoir dict ailleurs : Il faut (dit Aristote) toucher sa femme prudemment et severement, de peur qu'en la chatouillant trop lascivement, le plaisir ne la face sortir hors des gons de raison. Ce qu'il dit pour la conscience, les medecins le disent pour la santé. Qu'un plaisir excessivement chaud, voluptueux, et assidu, altere la semence, et empesche la conception. Disent d'autrepart, qu'à une congression languissante, comme celle là est de sa nature : pour la remplir d'une juste et fertile chaleur, il s'y faut presenter rarement, et à notables intervalles ;



Quo rapiat sitiens venerem interiúsque recondat.

Je ne voy point de mariages qui faillent plustost, et se troublent, que ceux qui s'acheminent par la beauté, et desirs amoureux : Il y faut des fondemens plus solides, et plus constans, et y marcher d'aguet : cette boüillante allegresse n'y vaut rien.

Ceux qui pensent faire honneur au mariage, pour y joindre l'amour, font, ce me semble, de mesme ceux, qui pour faire faveur à la vertu, tiennent, que la noblesse n'est autre chose que vertu. Ce sont choses qui ont quelque cousinage : mais il y a beaucoup de diversité : on n'a que faire de troubler leurs noms et leurs tiltres : On fait tort à l'une ou à l'autre de les confondre. La noblesse est une belle qualité, et introduite avec raison : mais d'autant que c'est une qualité dependant d'autruy, et qui peut tomber en un homme vicieux et de neant, elle est en estimation bien loing au dessoubs de la vertu. C'est une vertu, si ce l'est, artificielle et visible : dependant du temps et de la fortune : diverse en forme selon les contrees, vivante et mortelle : sans naissance, non plus que la riviere du Nil : genealogique et commune ; de suite et de similitude : tiree par consequence, et consequence bien foible. La science, la force, la bonté, la beauté, la richesse, toutes autres qualitez, tombent en communication et en commerce : cette-cy se consomme en soy, de nulle emploite au service d'autruy. On proposoit à l'un de nos Roys, le choix de deux competiteurs, en une mesme charge, desquels l'un estoit gentil'homme, l'autre ne l'estoit point : il ordonna que sans respect de cette qualité, on choisist celuy qui auroit le plus de merite : mais où la valeur seroit entierement pareille, qu'alors on eust respect à la noblesse : c'estoit justement luy donner son rang. Antigonus à un jeune homme incogneu, qui luy demandoit la charge de son pere, homme de valeur, qui venoit de mourir : Mon amy, dit-il, en tels bien faicts, je ne regarde pas tant la noblesse de mes soldats, comme je fais leur proüesse.

De vray, il n'en doibt pas aller comme des officiers des Roys de Sparte, trompettes, menestriers, cuisiniers, à qui en leurs charges succedoient les enfants, pour ignorants qu'ils fussent, avant les mieux experimentez du mestier. Ceux de Callicut font des nobles, une espece par dessus l'humaine. Le mariage leur est interdit, et toute autre vacation que bellique. De concubines, ils en peuvent avoir leur saoul : et les femmes autant de ruffiens : sans jalousie les uns des autres. Mais c'est un crime capital et irremissible, de s'accoupler à personne d'autre condition que la leur. Et se tiennent pollus, s'ils en sont seulement touchez en passant : et, comme leur noblesse en estant merveilleusement injuriee et interessee, tuent ceux qui seulement ont approché un peu trop pres d'eux. De maniere que les ignobles sont tenus de crier en marchant, comme les Gondoliers de Venise, au contour des ruës, pour ne s'entreheurter : et les nobles, leur commandent de se jetter au quartier qu'ils veulent. Ceux cy evitent par là, cette ignominie, qu'ils estiment perpetuelle ; ceux là une mort certaine. Nulle duree de temps, nulle faveur de prince, nul office, ou vertu, ou richesse peut faire qu'un roturier devienne noble. A quoy ayde cette coustume, que les mariages sont defendus de l'un mestier à l'autre. Ne peut une de race cordonniere, espouser un charpentier : et sont les parents obligez de dresser les enfants à la vacation des peres, precisement, et non à autre vacation : par où se maintient la distinction et continuation de leur fortune.


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