LES TESTAMENTS DE MICHEL PINHAN
533
temps l’existence des membres de sa famille et ceux qu’il fait par ailleurs, la
plus grande partie de sa fortune est confiée au fils aîné.
Gabriel, fils du second lit, est plus connu. Dans le testament du 3 mars
1446, il a entre sept et huit ans
10
. Dans le cas du décès du père, Antoine doit
le loger et le nourrir jusqu’à ce qu’il ait dix-huit ans, et lui permettre d’aller
à l’école jusqu’à quinze ans. A ce moment-là, si Gabriel veut continuer ses
études, ce que souhaite son père, Antoine devra lui fournir, en plus, les livres
nécessaires pendant les trois ans suivants. Sinon, il devra le placer dans une
boutique pour apprendre un métier. Si Pinhan se conforme à l’usage en cours
à Arles à cette époque, nous pouvons estimer que l’entrée en apprentissage
se faisait à quinze ans pour les garçons (à Orléans, elle se situait aux alentours
de dix-huit ans, dans le Poitou et en Auvergne, en général vers seize ou dix-
huit ans, dans le pays valencien, entre neuf et douze ans
11
). Ainsi que le
signale D. Lett
12
, « les hommes et les femmes du Moyen Age attachent une
grande importance à l’éducation des enfants… Les statuts synodaux rappel-
lent ce devoir élémentaire. Ceux d’Angers demandent aux prêtres d’avertir
souvent leurs paroissiens de faire instruire soigneusement leurs fils et de les
inciter à fréquenter assidûment les écoles car, précise le texte, les illettrés ne
peuvent être admis aux bénéfices ecclésiastiques ». Or c’est bien ce que sou-
haite Pinhan, qui donne plusieurs indications quant aux legs à faire à Gabriel,
évolutifs en fonction du fait que ce dernier aura, on non, un prieuré ou un
bénéfice. Son existence est donc assurée. Mais il a eu, apparemment, le choix,
même si nous pouvons supposer une certaine pression parentale ! Toujours
selon D. Lett
13
, « ce sont les cadets qui sont envoyés dans les monastères ou
voués à la vie cléricale ; l’aîné est porteur d’un espoir économique et poli-
tique ; il permet la postérité terrestre de la famille tandis que le cadet est
l’élément spirituel qui en assure la postérité dans l’au-delà ». Les testaments
de Pinhan, qui prend toutes les précautions de son vivant afin d’assurer son
avenir, s’inscrivent donc bien dans les habitudes mentales et comportemen-
tales du
XV
e
siècle. Mais les legs évoluent en même temps que la situation de
Gabriel, et les testaments font apparaître des différences. Celui du 4 mars
1448 révèle que Pinhan espère que Gabriel sera « capelan ». Celui du 7 jan-
vier 1454 nous apprend qu’il est « reseuput monge en lo venerable monestie
de Sant Peyre de Montmaio ». Celui du 31 janvier 1454, qui confirme cela,
indique cependant qu’il est toujours « a l’estudi ». A travers les donations
faites à Gabriel se dessine aussi la maison dans laquelle vit Pinhan, ainsi que
les étals dont il est propriétaire. Gabriel est probablement celui qui nous
apprend le plus de choses sur la famille et sur certaines habitudes et modes
de vie.
10. Dans le testament de 1442, 405 E 118, il a plus de deux ans et moins de trois.
11. D. L
ETT
,
op.cit., p. 282.
12. D. L
ETT
, op.cit., p. 149.
13. D. L
ETT
,
op.cit., p. 290.
0312-072Mep:0312-072Mep 28/10/11 14:39 Page 533
MARIE-ROSE BONNET
534
D’autres enfants sont mentionnés, dont Antoinette, la fille aînée, issue
de son premier mariage, comme Antoine. Le frère et la soeur ont le même
prénom, sous leur forme masculine et féminine. Elle est mariée à Jacques
Liautaut, de Tarascon, dont elle a un fils (le seul mentionné), Bertrand. Dans
le II E 37, comptes trésoraires de l’Hôpital du Saint Esprit du Bourg de 1479-
1506, f°84r, apparaît une « Thoneta Pinhana, prioressa de l’hospital ». Il est
difficile de supposer qu’il s’agit de la même personne, Pinhan demandant de
prier « per l’arma de ma fila Toneta » dans le testament du 7 janvier 1454 et
dans celui du 4 mars 1454. Dans celui de 1448, elle est prénommée Toneta.
Or, le diminutif ne peut se rapporter à l’âge, puisqu’elle mariée et mère de
famille. Peut-être faut-il voir là une marque d’affection de la part d’un père
soucieux de l’avenir de sa fille. Toujours dans celui de 1448, son fils, Bertrand
Liautaut, est héritier. Pinhan le désigne comme le fils de « ma fila Toneta
mole que era de Iaume Liautaut ». L’usage de l’imparfait confirme ici le décès
d’Antoinette. Elle n’est plus citée parmi les légataires dans les deux derniers
testaments. De son vivant, elle bénéficie d’un legs supplémentaire de dix flo-
rins par rapport à ses autres soeurs.
Catherine est la première fille de son second mariage. Dans le dernier
testament, il est signalé qu’elle est mariée à Elzias Gondart (probablement
boucher). Elle perçoit deux-cent-cinquante florins de dot, répartis comme
suit : cinquante florins lui sont donnés le jour du mariage, vingt-cinq par an
ensuite. De plus, elle conserve ses vêtements et ses bijoux. Si elle devient
veuve, elle pourra résider, temporairement, dans la demeure familiale occu-
pée par Antoine, aux dépens de ce dernier. Ses autres soeurs ont la même
chose. Cependant, dans la copie du 15 septembre 1459, Pinhan leur octroie
cent florins supplémentaires. En bon père de famille, il dote ses filles le jour
de leur mariage. Selon N. Jornet
14
, grâce au testament se dessine « la pro-
gressive correspondance de l’héritage – légitime de la fille avec sa dot lors du
mariage, ou en tout cas l’anticipation de son héritage – ou une partie – à
l’occasion de son mariage ».
Douce, sa seconde fille, a épousé Antoine Villasse (deux A.Villasse sont
répertoriés, un fustier, un notaire). Ces deux filles sont mentionnées dans
toutes les copies.
A partir de celle du 4 mars 1448, apparaît Jeanne, ou Jeannette. Elle n’est
toujours pas mariée dans cette dernière. Remarquons par ailleurs l’usage du
diminutif dans le prénom. Traduit-il son jeune âge, ou s’agit-il d’un suffixe
affectueux ? Après le décès du père, les enfants non encore majeurs seront
placés dans une famille, la leur, puisque le demi-frère aîné est chargé
d’assurer leur éducation et doit les prendre en charge. Cette « famille recom-
posée » est malgré tout proche, et donc protectrice, du moins pouvons-nous
14. N. J
ORNET
, « Les femmes catalanes à travers leurs testaments (938-1131) » ; La femme
dans l’histoire et la société méridionale ; 66
e
congrès de la Fédération Historique du Languedoc
Roussillon, 1994, p.94.
0312-072Mep:0312-072Mep 28/10/11 14:39 Page 534